Intervention de Bruno Le Maire

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 juin 2020 à 10h40
Troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020 — Audition de Mm. Bruno Le maire ministre de l'économie et des finances et olivier dussopt secrétaire d'état auprès du ministre de l'action et des comptes publics

Bruno Le Maire, ministre :

Monsieur le président, je vais essayer d'être concis, même si la qualité des questions appelle des réponses précises.

Monsieur Dallier, vous m'avez interrogé sur l'emploi de l'épargne des Français. Y a-t-il davantage d'épargne de précaution aujourd'hui qu'en temps habituel ? La réponse est clairement oui. Je confirme le chiffre donné par Albéric de Montgolfier : nous devrions arriver à 100 milliards d'euros d'épargne supplémentaires d'ici à la fin de l'année, alors que nous avons déjà un taux d'épargne très élevé. Le montant des dépôts sur le Livret A au mois d'avril était de 7 milliards d'euros, contre 3 milliards d'euros en temps ordinaire.

La confiance, elle ne se décrète pas. C'est la clarté et la constance de la politique économique du Gouvernement qui permettra de rétablir la confiance des ménages. Je crois non pas au changement de pied tous les quatre matins, mais à la stabilité des politiques et du ministre de l'économie et des finances dans ses fonctions - ce n'est pas usuel sous la Ve République.

Sur la situation des banques et le risque bancaire, je partage votre évaluation. Avec un tel montant de prêts, même garantis par l'État, il y a un risque que l'augmentation des défauts et des faillites conduise à des difficultés de remboursement des prêts bancaires. L'idée de constituer une bad bank, pour reprendre les termes de la BCE, revient à sortir les prêts en défaut du bilan des banques : c'est ce qui avait été fait après la crise financière de 2008. Nous ne sommes pas dans la même situation pour le moment, car les banques ont été renforcées, mais on peut envisager cette option pour certaines banques qui seraient fragilisées. Je le dis à tous ceux qui tapent contre les banques : ils font une erreur. En cette période de crise, avoir des banques solides est probablement un des atouts majeurs que la France a à sa disposition, y compris par rapport à notre grand voisin allemand, pour surmonter cette crise.

M. Karoutchi m'a interrogé sur le rétablissement de la confiance. Je le redis, c'est la constance et la stabilité qui permettront de rétablir la confiance des Français. Je confirme ma volonté de ne pas baisser la garde sur un certain nombre de mesures d'offre qui permettent justement de rétablir cette confiance.

Monsieur Dominati, vous défendez avec beaucoup de talent votre proposition sur la TVA que j'ai étudiée avec beaucoup d'attention. Le problème économique français est un problème d'offre. Notre offre, et les biens que nous produisons, ne sont pas encore assez compétitifs, n'intègrent pas assez d'innovation et de nouvelles technologies pour justifier d'être vendus à un prix plus élevé et donc de créer du profit pour les entreprises et des emplois pour les Français. C'est ce problème stratégique que je souhaite parvenir à régler dans les années qui viennent. Il faut améliorer la qualité de l'offre française par de l'investissement dans l'innovation et les nouvelles technologies et par la formation des salariés.

Quant à la consommation, nous la soutenons, notamment avec un dispositif de chômage partiel qui est le plus généreux de tous les pays européens, y compris l'Allemagne. Le taux de remboursement des salariés est plus élevé que celui des salariés allemands. Cela nous coûte quelques milliards d'euros : je ne peux pas payer deux fois, en finançant en plus une baisse de la TVA.

Parce que les situations de l'Allemagne et de la France sont différentes, il est logique que l'Allemagne baisse temporairement son taux de TVA. On comprend cette décision quand on voit le vieillissement de la population de ce pays, le système de chômage partiel moins généreux que le nôtre mis en place et par le fait que l'économie soit exportatrice.

Comme nous avons, pour notre part, une économie importatrice, que nous avons dépensé beaucoup d'argent pour le remboursement du chômage partiel et que notre épargne est abondante, la baisse de la TVA ne me paraît pas la bonne solution.

Quant à la comparaison avec les 7 milliards d'euros d'Air France, je rappelle qu'il s'agit non pas de dépense budgétaire, mais d'un prêt garanti par l'État.

