Intervention de Jean Rottner

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 30 avril 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur le thème « les élus à l'action dans les foyers épidémiques de covid-19 » avec jean rottner président de la région grand est brigitte klinkert présidente du conseil départemental du haut-rhin et stéphane beaudet maire d'évry-courcouronnes président de l'association des maires d'île-de-france amif

Jean Rottner, président de la région Grand Est :

Le relais entre les élus locaux que nous sommes et les parlementaires que vous êtes est indispensable ; nous devons l'organiser.

Ici, dans le Grand Est, tout particulièrement dans les territoires alsacien et mosellan, à Mulhouse surtout, nous avons connu un rouleau compresseur viral extrêmement puissant, une véritable bombe à fragmentation. Nos structures hospitalières ont dû passer en gestion de crise du jour au lendemain : les hôpitaux de Mulhouse et de Colmar se sont transformés en hôpitaux spécialisés Covid-19. En même temps, pour ce qui concerne l'établissement de Mulhouse, qui connaissait quelques difficultés, la situation a permis à toutes les équipes de se serrer les coudes ; nous pourrons ainsi, je l'espère, repartir sur de bonnes bases.

Nous avons constaté d'emblée sur le terrain une différence, d'une part, entre l'expérience locale et, d'autre part, le ressenti national et la capacité de réaction de nos autorités sanitaires, y compris régionales. Là où il s'agissait de réagir rapidement et de façon coordonnée, nous avons pris dès le départ quinze jours de retard, en termes de matériel notamment, sujet appelé à devenir chronique - blouses, masques, tests, fournitures médicamenteuses.

Le bilan mulhousien est de 122 % de surmortalité au mois de mars 2020 par rapport à mars 2019. Ce chiffre montre l'impact de ce virus : nous avons tous, autour de nous, des gens qui nous ont quittés, foudroyés en quelques jours par la maladie.

Nous en sommes aujourd'hui au stade du déconfinement : la course du rouge et du vert est lancée. Mais aucun titre de champion du déconfinement ne sera décerné, nul podium organisé. Je ne suis pas pour courir, mais pour déconfiner de manière extrêmement progressive et précautionneuse, zones vertes et rouges confondues.

Les mesures annoncées par le Gouvernement ont pu surprendre : certains, dans la population, s'attendaient à ce que le 11 mai soit un peu plus libératoire. Mais il faut éviter le rebond ; de ce point de vue, la stratégie annoncée me paraît raisonnable. C'est le sens de la tribune que j'ai signée hier avec Philippe Juvin : il faut prendre toutes les précautions nécessaires pour protéger, tester, isoler. Nous militons pour une généralisation des tests dans toutes les institutions et structures confinées, quelles qu'elles soient. On sait que 50 % de nos concitoyens touchés par le virus sont asymptomatiques et que 45 % d'entre eux le propagent à d'autres personnes. Il est donc nécessaire, afin de rechercher des clusters, de tester des publics ciblés et de ne pas réserver les tests aux seules personnes symptomatiques et à leurs cas contact.

Le déconfinement signifie aussi préparer une potentielle deuxième vague. Les sujets que nous n'avons toujours pas résolus - la disponibilité des masques, des blouses, des charlottes, des surchaussures, des médicaments - doivent l'être. Ni nos personnels soignants, ni notre économie ne résisteraient à une deuxième vague, et un reconfinement serait extrêmement difficile à imposer à l'opinion publique. C'était l'un des objets de notre tribune : plaider pour que nos capacités de réanimation ne soient pas trop vite désarmées, afin de nous assurer que la deuxième vague, si elle arrive, soit la plus plane possible.

J'en viens aux enseignements.

Je suis dubitatif sur les agences régionales de santé (ARS). La précédente crise sanitaire, celle de la canicule, en 2003, avait touché, déjà, nos personnes âgées. Depuis 2003, l'administration de santé, en France, est essentiellement une administration budgétaire, de régulation des dépenses de santé, sur le terrain comme au niveau national. Ces gens-là ne sont pas formés à gérer une crise. Les ARS ont donc tardé par méconnaissance. Un exemple : nous avons rencontré des difficultés pour faire atterrir un hélicoptère de l'armée sur une drop zone hospitalière. Les médecins connaissent ce problème par coeur ; mais la régulation régionale, elle, est faite par des professionnels qui ne connaissent pas le terrain. On pourrait multiplier les exemples concrets de telles pertes de temps, d'énergie et de moyens, dont la somme produit un dysfonctionnement flagrant.

Une vraie réflexion doit en tout cas être menée en matière d'organisation de la santé et de gestion des crises. Je plaide pour un seul patron, de préférence le préfet de région ou le préfet de zone, qui dispose des moyens militaires et logistiques nécessaires. Quand la tête est bicéphale, comme c'est le cas aujourd'hui avec le préfet de zone et le directeur général de l'ARS, on perd du temps à passer de réunion en réunion, d'administration en administration, et le retard des décisions produit l'incompréhension des professionnels de santé comme de nos concitoyens.

L'une des leçons qu'il faudra tirer de cette crise, c'est donc une réforme en profondeur de notre administration de santé, afin de la remettre sous l'autorité manifeste du préfet de zone. C'est à cette condition que l'articulation avec les collectivités pourra se faire. Or l'État n'est jamais faible à s'appuyer sur ses collectivités locales, bien au contraire : c'est un gage d'efficacité. Nous l'avons bien souvent constaté - je le dis non pas dans un esprit de concurrence, mais dans un esprit d'agilité. Nous connaissons parfaitement le terrain et savons sur quels acteurs il est possible de se reposer, sur quelle solidarité citoyenne il est possible de compter. Nous sommes aussi capables de prendre des avances sur nos propres budgets ; en matière de masques, c'est ce que nous avons fait. L'objectif de notre premier appel à la générosité des entreprises et de notre première commande à l'étranger était de mettre fin à une situation où les professionnels de santé qui montaient au front au domicile de leurs patients n'étaient pas protégés - cette situation, bien qu'inadmissible, nous l'avons vécue à partir du 2 mars, date de la première entrée en réanimation au centre hospitalier de Mulhouse.

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