Intervention de Stéphane Beaudet

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 30 avril 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur le thème « les élus à l'action dans les foyers épidémiques de covid-19 » avec jean rottner président de la région grand est brigitte klinkert présidente du conseil départemental du haut-rhin et stéphane beaudet maire d'évry-courcouronnes président de l'association des maires d'île-de-france amif

Stéphane Beaudet, maire d'Évry-Courcouronnes, président de l'Association des maires d'Île-de-France :

Je partage la position de Jean Rottner sur l'ARS et le nécessaire pilotage par le préfet de région. Il est plus facile de gérer une telle crise avec un seul interlocuteur au niveau local.

À l'échelle de l'Île-de-France, toutes les collectivités ont aussi marché main dans la main, notamment sur la question des masques.

Je vais parler plus précisément du niveau communal. Les discours récents, notamment celui du Premier ministre, ont d'ailleurs mis en avant le rôle et la responsabilité des maires dans la crise et pour le déconfinement. Le président Larcher rappelle régulièrement que les maires sont les élus à portée de baffes...

Je voudrais faire un focus sur un point qui n'a pas été évoqué par les précédents intervenants. Nous sommes certes élus, mais nous sommes aussi chefs de personnel, communal, départemental ou régional. Il a donc également fallu gérer la crise en tant qu'employeurs, organiser le télétravail, trouver le bon dosage avec le présentiel. Il nous a en effet été demandé d'organiser l'accueil des enfants des soignants mobilisés et de prendre toute mesure pour assurer la sécurité des personnels nécessaires pour faire fonctionner les services publics essentiels. Il y a eu des débats dans certaines communes pour déterminer ce qui était strictement nécessaire à la population - je pense bien évidemment à la collecte des ordures ménagères, voire à l'état civil. Or des problèmes budgétaires vont se poser à nous, avec la question du maintien du salaire des agents inactifs et la distribution de primes pour ceux qui ont continué le travail sur le terrain. Aucun dispositif de chômage partiel n'étant prévu pour les collectivités, il faudra être particulièrement vigilant sur la préservation de nos recettes.

À l'instar des élus régionaux et départementaux, les élus municipaux ont été en première ligne pour gérer la crise sur le terrain. Certaines compétences ont pu nous manquer, même si les communes ont une clause générale de compétence. Par exemple, en matière sanitaire et de santé, le maire n'a aucune compétence. Cependant, s'agissant des masques, ce sont bien les collectivités qui ont dû prendre des initiatives pour pallier les carences de l'État, y compris dans certains établissements hospitaliers. À ce sujet, le Premier ministre a déclaré mardi que les masques achetés par les collectivités à la date de son discours seraient remboursés à hauteur de 50%, mais j'ai cru comprendre qu'il y avait eu un changement hier, et que le remboursement serait possible à partir du 13 avril, date du dernier discours du Président de la République. La région Île-de-France, présidée par Valérie Pécresse, et dont je suis vice-président, a d'ores et déjà commandé 15 millions de masques.

Nous gérons aussi la crise sous son aspect social. C'est surtout maintenant que les problèmes vont surgir, puisque, nous le savons, à la crise sanitaire va succéder une crise économique et sociale violente, qui se terminera sans doute par une crise institutionnelle et politique. La question de l'accompagnement social sera bien évidemment cruciale sur la durée. À cet égard, on aurait pu penser que l'on avait progressé sur le suivi des personnes âgées isolées depuis la canicule de 2003 mais, en travaillant avec Jérôme Guedj sur son rapport, nous nous sommes rendu compte qu'il n'en était rien. L'organisation en silos des politiques publiques nous handicape au moment de gérer une crise. Par exemple, à Évry-Courcouronnes, il y a plus de 6 000 personnes de plus de 65 ans ; un peu moins de 300 étaient recensées dans notre plan Canicule. Il a fallu très vite dépasser ces outils et prendre contact par téléphone avec chacune et chacun d'entre eux pour mettre en place des dispositifs de solidarité. Nous avons réussi à en toucher 800. À l'avenir, il faudra réfléchir avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) à la question du partage des fichiers entre les services communaux et départementaux. J'ajoute que l'Association des maires d'Île-de-France (AMIF) a recensé l'ensemble des dispositifs aux niveaux régional, départemental et communal pour créer une base de données à verser au dispositif national mis en place par Jérôme Guedj. Dans une telle période, le partage de bonnes pratiques est évidemment important.

