Intervention de Luc Lallemand

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 3 juin 2020 à 16h15
Audition de M. Luc Lallemand président-directeur général de sncf réseau

Luc Lallemand, président-directeur général de SNCF Réseau :

Je souhaite tout d'abord vous dire à quel point je suis heureux d'être parmi vous cet après-midi. Je suis ravi que ma première intervention devant la représentation nationale se fasse au sein de la chambre des territoires, qui est particulièrement attentive aux défis et aux enjeux que souhaite relever SNCF Réseau.

J'ai pris mes fonctions de président-directeur général de SNCF Réseau le 1er mars dernier. Mon audition devant votre assemblée était initialement prévue début avril, mais n'a malheureusement pu se tenir, en raison de la crise que nous traversons.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je souhaiterais brièvement me présenter à vous. Je suis ingénieur commercial de formation, et titulaire d'un diplôme d'officier de pont de la marine marchande. J'ai rejoint la Société nationale des chemins de fer belges (SNCB), petite soeur de la SNCF en six fois moins grand, en 1991. J'y ai occupé différentes fonctions avant d'en être directeur financier pendant trois ans. Au moment de la scission de la SNCB en trois entreprises séparées, j'ai fondé et dirigé le gestionnaire d'infrastructures ferroviaires belges Infrabel, et ce pendant plus de quinze ans.

En parallèle, j'ai été administrateur de RFF de 2007 à 2015, et de RATP Dev de 2011 à 2020, ce qui m'a permis de me familiariser avec le secteur des transports en France.

Je souhaiterais en premier lieu vous exposer la manière dont SNCF Réseau a géré la crise sanitaire. Depuis le début de l'épidémie de Covid-19, SNCF Réseau a été guidé par deux préoccupations fondamentales, la première de garantir la sécurité sanitaire de ses salariés, de ses clients ainsi que de l'ensemble des intervenants dans ses activités, la deuxième de répondre aux besoins évolutifs des clients.

C'est dans ce cadre que nos activités ont pu être organisées autour de trois priorités, la première d'assurer le niveau de maintenance nécessaire du réseau pour garantir la circulation dans la durée, pendant et au-delà de la période de confinement, la deuxième de garantir la gestion du trafic des trains de voyageurs et de fret qui ont été maintenus pendant la crise, surtout pour les trains de fret, et enfin reprendre très progressivement les chantiers d'investissement, après une phase d'arrêt suite à la mise en place du confinement de la population.

Pour assurer la continuité de l'approvisionnement et de la vie économique sur le territoire, SNCF Réseau a donné une priorité absolue au trafic de fret. Il s'agissait en effet d'assurer l'approvisionnement des entreprises et de la population. Je pense par exemple aux transports massifs de carburant, de produits alimentaires, de matériel militaire, de produits liés à l'industrie chimique ou pharmaceutique.

Chaque jour pendant la période de confinement, environ 700 trains de fret ont circulé sur le réseau, soit près de 70 % des trains de fret d'une journée ordinaire. Il est important de noter que la baisse du volume était liée à la réduction de la demande et non, comme on l'a parfois prétendu, à la difficulté de satisfaire cette demande.

La tenue et la bonne gestion des postes d'aiguillage et des centraux sous-stations, qui gèrent l'alimentation électrique de la caténaire, fondamentale pour le trafic, sont indispensables à la circulation des trains sanitaires, ainsi que des trains de voyageurs ou de fret.

La très large majorité du réseau est de ce fait restée ouverte, souvent avec des adaptations horaires. Pourtant, dans certaines régions, SNCF Réseau a dû faire face à une diminution significative des agents disponibles.

Au-delà de l'entretien du réseau exploité, qui a pu se poursuivre, SNCF Réseau a dû constater l'arrêt de l'essentiel des chantiers d'investissement, dans quelques cas parce que ces chantiers empêchaient de donner la priorité à la circulation des trains de fret mais surtout, dans la grande majorité des cas, en raison de l'arrêt de l'ensemble du secteur des travaux publics au début du confinement.

SNCF Réseau a veillé à un arrêt maîtrisé des différents chantiers pour permettre leur sécurisation et faciliter les conditions de reprise. Cet arrêt du chantier a été commun à l'ensemble du secteur BTP et a fait l'objet d'un travail entre l'État, les fédérations professionnelles et les principaux maîtres d'ouvrage, afin de définir les modalités de travail qui permettent la reprise de l'activité, avec toujours pour priorité de garantir la sécurité sanitaire des salariés. Ce travail a abouti, au début du mois d'avril, à la publication d'un guide de l'organisme professionnel de prévention du BTP, qui a été validé par les ministères de la santé et du travail.

