Monsieur Chevrollier, que peut-on mettre en avant pour justifier un investissement supplémentaire ? On est en fait dans une situation où les enveloppes, telles qu'elles sont programmées pour la régénération, ne sont pas aujourd'hui suffisantes pour maintenir la totalité des techniques ferroviaires en état de stabilisation.
On a une stabilisation de la technique relative aux voies, une des plus importantes en termes de sécurité. Concernant les deux autres techniques ferroviaires que sont la caténaire et les courants forts d'une part et, d'autre part, la signalisation, les enveloppes actuelles du contrat de performance ne permettent pas de stabiliser la situation. Les choses continuent donc, pour ces deux techniques, à se dégrader. Cela ne permet malheureusement pas, en matière de signalisation, d'engager le réseau ferroviaire national français dans un investissement systématique en faveur du nouveau système ERTMS et TCS.
Toutefois, la France ayant été pionnière, au début des années 1980, dans l'invention et la mise au point du TGV, elle a fort logiquement développé un système de signalisation embarquée appelé Transmission voie-machine (TVM), qui a connu plusieurs versions, dont la TVM 430. Le système actuel de signalisation des TGV français dispose des mêmes fonctionnalités que la signalisation européenne (TCS). La seule différence vient du fait que ce dernier système européen est interopérable, contrairement à la TVM française.
Il faut toujours bien nuancer les choses. L'enveloppe ne permet pas de stabiliser le domaine de la signalisation. On ne peut réaliser les TCS, mais c'est beaucoup moins grave que dans d'autres pays, le réseau TGV étant équipé d'un système de signalisation à la base très performant.
Dans une telle situation, lorsqu'on propose, le cas échéant, dans une discussion qui a démarré, de réaliser un investissement supplémentaire, la difficulté vient du fait que ce n'est pas pour faire plus, mais pour empêcher la dégradation et permettre de maintenir ce qu'on appelle, dans le système ferroviaire, la substance du réseau. Il faut en effet un certain montant annuel d'investissement pour la maintenance et le renouvellement. Si on n'est pas à niveau, il existe une perte de substance. Il convient de décider, à un moment donné, de le récupérer ou d'établir les pertes de fonctionnalités sur le réseau.
Que mettre en oeuvre pour justifier un investissement supplémentaire ? Il faut tout simplement maintenir les fonctionnalités actuelles, voire les améliorer, dans un contexte de décarbonation des transports et de l'économie française.
Concernant l'impact social des économies de 1,6 milliard d'euros, et l'impact potentiel sur le recrutement des jeunes, ce montant est cumulé sur dix ans. Plus de la moitié du programme consiste à réaliser des économies de coûts qui ne concernent pas le personnel, comme une meilleure relation avec nos partenaires industriels. On pense plus au life cycle cost, notamment concernant les installations et, grâce à un partenariat plus solide entre les fournisseurs et SNCF Réseau, on parvient à réaliser des économies sur la chaîne de valeur industrielle.
S'agissant de l'impact social potentiel, nous n'irons pas plus vite que ce que permettent la pyramide des âges et les départs naturels. Jean-Pierre Farandou l'a indiqué à plusieurs reprises : l'emploi et la préoccupation sociale dans le groupe SNCF restent une des premières préoccupations. Nous allons donc organiser ces programmes de telle manière que cela ne dépasse pas le rythme naturel des départs de la société.
En ce qui concerne le recrutement des jeunes, des recrutements extrêmement importants en nombre continuent à être effectués. La difficulté est plutôt de trouver des candidats dans les métiers fort demandés, comme les métiers de l'ingénierie ou les métiers techniques, et d'avoir la capacité de formation.
Je suis très optimiste pour ce qui est du recrutement des jeunes. SNCF Réseau et la totalité du groupe SNCF vont continuer à recruter massivement des jeunes, en particulier dans les métiers techniques.
Les nuisances sonores engendrées par les LGV constituent un sujet que je n'ai pas encore pu documenter. Plutôt que de vous donner des éléments imprécis, je me permettrai, si c'est possible et si c'est l'usage de votre commission, de vous répondre par écrit.
