Intervention de Daniel Dubois

Commission des affaires économiques — Réunion du 4 juin 2020 à 15h00
Présentation des plans de relance dans les domaines de l'énergie de l'agriculture et des télécommunications du numérique et des postes par les pilotes en charge des cellules de veille de contrôle et d'anticipation des secteurs correspondants

Photo de Daniel DuboisDaniel Dubois :

Troisièmement, nous considérons que la transition énergétique ne peut réussir sans un accompagnement socioéconomique.

Cet accompagnement impose de soutenir la trésorerie et les investissements des professionnels : des grands énergéticiens aux petits détaillants. Il faut leur offrir des facilités pour le paiement des taxes énergétiques et, pour certains d'entre eux, un accès élargi au fonds de solidarité. Cet accompagnement nécessite de protéger les consommateurs du risque accru de précarité énergétique, en particulier l'hiver prochain. Il convient donc de revaloriser le montant du chèque énergie, pour couvrir les dépenses de rénovation énergétique auxquelles ce chèque donne droit.

Le Médiateur de l'énergie doit, en outre, être chargé du suivi des difficultés rencontrées par les consommateurs dans ce contexte de crise.

Plus largement, un « gel » de la fiscalité énergétique doit être résolument appliqué, en rétablissant les incitations professionnelles évoquées par mon collègue.

S'agissant de la fiscalité carbone, le « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières de l'Union européenne, envisagé par la Commission européenne, est prometteur pour rétablir les conditions d'une concurrence plus équilibrée. En revanche, le contexte de grave crise que nous traversons exclut de reprendre la hausse insoutenable de la « composante carbone » des taxes énergétiques un temps adoptée par le Gouvernement en 2017.

Cette situation nécessite également de conforter les compensations, fiscales et budgétaires, applicables aux installations grandes consommatrices d'énergie, dans l'hypothèse de l'institution d'un « prix minimum du carbone » dans le cadre du système d'échange de quotas d'émission européen (SEQE-UE), avancée dans l'Initiative franco-allemande.

De toute évidence, la « clef de voûte » de toute « relance verte » réside dans la massification des opérations de rénovation énergétique. 90 % des chantiers ont été à l'arrêt fin mars, et 80 % fin avril. L'activité globale du secteur du bâtiment a chuté de 12 %, celle de la seule rénovation énergétique de 8,5 %.

Alors que le législateur a fixé pour objectif 500 000 rénovations par an, pour atteindre un parc entièrement rénové en 2050, la politique du Gouvernement reste notoirement insuffisante.

Dans ce contexte, nous plaidons pour un soutien aux professionnels, en prenant en charge par une déduction fiscale les surcoûts - de l'ordre de 10 à 20 % - induits par l'application des préconisations sanitaires, en facilitant l'accès au fonds de solidarité pour les plus petites entreprises et en appliquant un « moratoire » sur les normes nouvelles pour accompagner la reprise.

Le Gouvernement peut et doit repousser de 6 mois l'entrée en vigueur de la réforme du diagnostic de performance énergétique (DPE), à l'instar de ce qui est prévu pour la règlementation environnementale (RE2020).

Nous préconisons aussi un soutien aux commanditaires, en maintenant le CITE, en élargissant l'éligibilité des ménages et des équipements à ce dispositif et en mobilisant à plein les certificats d'économies d'énergie (C2E).

Enfin, nous insistons sur la nécessité d'intensifier la transition énergétique pour accélérer la reprise économique.

Tout d'abord, l'enjeu est de sécuriser le financement, de simplifier le déploiement et de relocaliser la chaîne de valeur des EnR.

Sur le plan financier, il faut conserver le CAS TE, et relever les crédits du Fonds chaleur renouvelable.

Dans le même temps, les appels à projets envisagés dans le cadre du Plan de relance et du Pacte vert européens méritent d'être anticipés : le Gouvernement doit veiller à ce que les entreprises françaises y soient éligibles et disposent, pour les plus petites d'entre elles, d'un appui en ingénierie pour s'en saisir ; au-delà, il faut aussi rendre moins complexe le recours à de tels appels d'offres.

D'un point de vue administratif, il faut offrir aux porteurs de projets d'EnR les souplesses qu'ils sont en droit d'attendre : le maintien des appels d'offres en cours, l'aménagement des appels d'offres prévus, la prorogation des autorisations délivrées et l'ajustement des délais de raccordement. Les services instructeurs peuvent être mieux sensibilisés aux enjeux de la reprise : ils doivent identifier les projets d'EnR en souffrance et en faciliter la mise en oeuvre.

À terme, il est impératif de généraliser l'application du critère du « bilan carbone » - apport sénatorial majeur à la loi « Énergie-Climat » - à tous les projets d'EnR, afin de protéger nos industriels français et européens du dumping environnemental.

Enfin, une attention spécifique doit être accordée aux EnR trop peu valorisées.

Pour les biocarburants, des chantiers règlementaires peuvent être ouverts, avec la prorogation de la production du gel hydroalcoolique, l'activation d'une « clause de sauvegarde » pour le bioéthanol et le relèvement du plafond de 7 % de biocaburants conventionnels.

Leurs incitations fiscales peuvent aussi être confortées, avec l'abaissement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur les biocarburants les plus incorporés, l'institution d'une déduction fiscale pour l'utilisation du biokérozène par les compagnies aériennes et l'application d'un taux réduit de TICPE pour le biofioul.

De leurs côtés, le biogaz peut être favorisé, en maintenant l'exonération de taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN) dont il dispose, de même que l'hydrogène, en relevant les appels d'offres à hauteur des 100 millions d'euros annuels promis par le Gouvernement en 2018.

Enfin, c'est en mobilisant la commande publique et la demande privée que les véhicules propres pourront être promus, via le renforcement de l'obligation d'acquisition applicable à l'État, l'élargissement durable de l'accès des ménages à la prime à la conversion et le relèvement du suramortissement pour les entreprises.

Sur ces points, nous appelons à aller plus loin que le Plan de soutien à la filière automobile, en instituant des mécanismes davantage pérennes - la crise étant susceptible de perdurer au-delà de cette année - et diversifiés - s'étendant ainsi à l'ensemble des véhicules propres et des infrastructures de recharge.

Au total, en confortant notre souveraineté énergétique et en accélérant la transition énergétique, il est possible, sinon nécessaire, de faire de la « neutralité carbone » l'aiguillon du plan de relance. La massification des opérations de rénovation énergétique constitue la « clef de voûte » de toute « relance verte », tandis que la stabilité normative et l'acceptabilité sociale en sont les préalables indispensables ; la crise sociale de l'hiver 2018 nous a rappelé l'importance de cette seconde condition.

C'est ainsi que nous pourrons bâtir une économie plus résiliente, face aux chocs économiques et à l'urgence climatique : il nous faut tirer les leçons de la crise du Covid-19 - dont les conséquences sont dramatiques en raison de notre état d'impréparation ! - en anticipant les risques pour prévenir les crises.

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