L'ensemble de ces mesures de protection sanitaire a permis une reprise progressive des chantiers d'investissement dès le début du mois d'avril. Certains chantiers prioritaires ont redémarré - je pense au fameux talus de Sèvres - et, dès la mi-avril, nous avons repris plusieurs très grands projets, comme les travaux du tunnelier dans le chantier Eole. On peut dire à ce jour que 85 % des chantiers d'investissement ont redémarré et que 100 % des chantiers auront redémarré fin juin au plus tard.

Rien n'aurait pu se réaliser sans l'engagement et la mobilisation forte des cheminots, qui ont été au rendez-vous. J'ai pu le constater une nouvelle fois : les cheminots accomplissent un travail admirable, souvent méconnu. Qu'il gèle à pierre fendre ou sous la canicule, les femmes et les hommes du rail travaillent à l'amélioration du réseau. Ils sont profondément attachés à leur outil de travail. Cela a été vrai aussi bien pour la maintenance essentielle du réseau que pour l'organisation exceptionnelle des trains sanitaires, ou encore pour assurer la continuité du transport de marchandises, grâce en particulier aux horairistes et aux aiguilleurs.

Comme l'a indiqué le président du groupe, Jean-Pierre Farandou, la force du groupe SNCF est d'être un groupe d'utilité publique, d'autant plus en période de crise, les cheminots faisant preuve d'un engagement et d'une mobilisation sans faille.

J'en viens maintenant à la situation économique et financière de SNCF Réseau, et à ce qui peut constituer, après trois mois à la tête de cette entreprise, dont deux mois et demi en gestion de crise, mon rapport d'étonnement.

Sans conteste, le rail français est l'un des plus beaux outils de mobilité au monde, et je sais à quel point les Françaises et les Français aiment leurs chemins de fer. Le chemin de fer fait partie de leur patrimoine national. Le réseau ferré français est le deuxième réseau européen après le réseau allemand. Il est composé de plus de 46 000 kilomètres de voies et de 2 600 kilomètres de lignes à grande vitesse, outil tout à fait remarquable, et présente trois grandes spécificités.

En premier lieu, il est très étendu et compte 15 400 passages à niveau, plus de 132 000 ouvrages d'art et 2 200 postes d'aiguillage. Sa deuxième grande caractéristique est sa vétusté. L'âge moyen des voies est de trente ans, celui de la caténaire de près de quarante ans. Les appareils de voies ont près de vingt-neuf ans, et l'âge moyen des appareils de signalisation se situe autour de vingt-six ans. L'âge moyen des composants du réseau est donc assez important. La troisième caractéristique de notre réseau est la diversité des trafics. Le trafic est en effet très polarisé entre des zones saturées, en premier lieu en Île-de-France, et des zones où le trafic est nettement plus faible.

Les efforts consentis par les gouvernements depuis 2012 ont permis de stabiliser la tendance au vieillissement de la voie, mais non des autres composantes du réseau. Il ne s'agit que d'une stabilisation et non, hélas, d'une amélioration.

Le retard accumulé depuis trente ans sera long à résorber et requiert des efforts importants et durables, malgré les efforts du pacte ferroviaire, qui a permis d'intensifier les montants affectés à la régénération. Un audit indépendant sur le réseau français a été réalisé il y a trois ans par une équipe d'experts internationaux, spin-off de l'École polytechnique de Lausanne, qui a permis d'objectiver toutes ces données.

Fondé sur le constat de la poursuite du vieillissement du réseau français et de l'entrée des lignes à grande vitesse de première génération dans le cycle de rénovation, ce rapport a recommandé une augmentation progressive du budget de rénovation à 3,5 milliards d'euros par an, contre 2,8 à 2,9 millions d'euros pour l'instant.

L'effort indispensable de régénération et de modernisation du réseau s'inscrit dans un nouveau cadre économique et financier. En effet, le 1er janvier dernier, l'entreprise est devenue une société anonyme. En parallèle, SNCF Réseau doit ramener les cash-flows à l'équilibre à l'horizon 2024. Pour mémoire, le cash-drain de SNCF Réseau s'élevait en 2019 à environ 2 milliards d'euros.