Monsieur Husson, vous avez évoqué le verdissement de la politique économique. C'est le choix stratégique de la relance : nous voulons une relance verte parce que c'est une attente forte des Français autour de laquelle nous pouvons nous rassembler et parce que cette orientation doit être le juge arbitre de toutes les décisions de politique économique.

S'agissant des garanties du Trésor, je ne donnerai plus de garanties pour les exportations sur des produits ou des activités « charbon ». Nous allons nous attacher à verdir les garanties à l'exportation du Trésor public. Idem pour la rénovation énergétique des bâtiments, avec le grand projet de relance, qui concernera les territoires et qui nous permettra de réduire les émissions de CO2 : cette orientation est positive, à la fois, pour l'activité économique, les travaux publics et le climat, car les bâtiments sont l'une des principales sources d'émission de carbone dans notre pays.

Je rejoins votre propos sur les assureurs : il est indispensable que soit mise en oeuvre le plus rapidement possible une couverture du risque de pandémie.

Monsieur Bocquet, je vous confirme que les grandes entreprises qui veulent bénéficier des prêts garantis par l'État ou de l'exonération de charges ne doivent pas avoir de présence économique dans les paradis fiscaux - cette condition est systématiquement vérifiée. Elles doivent s'engager à ne pas verser de dividendes. Je constate d'ailleurs que les dividendes annoncés ou versés en France ont diminué de 40 % par rapport à 2019 pour les entreprises cotées.

La taxe GAFA est un enjeu absolument stratégique pour le XXIe siècle. Qui sont les grands gagnants de cette crise économique ? Les géants du numérique. Pour autant, ces très grandes multinationales, qui sont parfois en position monopolistique, continuent à payer des impôts dérisoires. Je ne compte pas abandonner ce combat pour une juste taxation des activités du numérique.

La négociation à l'OCDE montre qu'une immense majorité d'États veulent cette taxation numérique et sont prêts, si jamais il n'y a pas d'accord international, à mettre en oeuvre une taxe au niveau national, comme la France l'a fait. Notre pays a ouvert la voie et peut être fier d'avoir défendu un modèle de taxation du numérique plus juste et plus efficace.

Pouvons-nous parvenir à un accord à l'OCDE d'ici à la fin de l'année 2020 ? La réponse est oui ! Nous ne parviendrons pas à un accord global, mais on aura au moins une taxation minimale concentrée sur les activités numériques des géants du digital. Il nous reste à convaincre les États-Unis, le dernier État qui bloque l'accord - tous les autres se sont ralliés à cette proposition. Je suis en discussion étroite avec le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, pour le convaincre de franchir cette première étape.

La France a toujours été très claire : nous privilégions un accord international à l'OCDE, qui nous permettrait de bâtir la fiscalité du XXIe siècle avec - premier pilier - une taxation des activités numériques et - second pilier - une taxation minimale à l'impôt sur les sociétés pour éviter l'optimisation fiscale des grandes multinationales. Tout cela est à portée de main.

Si nous n'arrivons pas à un accord international d'ici à la fin de l'année, nous sommes prêts à mettre en oeuvre tout de suite la taxe nationale sur les activités numériques que vous avez votée.

Il est préférable, y compris pour les grandes entreprises du numérique, d'avoir une solution internationale plutôt qu'une multiplication de taxes nationales. Nous allons donc poursuivre ce combat de justice et d'efficacité fiscale. Quoi qu'il arrive, les géants du numérique paieront ce qu'ils doivent comme impôts, comme n'importe quelle autre entreprise, en 2020 en France.

Madame Goulet, j'ai déjà répondu à la question sur les moyens de contrôle. Sur la fraude au chômage partiel, Muriel Pénicaud a indiqué qu'elle suivait ce dossier de près. La moindre fraude n'est pas acceptable.

Madame Lavarde, sur les transports en Île-de-France, Olivier Dussopt vous a répondu, mais Valérie Pécresse nous a saisis à juste titre de ce sujet.

Monsieur Patient, sur les départements et territoires d'outre-mer, nous allons transmettre votre question aux services d'Olivier Dussopt et de Gérald Darmanin pour vous apporter une réponse écrite.

Monsieur Longuet, je vais exaucer vos deux voeux.

D'abord, oui, il faut maintenir une politique de l'offre, même si cela n'exclut pas des mesures complémentaires sur la demande, que Philippe Dominati appelle de ses voeux. Ce qui doit structurer notre politique économique, c'est l'amélioration de l'offre française qui, sur le long terme, nous permettra de rester une grande nation économique. Cette voie est plus difficile et plus exigeante, parce qu'elle exige des transformations très concrètes.