Sur le point de savoir si un réseau qui manque d'entretien peut être performant, c'est le débat que nous aurons avec l'État dans le cadre du contrat de performance. La solution la plus favorable pour le réseau serait d'atteindre des montants de régénération qui permettent de maintenir la totalité du réseau français dans son état actuel, voire de l'améliorer. Ceci nécessite un effort financier non négligeable. Il faut convaincre l'État que c'est nécessaire.
On peut aussi renverser le raisonnement, partir d'une enveloppe limitée et voir comment privilégier le développement du réseau. Le plan stratégique de SNCF Réseau, tout en ne perdant pas de vue l'importance des lignes de desserte fine du territoire, reconnaît que l'argent du contribuable doit prioritairement être orienté vers le réseau le plus utilisé.
Il existe une différence de l'ordre de 600 à 700 millions d'euros entre les montants aujourd'hui investis et ceux nécessaires pour stabiliser les choses. Toute la question est de savoir où va se situer l'arbitrage final.
Vous avez parlé de performances. Je sais que le sujet de la libéralisation et de l'ouverture à de nouveaux clients et à de nouveaux opérateurs est une des grandes préoccupations de votre commission. C'est aussi l'une de celles de SNCF Réseau. Il est clair qu'un réseau parcouru par un plus grand nombre d'opérateurs est mieux rentabilisé : plus les trains utilisent ce réseau, plus on dispose de moyens pour l'entretenir et l'améliorer.
La maintenance du réseau et son bon entretien constituent donc des questions stratégiques en termes de libéralisation. On observe partout, en Europe et ailleurs, que la libéralisation a bien fonctionné, notamment sur les réseaux bien entretenus. Il est beaucoup plus difficile d'attirer de nouveaux clients sur un réseau dégradé. Ce n'est pas seulement un enjeu de performance. Il s'agit d'attirer de nouveaux clients ou de mieux satisfaire les clients existants, qu'ils appartiennent au groupe SNCF ou qu'ils soient en dehors de celui-ci.
M. Jacquin et vous-même, monsieur le président, me demandez des réponses plus précises, et attendez de ma part un rapport d'étonnement plus critique. Je ne suis pas critique par plaisir. Le secteur ferroviaire est un secteur passionnant parce qu'il touche à toutes les dimensions de la vie sociale, économique et politique. C'est aussi un secteur où il existe, partout en Europe, une interaction extrêmement forte avec la décision politique et les élus, qui ont la légitimité suprême en matière de décisions.
Mon rapport d'étonnement porte sur un réseau qui offre trois visages. Le premier, c'est le TGV, qui fait l'admiration du pays, mais aussi à l'extérieur. Il est certes en très bon état, bien que les lignes les plus anciennes datent du début des années 1980. Un effort va devoir être fait, comme pour le reste, pour les maintenir à niveau.
En deuxième lieu, de gros efforts sont à réaliser sur certaines lignes du réseau structurant UIC 2 à UIC 6, notamment grâce à la technique des suites rapides, que beaucoup d'autres réseaux étrangers observent avec attention, qui consiste à régénérer certains tronçons de lignes ou certaines lignes de manière accélérée. Ce réseau concerne les trains d'équilibre du territoire, qui sont extrêmement importants dans un pays comme la France, dont la géographie et la taille se prêtent extraordinairement bien au train.
Je suis un peu plus critique quant à l'état du troisième réseau, celui des lignes de desserte fine du territoire, pour lequel un certain nombre d'initiatives ont été prises par le ministre. Il convient de voir, dans le cadre du contrat de performance, les financements qui y seront consacrés et l'avenir qu'on peut lui réserver.
S'agissant de l'indépendance de SNCF Réseau, l'État français a souhaité mettre en place un groupe SNCF intégré, auquel appartient SNCF Réseau en tant que société anonyme. Un certain nombre de dispositifs ont été mis en place pour garantir l'indépendance des fonctions essentielles que sont la tarification de l'infrastructure et l'attribution des sillons. Il existe également une protection particulière en matière de décisions d'investissement. Des pouvoirs ont été conférés à l'ART, régulateur très puissant - bien plus que dans d'autres pays -, qui a son mot à dire sur la nomination et la révocation du président-directeur général de SNCF Réseau. Je suis légaliste : nous nous en tiendrons donc aux textes. Les textes, tous les textes, rien que les textes !