Cet objectif est essentiel pour la société, non seulement vis-à-vis de l'État et du groupe SNCF, lui-même engagé dans un processus de redressement de ses comptes, mais également vis-à-vis des parties prenantes et des collaborateurs afin d'éviter tout accident à l'avenir. L'équilibre financier - il ne s'agit pas de faire du profit - est indispensable à la viabilité d'une société anonyme. Comme dans une famille, la totalité des dépenses ne peut excéder la totalité des recettes.

Pour atteindre cet équilibre, SNCF Réseau doit d'abord montrer l'exemple de la frugalité. Nous allons réaliser un programme de près de 1,6 milliard d'euros sur dix ans en économies de coûts et en gains de productivité. Productivité ne signifie pas travailler plus, mais chaque heure travaillée est plus productive grâce à une organisation efficace de l'outil industriel.

L'État intervient avec un désendettement de près de 35 milliards d'euros et avec le recyclage dans le réseau des dividendes reçus du groupe SNCF qui sont, hélas, suite à la crise due à l'épidémie de Covid-19, en très forte diminution. L'équation est simple à poser et un peu plus difficile à résoudre : elle comporte d'une part une exigence de retour à l'équilibre financier et, d'autre part, un retard important de rénovation à combler.

À cela s'ajoutent de nouvelles normes, dont nous ne contestons pas le bien-fondé, mais que nous devons absorber dans nos comptes, comme l'annonce de la fin du glyphosate d'ici fin 2021 ou les conséquences de la loi Didier sur la prise en charge des ouvrages d'art, ainsi que les pertes liées à la grève contre la réforme des retraites.

Le choc consécutif à la pandémie de Covid-19 a été particulièrement difficile pour SNCF Réseau, qui a vu ses recettes de péage fortement diminuer et a dû faire face aux surcoûts des travaux liés aux mesures prises dans le cadre du contexte sanitaire. Le futur contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau est donc crucial. Son enjeu sera de parvenir à conjuguer une trajectoire de retour à l'équilibre avec un niveau ambitieux de régénération du réseau. Les besoins de rénovation vont en effet croissant : les lignes à grande vitesse doivent être rénovées, et cette rénovation doit être étendue à la signalisation, aux caténaires et aux ouvrages d'art.

Je souhaiterais accélérer la rationalisation de l'outil industriel pour faire du réseau français un fleuron européen en engageant une réduction du nombre de postes d'aiguillage, en créant de grands centres de commande centralisés et en réduisant significativement le nombre d'appareils de voie - aiguillages, traversées-jonctions doubles.

Enfin, le contrat de performance devra éclairer l'avenir des lignes de desserte fine du territoire. Aujourd'hui, SNCF Réseau entretient 100 % du réseau mais ne peut rénover totalement celui-ci. Le cadre de la LOM peut nous permettre de repenser notre relation partenariale avec les régions à ce sujet.

Enfin, je ne peux terminer mon propos sans évoquer un éventuel plan de relance pour le ferroviaire. Il comporte deux enjeux bien distincts. Le premier consiste à préserver les investissements prévus au pacte ferroviaire, le second à identifier à quelles conditions l'on pourrait faire plus si l'État décide d'un plan de relance fondé sur des objectifs de soutien à l'activité et de baisse des émissions de CO2.

Certes, l'infrastructure n'est pas une activité de court terme. En revanche, elle a des effets multiplicateurs, notamment s'agissant du soutien à la filière industrielle. Par ailleurs, le train a une double vertu : il économise l'espace et les ressources. Il représente 10 % du transport de voyageurs et de marchandises, mais seulement 1,6 % des consommations d'énergie, et 0,6 % des émissions de CO2 des transports. Je relaye ainsi la demande du président du groupe, Jean-Pierre Farandou, de donner au ferroviaire toute sa place dans le monde des nouvelles mobilités, et de doper sa capacité d'investissement.

Le train est un moyen de transport fabuleux. La France dispose d'un phénoménal actif ferroviaire, et de cheminots passionnés et très engagés. Le train peut projeter notre pays résolument dans la transition écologique et ainsi démontrer que la France reste l'un des meilleurs endroits pour vivre sur la planète. Tous ensemble, soutenons le ferroviaire !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion