Nous sommes confrontés à une crise économique sans équivalent en France depuis 1929 par son ampleur et sa brutalité.
Avant de penser à construire le monde d'après, souvenons-nous du monde d'avant. En janvier 2020, la France affichait une croissance de 1,5 % - l'une des croissances les plus fortes de la zone euro, largement au-dessus de la croissance allemande - et un taux de chômage à 8 % - l'un des plus faibles que nous ayons eu depuis des années ; la France était le pays européen le plus attractif pour les investissements étrangers ; sa dette publique était stabilisée et son déficit public se situait sous la barre des 3 % du PIB. Preuve que la politique économique que nous avions bâtie avec le Président de la République, le Premier ministre et l'ensemble de la majorité donnait des résultats. Les salariés et les entrepreneurs français avaient réussi à redresser notre pays.
Tout s'est effondré avec la crise, mais nous la surmonterons. Nous reconstruirons une France prospère avec de la croissance, de la compétitivité et une orientation encore plus marquée vers la décarbonation de notre économie. Nous réussirons parce que les Français sont un peuple travailleur, parce que nous allons faire le choix de l'innovation et des nouvelles technologies et parce que nous allons nous fixer collectivement une ambition environnementale.
Nous avons réussi à éviter l'effondrement complet de nos capacités de production grâce à l'intervention immédiate et massive des pouvoirs publics. L'intervention de l'État en matière économique et financière a été à la hauteur des enjeux historiques. Dès la fin du mois de février, j'étais le premier des ministres des finances à annoncer une crise comparable à celle de 1929 ; dès le 6 mars, je remettais un plan d'action au Président de la République ; puis un premier PLFR est venu, un deuxième le 15 avril et un troisième aujourd'hui. Notre réaction a donc été massive, immédiate et appréciée par le monde économique.
Les mesures déployées représentent au total 460 milliards d'euros, soit 20 % de notre richesse nationale et l'équivalent du PNB de l'Autriche. Cette réponse est en tous points comparable, y compris dans ses montants, à ce que font les autres pays européens. Il faut considérer les chiffres réels et non pas les chiffres affichés. Par exemple, s'agissant des prêts garantis par l'État, la France a annoncé 300 milliards d'euros, l'Allemagne 550 ; mais la France en a décaissé 88 et l'Allemagne seulement 40.
Quelque 3 millions d'entreprises ont reçu 4 milliards d'euros d'aides en provenance du fonds de solidarité ; 12 millions de salariés ont bénéficié de l'activité partielle ; les reports de charges fiscales et sociales devraient atteindre 56 milliards d'euros. Ces sommes considérables visent à sauver notre économie.
S'ouvre maintenant un deuxième temps, celui de la reconstruction et de la relance. Il appelle d'abord un retour au travail et une relance de l'activité massifs. La crise sanitaire a évidemment un impact sur la population et nous devons rester vigilants, mais ne sous-estimons pas l'impact de la crise économique, en particulier sur les plus fragiles. Cette crise aura des conséquences invisibles, muettes, mais douloureuses pour des millions de nos compatriotes. Je pense en particulier aux jeunes qui, au sortir de leur centre de formation d'apprentis (CFA) ou de leur université, vont chercher un emploi ; je pense à l'ouvrier de 52 ans qui a été licencié ; je pense à l'employé du secteur du textile, de l'habillement ou de la restauration, qui s'inquiète. C'est pour eux que nous devons relancer la machine économique.
C'est pourquoi, dans ce PLFR, nous soutenons les secteurs dans lesquels les risques d'effondrement économique sont les plus importants. Il s'agit d'abord du secteur du tourisme - avec l'événementiel, les hôtels, les restaurants, les bars, les cafés, les centres de loisirs, les centres sportifs, les campings - qui a été frappé de plein fouet, mais aussi l'industrie automobile et le secteur aéronautique. Dans ce dernier secteur, la crise risque d'être plus durable parce que ses effets sont plus lents : les compagnies aériennes annulent des commandes par dizaines et le carnet de commandes d'Airbus, qui était plein, s'est substantiellement allégé. Il s'agit aussi du secteur des start-up qui bénéficiera de 1,3 milliard d'euros de soutien afin d'éviter qu'elles ne soient rachetées par des fonds ou des géants digitaux étrangers. Il s'agit du secteur du bâtiment qui souffre de surcoûts. Il s'agit, en dernier lieu, du commerce de proximité, dans les villages et les villes moyennes.
