Intervention de Brigitte Klinkert

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 30 avril 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur le thème « les élus à l'action dans les foyers épidémiques de covid-19 » avec jean rottner président de la région grand est brigitte klinkert présidente du conseil départemental du haut-rhin et stéphane beaudet maire d'évry-courcouronnes président de l'association des maires d'île-de-france amif

Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin :

Comme Jean Rottner vient de le rappeler, l'Alsace paie un lourd tribut à cette maladie, avec un nombre très important de décès dans les hôpitaux, dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), mais aussi, très certainement, à domicile. J'ai coutume de dire que c'est un véritable tsunami qui s'est abattu sur l'Alsace, et plus particulièrement sur le Haut-Rhin. Dans ce département, la surmortalité totale est de 128 %, avec un taux qui monte à 175 % pour les personnes âgées de 75 à 84 ans. C'est énorme ! Personne n'a été épargné dans son entourage. À la date d'hier, depuis le début de l'épidémie, nous en étions à 677 décès dans les hôpitaux et 637 dans les Ehpad.

Il en est résulté de très graves conséquences. La population alsacienne dans son ensemble est très touchée par ce qui s'est passé ; elle est consciente, plus qu'ailleurs sans doute, de la gravité de cette épidémie.

Au sein du conseil départemental, je crois pouvoir dire que tout s'est arrêté. La vie normale et les grands projets prioritaires ne comptaient plus. Depuis huit semaines, c'est une bataille quotidienne dans le cadre de la crise sanitaire pour assurer une série de missions, que je vais vous détailler, mais qui n'ont rien à voir avec le fonctionnement normal d'un conseil départemental. J'ai été très touchée par l'extraordinaire chaîne de solidarité qui s'est mise en place entre les différentes collectivités territoriales, quel que soit leur échelon, les services de l'État, les entreprises, les associations et les citoyens.

Le conseil départemental a bien évidemment mis en place un plan de continuité de l'activité. Nos équipes sont restées très mobilisées, plus que d'ordinaire, pour assurer nos missions essentielles, soit sur le terrain, soit en télétravail. Il a fallu changer de logiciel, et je crois pouvoir dire que nous avons fait preuve de beaucoup de réactivité et d'agilité, en toutes circonstances. Cependant, nous avons perdu beaucoup de temps dans les premiers jours de la crise, car nous avions affaire à des autorités sanitaires plus gestionnaires qu'opérationnelles, dans l'incapacité d'appréhender une crise sanitaire d'une telle ampleur. Par exemple, lors des premières cellules de crise autour du préfet et du directeur de l'ARS, nous n'avions pas de bilan humain, donc aucune visibilité sur l'importance de la crise dans le département. Les circuits d'information ont mis beaucoup de temps à se mettre en place. Je pense que nous avons perdu là un temps précieux. Fait symptomatique, nous avions mis en place dans le département une remontée d'informations des Ehpad au quotidien, pour savoir quelle était leur situation. Au bout de deux semaines, les autorités sanitaires nous ont demandé d'y mettre fin pour tout faire remonter vers Paris directement, avant de faire redescendre les chiffres trois jours plus tard.

Par ailleurs, lorsque le manque de masques s'est fait sentir, dès le départ, nous ne disposions d'aucune information sur les livraisons à attendre. Or nos services en avaient également besoin pour intervenir dans les familles en difficulté ou dans les Ehpad. On nous répondait que nous n'étions pas prioritaires. Je peux comprendre la priorité accordée aux hôpitaux, mais j'attends toujours l'appel du DG de l'ARS Grand Est, qui s'était engagé à me recontacter pour m'informer sur les prochaines livraisons...

Je récapitule : solidarité, réactivité, mais aussi proximité et efficacité. Quand on entre dans une crise pareille, très rapidement, la situation devient hors de contrôle. On n'est pas préparé à y faire face, ni en tant qu'élu, ni en tant que responsable de collectivité, ni en tant qu'être humain. Il y a un moment de sidération. À ce moment-là, seule la proximité permet de garantir l'indispensable réactivité et l'impérieuse nécessité de l'efficacité de l'action publique. Cette proximité s'est traduite, par exemple, dans notre capacité à mobiliser tous nos partenaires, y compris nos partenaires frontaliers. Notre maître mot a été : aide-toi et le Ciel t'aidera ! Devant chaque situation, nous nous sommes mobilisés pour trouver des solutions pragmatiques. Nous avons organisé des « opérations éclair », qui nous ont permis de collecter des équipements de protection individuelle (EPI), puis de les redistribuer aux soignants et aux professionnels prioritaires. Nous avons mis en place un drive dans les sous-sols du conseil départemental, et, une fois par semaine, les professionnels viennent récupérer leurs EPI et les matériels auxquels ils ont droit.

Je souhaite aussi rappeler que les transferts de patients en direction des hôpitaux des pays voisins se sont faits de manière très spontanée. Le 20 mars, je me suis rendu compte que des patients de Colmar et de Mulhouse étaient transférés en avion, puis, par la suite, en TGV, à Marseille, à Bordeaux ou en Bretagne, alors que nous avions des hôpitaux à quelques kilomètres de chez nous, à Bâle, en Suisse, ou à Fribourg, en Allemagne. Je me suis dit : pourquoi ne pas essayer de récupérer des lits de réanimation auprès de nos voisins ? La solidarité transfrontalière a alors joué à plein, puisque, en quelques heures, les autorités du Bade-Wurtemberg, suivies par d'autres Länder, puis par des cantons suisses, ont répondu à notre appel. Nous avons en quelque sorte posé les bases d'un véritable schéma sanitaire de coopération.

Nous arrivons maintenant au jour d'après et au déconfinement. À mon sens, il va falloir veiller à ne pas voir ressurgir les vieux réflexes centralisateurs. Je me réjouis que le Premier ministre et le Gouvernement aient décidé que le déconfinement se fasse par territoire, en l'occurrence par département. Cela me semble le bon niveau. Vous l'avez compris, on ne peut pas comparer la situation du Haut-Rhin avec celle d'autres départements où le Covid-19 a été très peu présent.

Solidarité, proximité, réactivité, efficacité : tels sont les atouts qui ont été essentiels durant la crise et qui doivent nous guider à l'avenir. J'ose espérer que Paris saura tirer tous les enseignements de cet épisode dramatique. À cet égard, j'ai écrit voilà trois semaines à Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu pour leur demander qu'au sortir de cette crise, et pendant une période de six à douze mois, soit mise en place une clause générale de compétence dérogatoire pour mieux répondre aux enjeux de l'après-crise et aux attentes de nos concitoyens.

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