Intervention de Laurent Lafon

Commission d'enquête Pollution des sols — Réunion du 19 mai 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-François Nogrette directeur de veolia technologies & contracting membre du comité exécutif du groupe veolia en téléconférence

Photo de Laurent LafonLaurent Lafon, président :

Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l'audition de M. Jean-François Nogrette, directeur de Veolia Technologies & Contracting et membre du comité exécutif du groupe Veolia.

Veolia est un groupe mondial leader dans le domaine de la dépollution des sols et de la propreté de l'eau. Votre audition sera donc l'occasion de recueillir un éclairage précieux sur la complexité de l'analyse de la pollution des sols, des sous-sols et des eaux souterraines, ainsi que des travaux qui peuvent être mis en oeuvre pour traiter cette pollution.

Quelle évaluation faites-vous des techniques de dépollution aujourd'hui disponibles en France au regard non seulement de leur faisabilité, mais aussi de la maîtrise de leur coût ? À ce propos, quel est votre sentiment sur la qualité des diagnostics des sols réalisés par les bureaux d'études certifiés et sur leurs recommandations : les travaux de dépollution préconisés vous semblent-ils généralement pertinents, réalistes et financièrement maîtrisés ?

Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Monsieur Nogrette, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-François Nogrette prête serment.

Jean-François Nogrette, directeur de Veolia Technologies et Contracting, membre du comité exécutif. - Je voudrais d'abord resituer l'action du groupe Veolia sur les sites pollués. Nos premières réalisations ont démarré en France au début des années 1990. Elles visaient à l'origine la protection de la qualité des eaux souterraines, avant que la pollution ne migre vers les nappes phréatiques et ne devienne très difficilement réversible.

Veolia a ensuite créé GRS Valtech. Cette entité spécialisée dans les travaux de dépollution, toujours active aujourd'hui, s'est progressivement développée en France, avant d'exporter son savoir-faire - en Suisse, en Italie - et d'acquérir de nouvelles techniques - au Danemark -, d'abord en Europe, puis en Chine, en Amérique latine, en Amérique du Nord, et plus ponctuellement, au Moyen-Orient.

Nous avons également diversifié nos prestations depuis une dizaine d'années avec la dépollution pyrotechnique et radiologique de sites contaminés. Nos équipes interviennent à deux étapes du chantier : lors des travaux, qui sont réalisés en France par GRS Valtech, puis au moment du traitement et de la valorisation des terres susceptibles d'être évacuées lors de la dépollution. Veolia met à disposition de ses clients des filières dédiées aux sols - biotraitement, lavage de sols, désorption thermique - et des filières partagées avec d'autres déchets - centres de stockage ou unités d'incinération de déchets dangereux. En revanche, nous agissons moins en amont pour les diagnostics, qui sont plutôt réalisés par des bureaux d'études.

Sur le marché français, nos clients sont à 40 % des industriels, à 40 % également des aménageurs - promoteurs immobiliers ou établissements publics fonciers -, et pour les 20 % restants des collectivités, des bureaux d'études et l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Généralement, GRS Valtech intervient en France à l'issue d'un appel d'offres, qui est fondé sur un diagnostic approfondi réalisé par un bureau d'études à la demande du maître d'ouvrage.

En pratique, l'activité de dépollution des sols est très largement orientée par le marché de l'immobilier : d'une part, la valeur du site finance un grand nombre d'opérations de dépollution, et, d'autre part, le marché de l'immobilier influence la stratégie retenue. La plupart du temps, les équipes cherchent à réduire le temps d'immobilisation du terrain pour le libérer le plus tôt possible en faveur de l'aménageur.

Les travaux de dépollution peuvent être réalisés par excavation et évacuation des sols vers des filières de traitement et de valorisation, dont celles de Veolia, qui enregistrent actuellement une forte croissance de leur activité. Cette méthode, qui consiste à déplacer des terres contaminées vers un site de traitement ou un centre de stockage, est la solution majoritairement retenue aujourd'hui, alors que les prestations in situ étaient beaucoup plus nombreuses voilà dix ou quinze ans. L'objectif est double : limiter le coût lié à l'évacuation, tout en privilégiant celle-ci pour les projets immobiliers. À ces fins, un certain nombre d'opérateurs proposent des voies de réutilisation des terres polluées.

Toutefois, ces pratiques sont encadrées par les préconisations d'un certain nombre de guides techniques. Nous attendons d'ailleurs un prochain arrêté relatif à l'exclusion du statut de « déchet » des terres excavées et à la traçabilité de celles-ci dans le cadre de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC). Cet encadrement nous paraît indispensable afin de limiter les risques de dispersion des pollutions.

Je le souligne, certains pays comme la Belgique et les Pays-Bas ont développé depuis de nombreuses années des stratégies pour attirer les terres contaminées en provenance de l'Europe entière, puis les valoriser, principalement dans les polders.

Néanmoins, d'après l'inventaire de la base de données des anciens sites industriels et activités de services (Basias), l'opportunité d'une valorisation foncière n'est pas si fréquente pour ces sites. De plus, l'évacuation des terres décontaminées étant dans ces cas-là trop coûteuse, les techniques biologiques in situ sont privilégiées, à condition qu'elles se révèlent pertinentes et efficaces. Les terres dépolluées peuvent aussi être confinées sur place et transformées en nouvelles cellules de stockage.

Toutefois, faute de valorisation foncière, dans la plupart des cas, ces sites ne sont pas dépollués, pas plus qu'ils ne sont réinvestis. En France, comme dans de nombreux pays, il est imprudent de réutiliser un site pollué : un simple exploitant peut se voir imposer la décontamination au titre des activités passées. Même avec leurs atouts, tels qu'un bassin d'emploi, la proximité de sous-traitance ou des voies d'accès, les anciens sites industriels sont rarement réemployés par d'autres professionnels.

Certaines pratiques favorisent la réutilisation non pas des terres, mais des sites industriels contaminés - c'est le cas en Allemagne pour la chimie, avec les fameux Chemparks. Ces sites exploités par des industriels ne sont pas dépollués et demeurent la propriété d'établissements fonciers, publics, privés ou mixtes, qui sont chargés de la sécurité du sol et en perçoivent des loyers.

En France, la tendance est plutôt de réinvestir des sites sur des terrains vierges, infléchie par quelques contre-exemples à l'instar des ports autonomes, dont certains sont partiellement contaminés : le locataire ne prend pas en charge le risque passé de la pollution.

Dans une stratégie de relocalisation de l'industrie, l'inventaire Basias pourrait recenser toutes les opportunités de réutilisation d'anciens sites industriels.

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