J'ai eu l'occasion, dans une vie antérieure, de connaître deux systèmes d'organisation durant quinze ans et j'ai la conviction que le modèle choisi par la France permettra d'une part de marier l'eau et le feu et d'avoir un excellent niveau de collaboration et de concertation entre l'infrastructure et le personnel roulant et, d'autre part, de maintenir l'ambition de libéraliser le secteur tout en attirant de nouveaux opérateurs.
Aujourd'hui, SNCF Réseau dispose sur ses rails de quarante-deux clients. Ce n'est pas négligeable. Je reconnais que c'est moins que l'Allemagne, mais comparé à de nombreux autres pays européens, on peut tout de même dire que la France est assez avancée dans la libéralisation de son système de transport ferroviaire et, même au-delà, de transports publics.
J'ai l'intention d'exercer les prérogatives qui me sont confiées par le système de gouvernance ferroviaire française de manière professionnelle, en restant attentif à toutes les dispositions de droit qui me sont applicables, sans en oublier aucune.
J'ai employé le terme de consolidation financière avec la société mère, et non celui d'immixtion de la société mère dans les décisions d'investissement de SNCF Réseau. Cette nuance est très importante. En effet, SNCF Réseau fait partie du groupe public unifié. Certaines des obligations de droit financier et de droit économique s'appliquent naturellement et automatiquement, comme dans n'importe quel groupe d'entreprise.
Le capital de SNCF Réseau, en vertu de la loi, est détenu à 100 % par la maison mère. Il est donc logique et légal que SNCF Réseau soit consolidée dans le bilan de la société mère.
Comment les travaux vont-ils être reprogrammés après la crise issue de la pandémie de Covid-19 ? La réponse est simple, mais l'exécution plus compliquée : l'intention du conseil d'administration et du management est évidemment d'exécuter tout le budget 2020 tel qu'il a été voté par le conseil en novembre et décembre. Nous faisons pour l'instant l'impossible, avec toutes les équipes de terrain, pour reprogrammer les travaux qui ont dû être déprogrammées durant deux mois. Pour une fois, le sujet n'est pas financier ou économique. C'est plus un sujet de disponibilité des voies. Nous souhaitons évidemment accorder la priorité au client final, qu'il s'agisse de voyageurs ou de fret. SNCF Réseau doit le programmer très longtemps à l'avance. C'est le handicap devant lequel nous nous trouvons pour l'instant.
C'est un sujet vraiment complexe sur le plan opérationnel. Nous avons perdu des sillons ou des slots en masse durant ces deux mois, avec parfois des week-ends prolongés, qui sont pour nous systématiquement l'occasion de réaliser des travaux qui nécessitent plus de deux jours de suivi. Nous sommes en discussion avec nos clients, car nous devons nous concerter pour reprogrammer des périodes durant lesquelles ils seront le moins possible dérangés.
Je partage votre analyse et la comparaison que vous établissez avec le monde hospitalier : quand on commence à tout découper, on ne voit plus la finalité de ce que l'on fait. Tout est question d'équilibre dans le monde des chemins de fer. SNCF Réseau, en bonne intelligence avec le reste du groupe, va être très attentive à la question des territoires. Il est clair qu'un euro investi dans les chemins de fer doit profiter au plus grand nombre de contribuables mais, en tant que service public, nous devons être capables de tenir compte des zones moins bien desservies ou plus retirées. Même si le discours d'économie des transports tend à affecter les deniers vers le réseau le plus parcouru, nous souhaitons malgré tout porter une attention très soutenue à la logique des territoires et aux lignes de desserte fine du territoire.
Vous avez par ailleurs établi un parallèle entre le contrat de performance et le contrat CDG Express. Ce sont deux contrats très différents, dans la mesure où le contrat CDG Express est un contrat d'objectif très spécifique destiné à réaliser un projet. Le contrat de performance est un contrat beaucoup plus global, qui comporte des clauses de revoyure tous les trois ans sur une période de dix ans.
L'idée n'est pas de s'affranchir des clauses du contrat de performance en cours, mais il est en rediscussion et très différent du contrat CDG Express.
Quant au personnel, le salaire des cheminots a été maintenu durant toute la période, avec toutes les variables hors contraintes de terrain. Nous sommes dans une situation qui, pour l'instant, est stabilisée à cet égard, et dialoguons en permanence avec les organisations représentatives du personnel.