Intervention de Roland Courteau

Commission des affaires économiques — Réunion du 4 juin 2020 à 15h00
Présentation des plans de relance dans les domaines de l'énergie de l'agriculture et des télécommunications du numérique et des postes par les pilotes en charge des cellules de veille de contrôle et d'anticipation des secteurs correspondants

Photo de Roland CourteauRoland Courteau :

À l'initiative de notre présidente, mes collègues Daniel Gremillet, Daniel Dubois et moi-même avons le plaisir de suivre l'impact de la crise du Covid-19 sur le secteur de l'énergie.

Depuis le début du mois d'avril, nous avons entendu quelque 80 personnalités, à l'occasion de 30 visioconférences. Nous avons ainsi reçu de grands énergéticiens, les fédérations de l'électricité, du gaz et du pétrole, les représentants de la rénovation énergétique, des biocarburants et des énergies renouvelables, les autorités de régulation, des chercheurs. Nous avons même auditionné, actualité oblige, le Haut Conseil pour le climat et la Convention citoyenne pour le climat ! Pour restituer notre travail, nous avons formalisé une « Feuille de route pour une relance bas-carbone ».

Avant d'en venir à ces préconisations, je voudrais rappeler quelques éléments de contexte.

Si le lien entre la crise du Covid-19 et le secteur de l'énergie peut sembler distendu, il n'en est rien ! En effet, la crise place notre société face à un défi énergétique sans précédent, qui met à l'épreuve notre capacité à atteindre l'objectif de « neutralité carbone » découlant de l'Accord de Paris de 2015.

Tout d'abord, la chute de la demande et des prix de l'énergie déstabilise la trésorerie, le résultat et in fine les investissements de nos énergéticiens.

Au coeur du confinement, la crise a engendré une chute de 15 à 20 % de la demande d'électricité, de 10 à 25 % de celle de gaz et de 75 à 80 % de celle de carburants. Aujourd'hui encore, et par rapport à il y a un an, les prix de marché sont inférieurs de 42 % pour l'électricité, de 39 % pour le gaz et de 50 % pour le pétrole.

Loin d'être transitoire, cette crise pourrait avoir des effets durables : d'une part, un effet inflationniste lors de la reprise, les prix pouvant « flamber » si l'offre d'énergie, déstabilisée, ne parvenait pas à accompagner la demande... comme cela s'est produit lors de la crise de 2009 ; d'autre part, un effet dépressif, dans 2 ou 3 ans, date à laquelle les décisions actuelles d'annulation d'investissements auraient des répercussions palpables... en particulier dans le secteur pétrolier.

Cette situation n'est pas positive pour les énergies renouvelables (EnR), car la baisse de la demande et des prix des énergies fossiles érode la rentabilité des projets, renchérit les dispositifs de soutien dont ils bénéficient et diminue les recettes fiscales qui leur sont affectées.

Elle ne l'est pas non plus pour le climat, étant donné que la diminution de 30 % des émissions de gaz à effet de serre observée pendant le confinement, et qui atteindrait 5 à 15 % sur l'année, pourrait être annulée par un « effet rebond ».

Dans ce contexte, nous appelons à un changement de méthode : pour préparer l'après-crise, le Gouvernement doit cesser de discourir sur la transition énergétique mais s'en donner les moyens, en se fondant sur les travaux du Parlement et les besoins des acteurs de terrain.

La question n'est pas de savoir si le plan de relance doit contribuer à atteindre la « neutralité carbone » ; le Parlement a déjà répondu à cette question en consacrant cet objectif à l'occasion du vote de la loi « Énergie-Climat » ! La question est plutôt de savoir comment.

Et sur ce point, soyons clairs : il faut cesser de penser que la transition énergétique n'aurait pas de coûts pour les Français ; tout au contraire c'est à l'État de les identifier et de les prendre en charge, au moins partiellement.

Le Gouvernement doit donc sortir des déclarations d'intention car nos entreprises et nos collectivités territoriales attendent de lui des actions concrètes, à commencer par un soutien administratif et des engagements financiers. La transition énergétique ne se décrète pas ; elle se construit dans les territoires, autour de projets décentralisés, nécessitant pour éclore un État stratège et des services facilitateurs.

Le Gouvernement ne peut pas non plus décider seul, par la voie d'ordonnances. C'est pourquoi les travaux de contrôle de notre commission sont essentiels, au-delà du vote des habilitations. Si les alertes du Sénat, formulées dès 2017, sur le caractère insoutenable de la « composante carbone » des taxes énergétiques avaient été entendues, nous n'aurions pas connu l'épisode de contestation sociale de l'hiver suivant...

Enfin, le Gouvernement ne peut pas faire abstraction des acteurs de terrain. La transition énergétique ne doit pas s'écrire par la négative, à coups d'interdictions ou d'impôts. Il faut privilégier la confiance à la contrainte, l'incitation économique à l'alourdissement fiscal, le droit souple à l'étouffement normatif. Des mécanismes de compensation doivent prévenir tout risque de perte de pouvoir d'achat pour les ménages et de distorsion de concurrence pour les entreprises.

De toute évidence, il est illusoire d'espérer parvenir à la « neutralité carbone » sans être attentif à son acceptabilité sociale.

Plus substantiellement, nous attendons un changement de politique : s'il veut conduire une « relance verte », le Gouvernement doit au préalable appliquer effectivement la loi « Énergie-Climat » et revenir en conscience sur les choix faits dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2020.

S'agissant la loi « Énergie-Climat », six mois après sa publication, tout reste à faire ou presque : début mai, une dizaine de mesures réglementaires ont été prises, sur 67 prévues, 1'ordonnance a été publiée sur 5 articles et 15 habilitations, et aucun des 6 rapports attendus n'a été formellement remis. Le taux d'application de cette loi est de 21 % pour les mesures règlementaires et de 7 % pour les ordonnances ; il est nul s'agissant des rapports. Par ailleurs, un quart des ordonnances accusent déjà un retard par rapport au calendrier initial. C'est trop peu et trop lent : avant d'envisager le « monde d'après », il faut déjà appliquer la « loi d'aujourd'hui » !

Pour ce qui est de la LFI pour 2020, les moyens proposés par le Gouvernement n'ont pas été à la hauteur des enjeux.

Dans le secteur de l'énergie, en effet, on a constaté un « effet de ciseaux » avec une hausse de 3,9 milliards d'euros de la fiscalité - dont la suppression d'1 milliard d'euros d'incitations professionnelles - et une baisse d'1 milliard d'euros des crédits - avec la réduction de 60 % du montant du crédit d'impôt pour la transition énergétique et de 30 % de la prime à la conversion.

Cela est sans compter sur la clôture, dès le 1er janvier 2021, du compte d'affectation spéciale Transition énergétique (CAS TE), qui constitue à ce jour le premier moyen de financement des EnR, avec 6,3 milliards d'euros.

Pour financer un « relance verte », il faut briser cet « effet de ciseaux ».

Pour répondre à ces enjeux, nous proposons donc une « Feuille de route pour une relance bas-carbone » : il s'agit d'une « boîte à outils », composée de 45 mesures - fiscales, budgétaires ou administratives - réunies en 10 axes, visant à faire de la « neutralité carbone » l'aiguillon du plan de relance.

Sans entrer dans les détails, nos grands enseignements sont les suivants.

En premier lieu, nous considérons que la transition énergétique ne peut réussir sans stabilité normative. Il est donc essentiel de maintenir le cap de la « neutralité carbone », en appliquant effectivement la loi « Énergie-Climat ».

Cela suppose de mettre certains objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en conformité avec ceux votés par le législateur, en matière de biogaz, d'hydrogène et d'éolien en mer.

Par ailleurs, la PPE doit être intégrée à la stratégie de crise poursuivie par l'État actionnaire, au même titre que la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).

Surtout, il faut évaluer les conséquences de la crise sur la PPE : en effet, les charges de service public de l'électricité (CSPE), qui sous-tendent les dispositifs de soutien aux EnR, ont été calculées sur la base d'un prix de l'électricité de 56 ou 42 euros par mégawattheure (MWh). Or, le prix de marché de l'électricité n'est que de 21 euros fin mai.

En outre, plus ce prix est faible, plus les CSPE sont mécaniquement élevées : si le prix de marché de l'électricité devait rester durablement faible, le modèle de financement des EnR en serait lourdement fragilisé. Les enjeux financiers pourraient être très importants, puisque les CSPE sont estimées entre 122,3 et 172,3 milliards d'euros d'ici 2028 par la PPE.

Nous demanderons à la ministre de saisir sur ce point le comité de gestion des CSPE ou la CRE d'une évaluation, comme le lui permet le code de l'énergie.

En deuxième lieu, nous estimons que l'essor de la transition énergétique doit aller de pair avec le maintien de notre souveraineté énergétique. La production d'énergie nucléaire, largement décarbonée, constitue un atout considérable pour réaliser nos engagements climatiques. Or, le marché de l'électricité est entré en crise.

D'une part, les fournisseurs et les gestionnaires de réseaux anticipent une baisse de leurs recettes, EDF prévoyant une production de 300 terawattheures (TWh) cette année, contre 379 TWh en 2019, en baisse de 20 %.

D'autre part, des reports de grands investissements sont attendus, EDF ayant annoncé la remise à plat de son programme d'« arrêt de tranches », c'est-à-dire des opérations de maintenance des centrales, ainsi que des retards dans les chantiers des EPR de Flamanville et d'Hinkley Point.

Enfin, le mécanisme de l'ARENH fait l'objet d'un contentieux entre EDF et les fournisseurs alternatifs, ces derniers ayant demandé l'activation de la « clause de force majeure », pour cesser de s'approvisionner par ce dispositif - au prix de 42 euros par MWh - pour recourir au marché - au prix actuel de 21 euros : ces tout derniers jours, EDF a résilié des contrats ARENH le liant à trois fournisseurs.

Dans ce contexte, nous devons préserver la compétitivité de notre électricité décarbonée, en lui consentant les investissements nécessaires.

Il faut aussi conforter la réduction du tarif d'accès aux réseaux publics d'électricité (TURPE) dont bénéficient les entreprises électro-intensives, et envisager une exonération de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) sur les capacités de stockage de l'électricité : notre avenir industriel !

De toute évidence, le Parlement doit être associé en amont aux travaux stratégiques de l'Exécutif sur les éventuelles réformes du marché de l'électricité.

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