Intervention de Françoise Cartron

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 28 mai 2020 à 10h00
Examen du rapport sur l'alimentation du futur en téléconférence

Photo de Françoise CartronFrançoise Cartron, rapporteure :

La seconde partie du rapport traite de la prise de conscience de la non-soutenabilité du système alimentaire actuel, question également soulevée dans les débats sur l'après-Covid. Le diagnostic de non-soutenabilité s'y inscrit au travers de trois observations : ce système a des effets négatifs sur la santé ; il impacte également négativement l'environnement ; enfin, les effets du réchauffement climatique et sa dépendance à certaines importations conduisent à s'interroger sur sa capacité de résilience à long terme, c'est-à-dire sa capacité à garantir la capacité d'approvisionnement de notre pays.

Cette partie vise à apporter les éléments de preuve permettant de conclure à ce caractère non soutenable du système alimentaire. Elle nous conduira à réfléchir aux moyens de tendre vers une alimentation plus durable.

La France dépend fortement des importations de protéines végétales, ce qui pose un enjeu de souveraineté protéique. Le schéma projeté présente le marché des protéines végétales en Europe. Le déséquilibre entre les importations et la production locale y est flagrant. De plus, l'exposition aux effets du réchauffement climatique pose un enjeu d'adaptation de notre agriculture. Nous pointons un impact négatif direct sur le rendement des cultures majeures ; un impact négatif indirect sur les rendements, lié au développement de pathogènes ; une variabilité accrue de la production due à la multiplication et à l'intensification des aléas climatiques, tels que la sécheresse, la grêle ou les inondations, une modification de la phénologie des cultures pérennes, entraînant un risque accru d'exposition aux gels tardifs ; enfin une moindre régularité de la production sur le plan qualitatif, avec notamment des baisses de teneur en micronutriments ou en protéines.

Nous émettons des propositions afin de remettre la sécurité d'approvisionnement au coeur des politiques alimentaires. Celle-ci est nécessaire pour permettre davantage d'indépendance à notre pays. Elle s'applique dans de multiples domaines, dont l'alimentation.

Les propositions sont les suivantes :

- définir une stratégie d'autonomie protéique des fermes « France » et « Europe » par la reterritorialisation de productions trop dépendantes des importations. C'est notamment le cas du soja destiné à l'alimentation animale ;

- stimuler les investissements dans la recherche de semences plus performantes dans le secteur des protéagineux en donnant aux acteurs une visibilité de long terme sur son développement ;

- soutenir et encourager les projets alimentaires et agricoles de territoire afin d'accroître la part des approvisionnements locaux dans la consommation régulière, en générant ainsi un développement territorial positif, une qualité optimale des produits et un renforcement de la confiance de tous les acteurs ;

- impulser une politique foncière permettant l'installation de producteurs locaux ;

- renforcer l'adaptation et la résilience de l'agriculture face aux effets du réchauffement climatique grâce à la diversification agroécologique des espèces cultivées et à la recomposition progressive de la géographie des cultures en accompagnant techniquement les agriculteurs dans cette conversion.

Les agriculteurs sont prêts à prendre part à ce changement. Ils se sentent toutefois démunis s'ils ne sont pas accompagnés techniquement et financièrement.

La question suivante porte sur le développement des problèmes de santé. L'alimentation actuelle, que nous souhaitons aujourd'hui faire évoluer, est génératrice de problèmes de santé aigus, au coût humain et économique considérable.

On observe une nette évolution des pathologies liées à l'alimentation depuis un demi-siècle. Les maladies causées par des carences tendent à céder la place à des pathologies liées à la surconsommation. Les cas d'obésité prennent aujourd'hui une large place en France. Face à cette évolution, les objectifs de santé publique doivent être élargis, sans pour autant abandonner la lutte contre les problèmes de dénutrition touchant encore certaines populations, notamment les personnes âgées ou en grande précarité sociale.

S'y ajoute l'émergence de nouveaux risques sanitaires, diffus et de long terme, encore mal connus, liés à la multiplication des additifs alimentaires et aux résidus de certaines substances comme les pesticides.

Nous avons identifié deux grands risques, liés à l'utilisation des pesticides de synthèse, ou liés à une alimentation ultra-transformée. Les premiers sont aujourd'hui mal évalués. C'est pour cette raison que nous faisons aujourd'hui la proposition suivante : soutenir les efforts de la recherche scientifique indépendante pour mesurer les effets sur la santé des résidus de pesticides de synthèse et des additifs alimentaires utilisés par l'industrie. Sachez que 330 additifs alimentaires sont autorisés sur le marché européen. Nous demandons une recherche scientifique approfondie sur les risques qu'ils entraînent.

Nous ne devons bien évidemment pas nous tromper dans la hiérarchisation des niveaux de risque. Les facteurs nutritionnels tels que les excès de gras ou de sel sont associés de manière certaine à des pathologies graves et répandues. D'autres facteurs non nutritionnels tels que le degré de transformation de l'alimentation ou la présence de résidus de pesticides n'y sont associés que de manière possible.

Dans les années 50, en France, nous décomptions 15 000 morts causées par des infections alimentaires chaque année. Nous en dénombrons aujourd'hui moins de 500, malgré une population qui s'est accrue de 50 % dans cet intervalle de temps. Nous avons fait des progrès, mais d'autres risques sont apparus.

Notre alimentation génère également des impacts environnementaux considérables. On entend très souvent que notre système alimentaire français compte parmi les plus vertueux des pays développés. Cette affirmation pourrait être trompeuse. Dans sa configuration actuelle, il n'est pas plus soutenable que les autres. L'alimentation du champ à l'assiette représente 24 % de l'empreinte carbone des ménages français. L'agriculture contribue aux deux tiers de l'empreinte carbone dans le système alimentaire. La production animale et les effluents d'élevage représentent 44 % des émissions agricoles. La fabrication et l'usage d'engrais de synthèse produisent 34 % des émissions de protoxyde d'azote.

Les systèmes alimentaires sont par ailleurs fortement impliqués dans le déclin de la biodiversité. En Allemagne, le nombre d'insectes volants a diminué de 76 % depuis 1989. Une méta analyse de 73 études à l'échelle mondiale a fait état de la disparition de 40 % des espèces d'insectes au cours des dernières décennies. Un lien étroit entre ces pertes et les pratiques agricoles intensives a été mis en évidence. La perte d'habitat constitue la principale cause de déclin, devant les pollutions liées à l'utilisation d'intrants chimiques, ou le changement climatique.

Nous faisons dans ce rapport un focus sur les émissions de gaz à effet de serre de l'alimentation en France. Vous y voyez la décomposition de son empreinte carbone, avec la part majeure de l'agriculture, suivie, de manière plus modeste, par le transport de marchandises ou des ménages. Vous voyez dans le graphique suivant la part prédominante des ruminants dans l'impact sur le changement climatique par kilogramme de produit.

Au travers de ces constats, comment tendre vers une alimentation durable ?

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