J'ai connu la région Champagne-Ardenne dont j'étais le directeur général des services. Aujourd'hui, en tant que président du département de l'Aube, je peux constater les différences fondamentales avec la nouvelle région fusionnée Grand Est. Il ne s'agit ni d'une question politique ni d'une question d'hommes, car nous nous apprécions et avons la volonté de travailler ensemble. Mais la distance a rompu le lien de collaboration : il faut 4 h 30 en voiture pour aller de Troyes à Strasbourg... cet éloignement est préjudiciable à l'action collective.
Le retrait des transports scolaires des compétences départementales est une aberration. Leur gestion était en effet étroitement liée aux routes et aux établissements dont nous avons la charge. Nous avons conservé le transport des personnes en situation de handicap, mais cela engendre des surcoûts, car auparavant, dans une démarche d'inclusion, nous pouvions utiliser les mêmes moyens de transport.
Les régions fusionnées ont dû faire face au défi de l'harmonisation des politiques des anciennes régions pour redéfinir un cadre commun. Cela a été très long et cela n'a pas permis de prendre en compte les spécificités - atouts, handicaps - de chaque territoire. La région Grand Est a mis du temps à définir ses nouvelles politiques. Jean Rottner m'a récemment annoncé que nous allions désormais travailler, non plus dans le cadre d'une politique uniforme sur l'ensemble de la région, mais selon des contrats de territoire. Je m'en réjouis et j'espère que cette nouvelle phase permettra de consolider nos liens.
La solidarité, c'est faire plus pour ceux qui ont le plus besoin et mettre en oeuvre des discriminations positives. Il faut reconnaître que, pendant un temps, il a été très difficile aux grandes régions de s'engager dans cette voie, car elles avaient d'autres priorités.
Mon prédécesseur à la tête du département, Philippe Adnot, avait fait de l'économie et de l'enseignement supérieur les fers de lance de notre département. La disparition de la clause de compétence générale, et notamment de la compétence économique, a donc été vécue comme un véritable traumatisme. Nous avons transféré les moyens que nous consacrions à l'économie en direction des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), mais tout n'est pas couvert.
Deux exemples illustrent les conséquences de la perte de la compétence économique par le département.
Le cluster développé par le département de l'Aube - avec une université, un technopôle, une pépinière d'entreprises, etc. - a profondément modifié l'économie du département, mais aujourd'hui il tourne au ralenti. Ni l'EPCI - faute de moyens - ni la région n'ont pu prendre le relais. Or nous aurions besoin de construire des bâtiments pour accueillir de nouvelles start-up mais le département ne le peut pas, car la loi ne le permet pas. Nous pouvons conventionner avec l'EPCI pour apporter des aides à l'immobilier d'entreprise, mais ne pouvons pas lui confier la construction immobilière. Une superbe dynamique s'est arrêtée et des centaines d'emplois n'ont pas été créés.
Les EPCI de notre département sont de petite taille et ont peu de moyens. L'autre exemple concerne une entreprise qui devait s'installer et, pour ce faire, avait besoin d'une garantie ; or l'EPCI ne pouvait pas l'octroyer ; le département en aurait eu la capacité, mais c'était interdit par la loi... Nous devons absolument retrouver de la souplesse ! Nous n'assisterons probablement pas au grand soir du retour de la clause de compétence générale, mais il faut trouver le moyen de permettre à des départements, comme celui de l'Aube, de réaliser des interventions économiques de proximité.
Le département de l'Aube n'a plus la compétence économique. Et pourtant, il demeure l'acteur majeur du développement économique local, car il est propriétaire de terrains et d'immeubles qu'il met à la disposition des entreprises. L'État, qui, au départ, avait contesté la légalité des délibérations mettant en location ce patrimoine, a été débouté devant le tribunal administratif qui a considéré qu'il s'agissait d'une gestion de patrimoine en bon père de famille et non pas d'investissements nouveaux.
Les territoires sont tous différents : il faut intégrer leurs spécificités.