Le premier volet de ce PLFR est donc constitué de plans de relance sectoriels qui visent à sauver des emplois dans ces secteurs et à accompagner leur transformation. Ces plans comportent bien évidemment des mesures de demande : c'est le cas des bonus prévus dans le secteur automobile - 7 000 euros pour un véhicule électrique, 2 000 euros pour un véhicule hybride rechargeable, prime à la conversion - qui vont nous permettre de revenir, en juin 2020, au volume d'achats de véhicules automobiles de juin 2019, alors qu'en avril nous n'étions qu'à 10 %. Dans le plan de 15 milliards d'euros en faveur du secteur aéronautique, 4 milliards d'euros sont prévus pour sécuriser les commandes d'avions civils et militaires : l'État va prendre à sa charge le report des commandes afin d'éviter leur annulation sèche, ce qui représente une charge de 3,5 milliards d'euros en trésorerie pour l'État. Enfin, il y a dans ce plan 800 millions d'euros d'achats directs d'avions ravitailleurs et d'hélicoptères.
Nous devons aussi accélérer la transformation de ces secteurs, et notamment la numérisation et la robotisation de nos PME. Nous prévoyons ainsi 300 millions d'euros pour numériser et robotiser nos PME de l'aéronautique. Nous mettons en place un fonds spécifique afin d'accélérer la mutation de l'industrie automobile vers le véhicule électrique, puis vers le véhicule à hydrogène. Nous allons augmenter les fonds du Conseil pour la recherche aéronautique civile de 1,5 milliard d'euros, avec l'objectif d'être le premier continent au monde à disposer d'un avion zéro émission carbone, dès 2035. Pourquoi les rêves industriels seraient-ils réservés aux Américains ? Soyons ambitieux pour la France et pour l'Europe !
Nous devons trouver un équilibre entre le sauvetage des emplois, le soutien aux entreprises menacées de faillite et le maintien de la croissance potentielle française. Si nous n'investissons pas, si nous ne soutenons pas l'innovation et si nous nous contentons de mesures de demande, nous risquons de retrouver une croissance potentielle inférieure à celle d'avant-crise parce que nous aurions laissé détruire du capital humain, du capital technologique et du capital physique. Nous laisserions une France appauvrie et reléguée économiquement, comme l'ont été certains États européens au lendemain de la crise de 2008. C'est, pour moi, l'enjeu stratégique de cette sortie de crise.
Le deuxième volet de ce plan est relatif au soutien à l'emploi, et en particulier l'emploi des jeunes qui est notre première préoccupation. Certains d'entre vous, en particulier Les Républicains, ont d'ailleurs fait d'utiles propositions à ce sujet. Nous allons soutenir l'apprentissage avec l'augmentation massive des primes à l'embauche, portées à 8 000 euros pour les majeurs et à 5 000 euros pour les mineurs. Nous engageons également une discussion avec les partenaires sociaux au sujet d'une activité partielle de longue durée. Ma philosophie, c'est l'emploi, l'emploi, l'emploi, et encore l'emploi : mieux vaut un salarié qui reste dans l'entreprise, en partie payé par l'État, plutôt qu'un salarié licencié. Car passer par la case chômage, c'est douloureux et ce n'est pas économiquement efficace. J'assume d'envisager un modèle différent dans lequel, temporairement, l'État va prendre à sa charge une partie des salaires pour éviter la perte d'emploi. Entre des licenciements massifs et une activité partielle financée en partie par l'État, je choisis clairement la deuxième option.
Le dernier volet de ce PLFR est constitué des mesures européennes disponibles : les prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI) et le mécanisme de chômage partiel. Les financements de la BEI pour soutenir les PME nous permettent de dégager 40 milliards d'euros de prêts. En revanche, les mesures d'investissements directs et de subventions du plan de relance européen ne seront disponibles que dans quelques mois, car ce plan ne sera adopté qu'au prochain Conseil européen de début juillet. Le plan de relance français, qui devrait être financé à la fois par l'État et par des mesures européennes, ne sera donc pas mis en place avant le début du mois de septembre.
Dans un premier temps, nous avons donc eu une réponse immédiate et massive. Nous sommes aujourd'hui dans le deuxième temps, celui de la relance, secteur par secteur, avec des mesures de demande, mais aussi des mesures destinées à conserver un niveau de croissance potentielle satisfaisant. Le troisième et dernier temps interviendra d'ici à la fin de l'été sur la base de consultations que j'ouvrirai avec vous dans les jours qui viennent, pour faire de la France, une des économies les plus compétitives et les plus décarbonées de la planète.