Nous sommes également en première ligne sur l'aspect économique, tant pour les entreprises que pour les familles. Vous avez tous suivi les débats sur les loyers et les charges. À la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart, nous travaillons sur la question des factures d'eau - c'est plus facile, car nous sommes en régie -, de chauffage ou de ramassage des ordures ménagères. Dans les quartiers populaires, nous devons mettre en place un accompagnement social pour tenir compte des problèmes d'emploi, qui vont revenir en force. Dans d'autres familles, c'est l'absence de la cantine à 1 euro qui pose des problèmes pour nourrir les enfants.

Avec les moyens qui sont les nôtres et les difficultés créées par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), puisque la clause générale de compétence n'est pas valable au niveau de l'agglomération, nous avons aussi essayé d'aider nos entreprises, notamment celles de très petite taille, qui, très souvent, passent à travers le tamis des aides. À cet égard, la réouverture des centres commerciaux de plus de 40 000 mètres carrés, qui doit être décidée par chaque préfet, va alimenter le débat ces prochains jours. En effet, il y a des centres commerciaux régionaux qui causent de la transhumance et d'autres, situés en centre-ville, qui ont un impact économique et social particulièrement important pour les habitants.

À notre échelon de proximité, nous menons également deux actions majeures.

Tout d'abord, nous avons une action de communication en direction des habitants. Le maire reste quasiment le seul élu en qui les Français ont encore confiance. En cette période particulièrement anxiogène, on sent bien que nos concitoyens, qui peinent à accorder du crédit au Gouvernement, préfèrent écouter les messages de la collectivité. Nous prenons donc sur nous de rassurer, d'informer et d'agir, même s'il est compliqué de faire de la pédagogie après un discours du Premier ministre qui soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses.

Ensuite, nous nous efforçons de coordonner et d'accompagner l'ensemble des initiatives. Cela peut être des initiatives régionales, comme l'achat de masques : à qui les distribue-t-on ? Comment ? Il y a également les actions sociales entreprises par les départements. Il y a enfin une coordination de l'élan solidaire que l'on voit surgir dans nos villes et nos quartiers. Je pense, par exemple, à la fabrication artisanale de masques par des couturières bénévoles.

Tout cela doit être fait dans un contexte particulièrement mouvant et flou pour nous, d'autant plus depuis mardi. En effet, si nous avons quelques réponses sur la réouverture des écoles à partir du 11 ou du 12 mai, toutes les interrogations ne sont pas levées. Nous ne savons rien encore sur le nombre d'enfants qui viendront effectivement à l'école, ni sur le nombre d'enseignants disponibles. Le maire doit-il prendre sur lui d'autoriser ou d'interdire l'accès à l'école ? Sur quels critères ? Quelle sera la responsabilité civile et pénale des maires si la maladie se diffuse au sein de l'école ? Ce n'est pas un petit sujet. Certains maires refusent d'ailleurs de rouvrir les écoles avant au moins le 25 mai, ce qui va créer encore de l'inégalité.

Je ne porte pas de jugement ; j'ouvre des débats. Je sais que les maires réclament des compétences élargies, encore faut-il que les moyens financiers suivent. De surcroît, les délais que l'on nous impose actuellement sont extrêmement serrés. Nous ne connaîtrons que mardi prochain le nombre d'enseignants disponibles, et nous ne saurons que jeudi si nous nous trouvons en zone rouge ou verte. Suivra un week-end de trois jours avant la réouverture des écoles. Convenez que l'exercice est complexe. J'y insiste, nous attendons les consolidations juridiques qui nous protégeront dans ce cas de figure.

Je ne peux conclure sans évoquer le lourd tribut payé par les maires et les élus municipaux. Par ailleurs, je pense que les circonstances du premier tour des élections municipales entraîneront certainement un problème de confiance. Nous sommes toujours dans l'attente des solutions que le Gouvernement proposera pour mener ce processus électoral à son terme.

Pour terminer sur une note positive, je dirai, comme Jean Rottner et Brigitte Klinkert, que nous devons profiter de cette crise pour recoudre le fil entre les collectivités et l'État après de trop nombreuses années de relations difficiles.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion