L'Autorité de la concurrence a plusieurs fonctions : une fonction contentieuse - sanctionner les ententes et les abus de position dominante -, une fonction de contrôle des concentrations et une fonction consultative qu'elle exerce à l'occasion de saisines obligatoires ou facultatives. En l'espèce, l'Autorité avait été saisie par la commission des finances de l'Assemblée nationale pour répondre à une série de questions précises.
Pour savoir si l'Autorité de la concurrence a utilisé le bon indicateur dans sa réponse, il ne faut pas oublier quelles étaient les questions de départ. Celles-ci étaient centrées autour de l'activité des SCA, de la tarification de cette activité et des moyens de régulation disponibles. L'Autorité s'est donc intéressée à l'activité des sociétés d'autoroutes et non à leurs actionnaires. Elle n'avait pas pour mission de revenir sur les conditions de la privatisation des sociétés autoroutières, ni de faire une analyse de l'ensemble du secteur autoroutier.
Les éléments contenus dans son rapport permettaient de répondre à la question de savoir si l'évolution des tarifs autoroutiers respectait bien les règles tarifaires et si elle était proportionnée aux risques encourus par les sociétés d'autoroutes, risques mis en avant par les SCA.
Le contradictoire est utilisé dans le cadre des procédures contentieuses : après la notification des griefs, des réponses peuvent être apportées. Tel n'est pas le cas lorsque l'Autorité de la concurrence est saisie pour avis, puisque sa mission est alors de répondre aux questions posées. En l'espèce, l'Autorité a disposé de six mois environ pour instruire la demande - la saisine date de décembre 2013, la présentation de l'avis en séance a eu lieu en juillet 2014 et l'avis a été rendu en septembre 2014. Au cours de cette instruction, elle a questionné à plusieurs reprises les SCA sur un certain nombre d'éléments factuels et d'éléments d'appréciation, ainsi que sur l'indicateur à retenir pour juger de leur activité.
Je le répète, nous avons retenu le bon indicateur pour répondre à la question qui nous était posée et qui était centrée sur l'activité des SCA, les risques qui lui sont liées ainsi que les modalités de tarification et de régulation des tarifs et des marchés passés par les SCA.
Nous avons considéré que nous n'avions pas à nous intéresser à la question de la rentabilité des SCA, car ce n'était pas ce que l'on nous demandait. Je ne suis pas sûr au demeurant qu'une Autorité de la concurrence soit la mieux placée pour se prononcer sur de tels éléments financiers.
Notre mission était de regarder si les règles tarifaires étaient connectées à la réalité des coûts rencontrés et si le dispositif de régulation était satisfaisant, et de faire, le cas échéant, des propositions. Sur ces deux sujets, l'Autorité a apporté plusieurs réponses. S'agissant des règles de tarification, elle a proposé plusieurs modifications, assorties d'une série de caveat, étant donné qu'elle n'était pas en mesure d'apprécier les marges de manoeuvre juridiques permettant ou non de modifier les règles tarifaires en cours de contrat ou à l'occasion d'un contrat de plan. L'Autorité a recommandé que le Gouvernement saisisse le Conseil d'État pour l'éclairer sur les marges de manoeuvres qui étaient les siennes.
S'agissant de la régulation, l'Autorité a considéré que le cadre existant n'était pas assez robuste et qu'il y avait une asymétrie d'information et de moyens entre l'État et les concessionnaires à toutes les étapes des négociations. Si l'État était bien armé sur le plan technique - personne ne remettait en cause la qualité des ouvrages et leur robustesse - ses capacités étaient moindres sur le plan financier.
L'Autorité a considéré qu'il y avait besoin d'un régulateur indépendant pour corriger ces asymétries d'information et de moyens. Elle a été suivie sur ce point, et le travail que réalise aujourd'hui l'Autorité de régulation des transports (ART) confirme qu'il s'agissait d'une bonne idée. Ainsi, il existait des doutes sur la manière dont la compensation des nouveaux investissements était calculée dans le cadre des contrats de plan - or l'équilibre défini ne pouvait ensuite que difficilement être remis en cause par des analyses ex post. L'intervention de l'ART permet aujourd'hui de pointer du doigt certaines incertitudes en cours de négociations, par exemple sur le caractère utile ou nouveau des investissements prévus et sur la justesse des estimations retenues, ce qui rend le processus plus robuste.
S'agissant des marchés passés par les SCA, l'Autorité de la concurrence avait fait des propositions pour optimiser le système de régulation existant. Le législateur a considéré qu'il était plus efficace de confier cette mission au nouveau régulateur, ce qui était une bonne idée. L'ART est désormais en capacité de construire une base de connaissances sur le long terme, ce qui permettra à l'État d'avoir une vision plus fine et plus complète de la situation et de prendre des décisions davantage éclairées, en discutant avec les SCA sur la base d'informations objectivées.
La question de la dette des SCA a été prise en compte par l'Autorité de la concurrence à travers le prisme du risque et de son impact sur l'évolution des tarifs. L'avis de l'Autorité de la concurrence n'est pas l'alpha et l'oméga de l'appréciation de la situation des concessions autoroutières : ce n'était pas son objectif et ce n'est pas l'utilisation que l'on peut en faire.
S'agissant de la régulation, nous avons fait trois propositions dans son domaine de compétence : mieux réguler les contrats passés par les SCA, mieux armer l'État pour discuter des éléments financiers avec celles-ci, interroger le Conseil d'État sur les marges de manoeuvre existantes en vue de modifier les règles de tarification. Ces propositions ont été suivies.
Nous avons également proposé de modifier les règles d'évolution des tarifs afin qu'elles prennent en compte l'évolution du trafic, et pas seulement l'inflation, et qu'elles soient mieux connectées à la réalité des coûts - d'autant que le risque trafic était le principal risque mis en avant par les SCA pour justifier l'augmentation des péages. Nous avons en outre émis plusieurs hypothèses à explorer sur des formules de partage ou de réinvestissement des bénéfices. Ces recommandations n'étaient pas applicables directement mais avaient vocation à être expertisées.
Je le répète, l'avis de l'Autorité n'a jamais eu pour objectif de traiter l'ensemble des sujets liés aux concessions autoroutières. Pour cela, il faut un régulateur qui dispose d'un ensemble de données financières et de données relatives aux marchés passés, aux investissements réalisés et aux coûts rencontrés, et qui puisse les mettre en perspective. C'est ce que l'ART fera dans son premier rapport quinquennal sur l'équilibre économique et financier des concessions. Plus le temps passera, plus la vision sera complète et, à la fin des concessions, nous disposerons d'un historique de données et d'un régulateur qui sera monté en puissance.