Intervention de Pierre Moscovici

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 juin 2020 à 16h40
Avis du haut conseil relatif au troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020 — Audition de M. Pierre Moscovici président du haut conseil des finances publiques

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

Si le Haut Conseil emploie le conditionnel, c'est parce que nous avons le sentiment que le scénario du Gouvernement se rapproche d'une certaine plausibilité. Je n'étais pas en fonction pour les deux précédentes lois de finances rectificatives, mais, à chaque fois, on pouvait pressentir qu'une dégradation plus poussée de la situation économique allait suivre. Désormais, le confinement est terminé, on voit mieux comment évoluent la crise sanitaire et l'économie, et un certain consensus se dégage sur le plan macroéconomique. L'écart entre le scénario du Gouvernement et le consensus des économistes est réduit, et ce dernier est même légèrement plus optimiste. Le HCFP en tient compte, tout en envisageant, avec prudence, les aléas à la hausse ou à la baisse, mais les écarts sont faibles et nous pouvons estimer que le scénario du Gouvernement est robuste. Le métier du Haut Conseil n'est pas de faire des prévisions ni des simulations, mais il serait sans doute utile qu'il puisse se voir doté de cette capacité. Donc notre avis n'est pas un avis mièvre, mi-figue mi-raisin, mais il résulte de l'analyse des membres du Haut Conseil qui estiment que la prévision est solide.

Monsieur Bizet, vos questions dépassent mon champ de compétences en tant que président du HCFP. Le « décrochage », que vous évoquez, de l'euro comme monnaie de réserve par rapport au dollar, n'a pas commencé avec la crise. Celle-ci ne fait que l'accentuer. Les solutions sont à définir au niveau européen ; elles passent par l'approfondissement de l'Union des marchés de capitaux et la création d'un véhicule permettant de développer le rôle international de l'euro, deux sujets mis en avant par la Commission européenne. Ce dernier point est important si l'on veut éviter les sanctions extraterritoriales. Souvenons-nous de l'accord de Vienne avec l'Iran sur le nucléaire : l'Union européenne ne souhaitait pas dénoncer l'accord, mais nos entreprises étaient dans une situation de grande vulnérabilité en raison de la menace des sanctions. Pour y répondre, il faut créer un véhicule financier. La Commission pourrait sans doute le proposer.

J'ai exprimé, et je le referai demain lors de mon installation, mon souhait de renforcer la visibilité de la Cour des comptes et du Haut Conseil au niveau européen. Il ne s'agit pas là de l'expression d'un narcissisme d'institutions, mais, simplement, j'ai pu constater à Bruxelles que les institutions indépendantes sont un gage de crédibilité fort pour les finances publiques nationales. Il est important que les perspectives budgétaires soient discutées, soumises à expertise, et c'est la raison pour laquelle je vous demanderai de soutenir ma démarche en ce sens. Un de mes premiers déplacements aura d'ailleurs lieu, de manière symbolique, à la Commission européenne. La Cour des comptes et le Haut Conseil doivent se situer à l'interface entre le Gouvernement et le Parlement, mais aussi entre l'administration nationale et l'administration européenne. Monsieur Longuet, je crois, indépendamment de ma personne, qu'il est bon que le Premier président de la Cour des comptes ait à la fois une expérience parlementaire et ministérielle, comme vous l'avez souligné, et même une expérience européenne. J'essaierai de mettre cette expérience au service de l'institution et du pays.

Monsieur Bocquet, je n'ai pas l'impression d'avoir changé ! L'écart de croissance entre l'Union européenne dans son ensemble et la zone euro n'est pas forcément significatif, car les instituts de statistiques ne mesurent pas nécessairement de la même façon l'activité pendant la phase de confinement. Il faut aussi prendre en considération les différences qui tiennent aux dates d'entrée et de sortie du confinement entre les pays. Au final, je pense que les écarts vont s'ajuster.

En ce qui concerne la dette, il ne faut faire preuve ni de catastrophisme, ni d'irénisme. La dette créée à la suite de la crise des Gilets jaunes était de fonctionnement, tandis que la dette créée actuellement vise à répondre à la crise sanitaire, à un choc macroéconomique de grande ampleur, et est détenue en grande partie par la Banque centrale européenne. Il ne s'agit pas de dire qu'il y a une bonne et une mauvaise dette, mais on ne peut pas comparer les deux, la seconde s'inscrivant aussi dans le cadre d'une réponse européenne. Nous aurons à vivre avec des dettes publiques élevées pendant des années et j'aurai certainement à évoquer ce sujet de nombreuses fois au cours de mon mandat.

Il ne m'appartient pas de trancher la question de l'annulation ou de la monétisation de la dette. La BCE a fait un effort considérable, mais il n'est pas dans sa mission de la prendre en charge en totalité. Un effort de mutualisation commence à se mettre en place au niveau européen. Dès lors que la BCE achète une grande partie de la dette, que les taux d'intérêt restent bas et que la signature du pays est bonne, la dette peut être soutenable à court terme. Nous ne sommes pas dans la même situation qu'en 2008. Pour autant, être endetté à hauteur de 120 % du PIB n'est pas anodin. La dette doit être remboursée. Nous devons aussi penser aux générations futures : qui sait si les taux d'intérêt ou l'inflation ne remonteront pas à moyen terme. La dette doit être soutenable et l'objectif doit rester de la diminuer. Je n'ai pas changé à cet égard.

