Notre sixième conviction est que la crise a montré que le secteur du logement était en réalité une « chaîne » dont la solidité était celle de son maillon le plus faible. Il faut en avoir une vision écosystémique. Chacun y a sa place et aucun ne peut se passer du maillon suivant ou précédent. Dans ce jeu d'interdépendances, aucun acteur ne peut se sauver tout seul au détriment des autres. Il faut promouvoir une « chaîne de loyauté » et aider l'ensemble des acteurs à être plus résilients. On le voit bien en matière de surcoûts qui doivent être gérés au cas par cas en fonction des chantiers et des marges.
Notre septième idée est que, s'il y a une chaîne de production dans l'immobilier, il y a aussi un parcours résidentiel dont il nous faut maintenir la fluidité malgré la crise économique et qui est essentiel à l'équilibre de l'ensemble. Les sortants laissent leur place à de nouveaux entrants dans le parc social, les primo-accédants, notamment les jeunes ménages, permettent à leurs vendeurs d'être eux-mêmes acquéreurs.
Huitièmement point, la crise sanitaire a mis en lumière combien les Français étaient inégaux face au logement, sa taille et son éventuelle surpopulation, l'accès à des espaces extérieurs, son adaptation aux nécessités du télétravail ou sa proximité à un travail essentiel pour la nation.
Dans une étude parue au mois d'avril, l'Insee a montré que 5 millions de personnes vivaient dans un logement sur-occupé, la situation étant exacerbée dans les QPV d'Île-de-France et de la région PACA et pour les familles monoparentales avec de jeunes enfants. À l'inverse, l'isolement touche plus particulièrement 2,4 millions de personnes de plus de 75 ans et 1,2 million de personnes handicapées. Enfin, la fracture numérique est bien présente avec une absence de connexion à internet pour près de 12 % de la population, 53 % des plus de 75 ans mais également 3,5 % des enfants dans les familles monoparentales.
On a d'autant plus mal vécu le confinement qu'on est mal logé. La qualité du logement est donc un immense chantier, au même titre que la nécessité de fournir un logement aux travailleurs essentiels à proximité de leur lieu d'activité.
Neuvièmement, la crise a mis en lumière la situation des quartiers populaires car c'est là que se concentre le mal-logement dans toutes ses dimensions : insalubrité, sur-occupation, pauvreté, difficultés scolaires. Disons également, que la crise a révélé qu'en matière de politique de la ville, le roi était nu ! Les QPV sont essentiellement abordés sous les aspects sécuritaires et communautaristes, laissant de côté le travail scolaire, social et urbain.
Pourtant, il n'y a pas eu dans les quartiers l'explosion redoutée du fait du confinement même si on y a constaté de fortes tensions. Le confinement, qui y était beaucoup plus difficile qu'ailleurs, a été assez bien respecté. Mais le décrochage scolaire et la crise sociale y sont importants, faisant apparaître des besoins urgents, notamment alimentaires, et font craindre un découplage croissant avec le reste du pays.
La crise a aussi fait ressortir deux aspects fondamentaux de la politique de la ville telle qu'elle avait été dessinée par Jean-Louis Borloo : la question urbaine et architecturale : démolir et reconstruire autrement. Cela paraissait coûteux et inefficace à certains, cela se révèle tout simplement nécessaire, et la dimension « sociétale » : la politique de la ville doit poursuivre un objectif d'intégration.
Enfin, dixième leçon de la crise, la mise à l'abri quasi systématique des personnes à la rue ou en campement - près de 180 000 au total - a montré que la société changeait de point de vue. Il ne s'agit plus seulement d'humanité, il s'agit de préserver la santé de tous et, dès lors, il pourrait coûter moins cher de donner un toit à chacun plutôt que de prendre le risque de nouveaux clusters épidémiques. En termes d'hébergement d'urgence, cela induit deux grandes conséquences. Les hébergements collectifs, avec ce que cela implique de promiscuité, ne sont plus adaptés. On doit les restructurer sans pour autant réduire les capacités et la politique du « logement d'abord et accompagné » se révèle centrale.