Prenons l'exemple du moteur thermique, qui nécessite des centaines de pièces et donc tout un écosystème - PME, sous-traitants, fondeurs, ouvriers qui travaillent dans le décolletage dans la vallée de l'Arve. La solution de facilité serait de ne toucher à rien. Mais si on investit massivement dans le moteur thermique, l'industrie automobile française sera morte dans cinq ou dix ans, parce que nos concitoyens exigeront, notamment dans les métropoles mais peut-être aussi rapidement dans les campagnes quand il y aura un marché de l'occasion et davantage de bornes, des véhicules électriques ou des véhicules hybrides rechargeables. On importera alors tout de l'étranger. Donc, oui, nous investissons sur le moteur électrique et sur la chaîne de traction électrique.

Il existe déjà une usine pilote à Nersac qui travaille sur les batteries. Nous allons ouvrir une usine de production de batteries, qui comptera de 1 000 à 2000 ouvriers d'ici à 2022, dans le nord de la France pour PSA. Renault a rejoint « l'alliance des batteries électriques », pas simplement comme client mais également comme partenaire.

Si le diesel n'est plus l'avenir de l'automobile, il faut changer les lignes de production, et accompagner systématiquement ceux qui travaillent dans ce secteur. Je pense aux fondeurs : un moteur thermique nécessite 70 kilos de pièces de fonderie, contre 4 kilos pour un moteur électrique. Les métiers doivent évoluer.

Rester les deux pieds dans le même sabot en ne changeant rien serait une erreur majeure. Il faut accompagner cette transformation, car c'est ainsi que la France restera une grande puissance économique. Cela suppose effectivement, cher Gérard Longuet, de faire preuve de constance en matière de fiscalité de l'investissement et de l'épargne. C'est dur, car tout le monde veut toucher à la fiscalité, mais la constance sera payante au bout du compte.

Les plans sectoriels constituent un bon exemple de notre volonté de ne pas être dogmatiques : ce n'est pas tout pour le zéro CO2 et rien pour des solutions plus progressives. Dans la prime à la conversion, nous avons gardé les véhicules essence Crit'Air 1 et les véhicules diesel Crit'Air 2 et accordé une prime aux véhicules hybrides rechargeables.

La moyenne d'émission de CO2 d'un véhicule en France est de 120 grammes, contre 20 grammes pour une voiture hybride rechargeable. Certains diront que c'est toujours trop et qu'il faudrait arriver à zéro. Personnellement, je préfère une approche pragmatique, qui va nous permettre d'accélérer la décarbonation, à une approche trop dogmatique.

Sans la BCE, je le confirme, la France et d'autres pays auraient pu se trouver dans une situation comparable à celle de l'Argentine. L'intégration monétaire européenne a sauvé de nombreux États européens, y compris l'Allemagne.

Monsieur Gabouty, je suis tout à fait d'accord avec vous sur les politiques de relance liées à la décarbonation, notamment sur la rénovation thermique. Cela peut être l'un des grands engagements du plan de relance.

Monsieur Bargeton, sur le soutien aux start-up, nous avons mis en place un fonds d'investissement de 1,3 milliard d'euros. S'agissant du soutien aux libraires, que j'ai toujours fortement défendus, nous avons annoncé avec Franck Riester un plan de 42 millions d'euros, dont 36 millions d'euros dans le PLFR 3 et 6 millions en 2021.

Monsieur Bizet, la compétitivité dépendra effectivement de la politique de l'offre et de l'investissement dans quelques secteurs clés : l'hydrogène, la 5G, le stockage des données. Sur tous ces sujets, nous avançons main dans la main avec l'Allemagne - je pense notamment aux batteries et au projet GAIA-X sur le stockage des données.

Madame Vermeillet, sur l'accueil scolaire des enfants, en tant que père de famille, je partage votre avis. Il est très important que les enfants soient tous bien accueillis à l'école.

Enfin, monsieur Meurant, le nucléaire fait partie du mix énergétique français. L'objectif, c'est que sa part passe à 50 % dans quelques années. Il ne faut jamais oublier, comme vous l'avez dit, que si nous émettons peu de CO2 en France, c'est parce qu'une grande partie de la production électrique est d'origine nucléaire.

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