Nous avons observé que cette évolution apparaissait majoritairement dans les populations favorisées. Durant cette crise du Covid, les inégalités sociales sont apparues fortement. Nous avons bien vu que le fossé pouvait encore une fois se creuser. Nous souhaitons lever les barrières culturelles dressées face à la diffusion des régimes alimentaires durables.
Nous avons constaté la relative inefficacité des recommandations nutritionnelles dans les milieux modestes. Ce n'est pas par des injonctions que nous pourrons modifier leurs pratiques. Nous proposons donc d'assainir l'offre alimentaire en incitant ou en obligeant à la reformulation des recettes des plats industriels. Nous demandons également de réguler l'offre de snacking des distributeurs automatiques, de généraliser l'étiquetage nutritionnel et environnemental, et d'interdire les produits affichant un nutriscore D ou E dans les couloirs promotionnels des grandes surfaces. Nous proposons également de réguler la publicité alimentaire télévisuelle ou au cinéma en direction des enfants.
Nous souhaitons passer d'une logique de recommandations à une véritable éducation alimentaire. Dans ce but, nous proposons de faire évoluer les politiques de santé d'un accompagnement alimentaire ponctuel fondé sur le conseil nutritionnel à un accompagnement dans la durée, voire une véritable éducation à l'alimentation durable abordant toutes les dimensions du « bien manger » : l'aspect nutritionnel, mais également économique ou culinaire. Nous proposons également de compléter les recommandations nutritionnelles par des recommandations de bonnes pratiques alimentaires d'un point de vue écologique.
Enfin, la responsabilisation est inefficace si elle n'est pas accompagnée d'un assainissement de l'environnement alimentaire. Nous souhaitons ainsi intégrer la dimension d'acceptabilité culturelle et de plaisir dans la défense des régimes alimentaires durables, en soulignant que l'impact sanitaire et écologique de l'alimentation peut être fortement réduit sans bouleverser les habitudes alimentaires. Manger doit rester un plaisir. Trop d'injonctions pourraient transformer ce plaisir en contrainte.
Nous souhaitons également lever les barrières économiques à la diffusion des régimes durables, en instaurant des dispositifs d'aide financière directe pour réduire le prix des produits alimentaires durables, en taxant par exemple certains aliments de faible qualité nutritionnelle. Le produit de ces taxes pourrait financer des chèques « alimentation saine » permettant d'acheter des fruits et légumes frais par exemple.
Nous pensons qu'une transition alimentaire sera impossible sans un fort développement des légumineuses. Elles ont des vertus uniques résolvant l'équation de l'alimentation durable. Elles sont riches en protéines, en énergie et en fibres, et financièrement accessibles. Elles fixent symbiotiquement l'azote, et s'intègrent dans toutes les cultures culinaires. Leur potentiel économique se confirme. Les recherches de l'Inrae ont prouvé la pertinence des associations avec des légumineuses. Un grand nombre de chefs et de talents de la cuisine se sont lancés dans des recettes innovantes et goûteuses. L'un d'eux accompagne les cuisiniers d'établissements scolaires, permettant de faire varier l'alimentation des enfants. Enfin, les légumineuses occupent une place centrale dans les prospectives sur le système alimentaire. D'ici 2050, la prospective TYFA (Ten Years for Agroecology in Europe) fait l'hypothèse d'une hausse de la consommation moyenne de légumes secs de 7 à 30 g par jour et par habitant, passant de 4 à 11 kg par an. Il faudrait donc cultiver les légumineuses sur environ 500 000 hectares en France, contre seulement 115 000 aujourd'hui. Leur développement pour l'alimentation animale, en remplacement du soja importé, ou pour servir d'engrais verts conduirait à une sole cultivée de plusieurs millions d'hectares. Beaucoup d'agriculteurs se disent prêts, à condition d'être accompagnés.
Le développement de la filière se heurte à un verrouillage sociotechnique. Nous avons un problème de compétitivité hérité de l'Histoire, cumulativement renforcé au cours du temps. Il a été décidé de développer les céréales et d'importer le soja des États-Unis. Pendant 50 ans, les investissements sont allés vers le secteur céréalier plutôt que vers les légumineuses. L'écart de compétitivité en est devenu considérable.
Les verrous à lever sont bien identifiés. Certains sont liés aux savoir-faire et aux compétences : la culture des légumineuses dans un mode de culture agroécologique exige un travail de formation et d'accompagnement des agriculteurs. S'y ajoutent les retards liés au sous-investissement dans la recherche variétale et les verrous techniques et logistiques. Les cellules de stockage de petite taille, les trieurs optiques et le recalibrage des outils industriels mériteront un accompagnement si nous souhaitons réussir cette transition.
Nous émettons un certain nombre de propositions pour développer les légumineuses nécessaires à cette transition écologique :
- revaloriser l'image des légumineuses en soulignant leur intérêt nutritionnel et écologique, en remettant à l'honneur les recettes de légumineuses dans la cuisine d'exception, grâce à un travail d'éducation du public et de formation des professionnels ;
- renforcer les recommandations nutritionnelles relatives aux légumineuses dans le Programme national nutrition santé (PNNS) ;
- réorienter les aides de la politique agricole commune (PAC) pour rémunérer les services agrosystémiques rendus par les légumineuses. Les aides européennes pourraient ainsi favoriser la diversification des cultures et l'allongement des rotations, reconnecter géographiquement les productions animales et végétales, et être allouées en fonction d'un travail agricole plus important et non de surfaces cultivées ;
- encourager les dispositifs de contractualisation au sein de la filière des légumineuses en conditionnant les aides publiques à l'adoption de contrats de filières sur plusieurs années, sécurisant ainsi les investissements en engageant les opérateurs en amont et en aval ;
- encourager les investissements de long terme nécessaires pour développer des variétés de légumineuses plus productives et moins sensibles aux aléas.
Je reviens rapidement sur un sujet que je n'ai pas totalement développé. Nous devons en effet penser au risque de dénutrition, pour lequel nous émettons deux propositions très fortes : définir un plan de lutte contre la dénutrition des personnes précaires et âgées, dont la part dans la population augmente fortement. Elles sont très exposées à ce risque, pour des raisons physiologiques, psychologiques ou sociologiques. Il est également important de prendre en compte les risques de malnutrition liés à la diffusion de régimes alimentaires nouveaux ou tendances, tels que les régimes végans ou amaigrissants, lorsqu'ils sont suivis sans contrôle médical, ou à des pratiques alimentaires sources d'obésité.
Voici, chers collègues, quelles sont les grandes lignes du rapport et des propositions que nous vous présentons.