Intervention de Laurence Harribey

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 17 juin 2020 à 9h30
Proposition de loi adoptée par l'assemblée nationale relative au droit des victimes de présenter une demande d'indemnité au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Laurence HarribeyLaurence Harribey, rapporteure :

En application de l'article 45, le périmètre retenu pour cette proposition de loi concerne les dispositions relatives au délai dont disposent les victimes d'infractions pour adresser une demande d'indemnisation au FGTI.

Cette proposition de loi a pour objet de modifier l'article 706-5 du code de procédure pénale relatif à la forclusion des demandes d'indemnisation. Une loi de 2000 a créé une confusion dans l'interprétation des dates de computation des délais.

Permettez-moi au préalable de rappeler le cadre juridique et le mécanisme du FGTI.

En vertu de l'article 1240 du code civil, les auteurs d'infractions sont tenus de réparer les dommages causés aux victimes. Cependant, les victimes d'actes accidentels ou criminels commis par des acteurs inconnus, insolvables, non assurés ou assurés auprès de sociétés d'assurance défaillantes ne sont pas indemnisées par le biais des règles de droit commun. Ainsi, un mécanisme de solidarité nationale s'est mis peu à peu en place pour garantir les droits de la victime.

Dès 1951 a été créé un premier fonds pour les victimes d'accidents de la circulation dont l'auteur était inconnu et insolvable. Dans le même esprit, une loi de 1977 a prévu la prise en charge par l'État de l'indemnisation des personnes atteintes dans leur intégrité physique et placées dans une situation matérielle grave à la suite d'infractions dont l'auteur était inconnu ou insolvable. À cette fin, la loi a créé des commissions d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI), qui sont des juridictions civiles dans le ressort de chaque tribunal judiciaire. Malgré ces évolutions, ce dispositif paraissait trop restrictif, d'autant que la loi du 9 septembre 1986 a créé un fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme en prévoyant un régime plus favorable pour ces dernières. Aussi, la loi du 6 juillet 1990 a rapproché les deux mécanismes d'indemnisation pour aboutir à la création de ce FGTI, dont la mission est étendue à la prise en charge des victimes d'infractions de droit commun, même si les procédures applicables aux victimes d'actes de terrorisme et celles relatives aux autres infractions demeurent parfaitement distinctes.

En 2008, le législateur a créé un dispositif permettant aux victimes de bénéficier de l'intervention du FGTI pour recouvrer les sommes qui leur sont dues, au travers du service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions (Sarvi).

Je précise que le FGTI est financé par la communauté des assurés et ne reçoit donc aucune dotation budgétaire de l'État. Ce mécanisme est relativement complet au regard de ce qui se fait dans les autres pays européens.

En ce qui concerne la procédure applicable, il existe trois conditions d'éligibilité pour les victimes : d'une part, ne pas relever d'un autre régime d'indemnisation ; d'autre part, l'infraction doit avoir entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnelle égale ou supérieure à un mois, ou relève des agressions sexuelles, de la mise en péril des mineurs, de la mise en esclavage, de la traite des êtres humains ou du travail forcé ; enfin, la personne lésée doit être de nationalité française ou les faits doivent avoir été commis sur le territoire national.

Toute infraction pénale ayant causé un dommage corporel grave permet d'accéder à une indemnisation.

Abordons maintenant le délai qui pose problème.

Trois délais sont prévus : si aucune action pénale n'est engagée, la victime doit agir dans le délai de trois ans à dater de l'infraction ; si une action pénale est engagée, le délai est prorogé d'un an après la décision devenue définitive de la juridiction répressive ; si la juridiction répressive a accordé à la victime des dommages et intérêts, le délai pour saisir la CIVI d'une demande d'indemnisation est d'un an à compter de l'information donnée par la juridiction en application de l'article 706-15 du code de procédure pénale. Par ailleurs, la CIVI relève le requérant de la forclusion lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ou tout autre motif légitime.

Je rappelle que la CIVI statue de manière autonome : la demande est instruite et jugée recevable par la CIVI ; elle est traitée par le FGTI, qui dispose de deux mois pour proposer une solution, que le requérant peut accepter ou refuser dans les deux mois. Dans 70 à 75 % des cas, ce dernier accepte la solution ; dans le cas contraire, la CIVI fixera une indemnisation.

J'en viens à la proposition de loi. L'article 706-5 du code de procédure pénale introduit une protection moindre de la victime avec un délai d'un an, après notification, lorsque la décision de la juridiction a alloué des dommages et intérêts à la victime et que la demande est jugée irrecevable, alors que celle-ci peut faire appel. Or on peut concevoir qu'une victime attende l'aboutissement de la procédure avant de saisir la CIVI. Un arrêt de 2013 de la Cour de cassation a donné raison à cette interprétation restrictive et rejeté le recours déposé, au motif que le délai d'un an avait été dépassé.

La rédaction de cet article est complexe dans la mesure où deux solutions différentes sont prévues. Cela pose en outre la question de la responsabilité de l'avocat, qui est tenu d'alerter son client sur cette possibilité. Enfin, avec le développement de la numérisation, l'information est quasi systématique depuis 2010 et les problèmes se sont donc multipliés.

Par cette proposition de loi, nous proposons une clarification bienvenue.

Après la réécriture du texte par l'Assemblée nationale en liaison avec le Gouvernement, le texte supprime les modifications apportées à l'article 706-5 par la loi du 12 juin 2000 et les remplace par un dispositif plus conforme à l'intention du législateur, à savoir renforcer le droit à indemnisation des victimes. Un seul délai subsiste en cas de procédure, celui d'un an à compter de la décision devenue définitive. Cette modification s'opère en deux temps : d'une part, la mention d'un délai d'un an après notification pour les cas où l'auteur de l'infraction a été condamné à des dommages et intérêts est supprimée, ce qui prêtait à confusion ; d'autre part, il est codifié que l'absence de notification de la possibilité de saisir la CIVI devient explicitement un cas qui permet de relever le demandeur de la forclusion. On inscrit donc dans la loi une jurisprudence constante des CIVI.

Cette solution est de nature à lever toute ambiguïté et met ainsi fin à une différence de traitement pour les victimes, qui était injustifiable.

L'article 2, qui visait à assurer la recevabilité financière de la proposition de loi en prévoyant la création d'une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs, a été supprimé par le Gouvernement.

Les personnes que nous avons auditionnées ont mis en exergue deux difficultés qui subsistent ; elles sont réelles mais ne relèvent pas du domaine de la loi. Pour autant, je souhaite les souligner.

Premièrement, le classement sans suite n'interrompt pas le délai de trois ans. Certaines victimes peuvent découvrir qu'aucune action publique ne sera engagée alors qu'elles sont forcloses. Deuxièmement, la fédération France Victimes relève que les CIVI ont la possibilité, du fait de leur autonomie, de fixer un niveau d'indemnisation inférieur à celui qui est fixé par la juridiction répressive, ce que ne comprennent pas toujours les victimes.

En conclusion, je propose à la commission d'adopter ce texte sans modification.

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