L'épargne a augmenté de 100 milliards d'euros ces derniers mois. C'est considérable. Nul ne sait si elle sera, in fine, consommée intégralement, mais son niveau laisse de la marge pour une hausse de la consommation. Le HCFP estime que cette hypothèse constitue un aléa positif, qui n'est pas certain, mais qui n'est pas impossible. Si l'évolution de la pandémie était favorable, comme semblent le penser les épidémiologistes, on pourrait assister à une amélioration de la situation plus rapide et importante que prévu. Il vous appartiendra alors de trouver politiquement les moyens de flécher cette épargne vers la consommation. Le niveau d'épargne en France a toujours été élevé en France, même si les niveaux actuels sont historiquement hauts.

Vous m'avez aussi interrogé sur les collectivités territoriales. Je serai très attentif à ce qui se passe au Sénat. En tant que Premier président de la Cour des comptes, je suis aussi le chef des juridictions financières et donc des chambres régionales et territoriales des comptes. J'aurai à coeur de les associer aux travaux et aux réflexions de la Cour. Un de mes premiers déplacements sera d'ailleurs pour la chambre régionale des Hauts-de-France, début juillet, ce qui témoigne symboliquement de ma volonté de soutenir le développement de ces instances. Quant à l'impact de la crise sur les comptes des collectivités territoriales, il est important, à cause de la baisse des recettes fiscales ou tarifaires, mais il est, au total, moindre que pour l'État ou la sécurité sociale : de l'ordre de quelques milliards contre plus de 180 milliards d'euros pour les comptes publics.

J'en viens au plan de relance européen. J'observe des évolutions importantes au niveau européen. Plusieurs tabous ont été levés : alors que traditionnellement nos voisins, notamment allemands ou néerlandais, évoquaient la nécessité de maintenir l'équilibre entre le partage et la réduction des risques - autrement dit privilégier la responsabilité à la solidarité -, aujourd'hui un choix a été fait, celui de la solidarité, notamment dans l'initiative franco-allemande puis dans le plan de la Commission. Un autre tabou s'est estompé, notamment en Allemagne : celui de la mutualisation de la dette. Nous verrons si ce plan aboutit, mais je ne suis pas pessimiste. Si tel est le cas, il renforcera les plans de relance nationaux, même si je ne suis pas capable de dire à quel moment il sera intégré dans les comptes : au moment du plan de relance national ? L'année prochaine ? Mais, incontestablement, le plan de relance fournira une ressource supplémentaire pour aider notre économie à sortir de l'ornière.

Il est difficile de faire des comparaisons entre les plans allemands et français. Certains dispositifs sont plus favorables en Allemagne, notamment ceux en faveur des petites entreprises, ou moins favorables, comme le chômage partiel. N'oublions pas non plus que l'Allemagne est un petit peu moins touchée que la France par le Covid-19. Nous verrons à la fin, dans le plan allemand, ce qui est destiné à soutenir la consommation. En attendant gardons-nous des prévisions à l'emporte-pièce.

Nous ne sommes pas en mesure d'apprécier les mesures nouvelles dans leur totalité. Nous constatons, toutefois, une prise en compte sérieuse dans le PLFR des mesures qui ont été annoncées en faveur de l'automobile, de la culture ou du tourisme. Celles en faveur de l'aéronautique le sont partiellement. Nous aurons une vision d'ensemble lors de la prochaine loi de finances initiale. Il ne m'appartient pas de dire si un PLFR 4 sera nécessaire, même si, par définition tout n'a pas pu être totalement pris en compte, car le plan de soutien à l'aéronautique a été annoncé la veille de la présentation du PLFR 3. Comme le disait le président Chirac, c'est à la fin de la foire que l'on peut faire les comptes...

En ce qui concerne le PIB potentiel et le déficit structurel, je partage vos interrogations, mais les relativise. Je les partage, car j'ai constaté quand j'étais commissaire européen, qu'il nous arrivait de nous tromper sur le déficit structurel ou le potentiel de croissance. Cela pose la question de la lisibilité. Ces notions ne sont pas simples - peut-être pourront-elles évoluer le moment venu -, mais elles constituent en même temps des ancres utiles pour fonder des jugements ou des appréciations. Elles ne sont pas dénuées de sens. Le PIB potentiel est le PIB qui résulte, indépendamment des évolutions conjoncturelles, de la capacité de production d'un pays. On peut l'apprécier à travers l'évolution de ses composantes : la consommation, l'épargne, l'investissement, le capital humain, etc. Autant de signaux utiles. Nous redoutons une évolution négative du PIB potentiel de la France. Il en va de même pour le déficit structurel, qui est indépendant de la conjoncture. Cette notion est utile, même si on devrait s'efforcer de trouver mieux. Peut-être la Cour des comptes pourrait-elle faire des propositions à cet égard. En tout cas, ces notions constituent, en l'état, les indicateurs les plus solides dont nous disposions.

En conclusion, je voudrais vous dire mon plaisir d'être parmi vous. J'essaierai de venir aussi souvent que possible, comme Premier président de la Cour des comptes, chef des juridictions financières régionales ou président du HCFP. Comme le Conseil constitutionnel, je pense que la Cour des comptes doit être à équidistance du Parlement et du Gouvernement. Je serais ainsi heureux de venir vous présenter, si vous le souhaitez, à la fin du mois, le rapport substantiel de la Cour sur la situation des finances publiques, qui comportera des éléments de perspective et permettra de débattre de la dette.

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