Mes chers collègues, je tiens encore une fois à vous dire toute ma considération pour le travail impressionnant fourni par les cellules de veille et pour la motivation de tous les sénateurs de notre commission pour y participer. Je souhaite aussi remercier Sébastien, les membres de son équipe et chacun des administrateurs pour le travail considérable qu'ils ont mené à nos côtés.
Les plans de relance qui nous ont été présentés sont à l'image de ce qu'il y a de singulier au Sénat, cet ancrage territorial marqué qui nous permet de proposer des mesures concrètes à partir du terrain. Ce sont des travaux qui sont également à l'image d'un Sénat pluraliste, capable de dégager une vision partagée en respectant les sensibilités de chacun. C'est, je le crois, un des apports essentiels de notre Chambre que de savoir dégager des majorités d'idées. Pour que ces travaux puissent déboucher sur des rapports officiels du Sénat, cosignés par les co-pilotes au nom de notre commission, chacun de ces rapport est adopté un par un. Nous adopterons également le chapeau que je vous propose. Sur ce dernier point, la sensibilité politique de chacun pourra s'exprimer.
Il me revient maintenant de vous proposer une synthèse de ces travaux, inspirée des plans de relance sectoriels, mais aussi des auditions que nous avons menées en commission plénière. Il me semble que nous devons proposer à nos concitoyens, au-delà de chaque secteur, une stratégie globale. Je n'ai pas la prétention de vous apporter une vision prospective à dix ans, mais au moins modestement un diagnostic transversal et des orientations d'ensemble.
J'ai bien conscience que c'est un peu un défi, à partir d'une réalité aussi mouvante que la situation actuelle, mais je m'y risque. Il me semble important de pouvoir dégager une compréhension d'ensemble de la crise et des moyens de relancer l'activité. J'ai la conviction que le Sénat en général, et notre commission en particulier, doit être une force de proposition au service de notre pays et de nos concitoyens et pas simplement de réaction face à l'exécutif. J'ai aussi la faiblesse de penser que nous ne sommes pas seulement la commission des filières économiques, mais la commission des affaires économiques. Il est sain que, face au ministre de l'économie, nous ayons notre propre diagnostic et nos propres propositions. Et c'est cela que je souhaiterais, si vous en êtes d'accord, porter en votre nom.
S'agissant du constat et des premiers enseignements de cette crise, je serai assez courte car le constat est largement partagé. Cette crise est inédite notamment parce qu'elle résulte à la fois d'une crise sanitaire et d'une mise à l'arrêt volontaire de l'économie. Elle est planétaire et devrait se traduire, selon la Banque mondiale, par une diminution du PIB mondial de 5,2 % cette année ; elle est dramatique en France puisqu'avec une prévision de - 11 % du PIB pour 2020, c'est la plus forte récession observée dans notre pays depuis la Seconde guerre mondiale.
C'est, élément important, une crise qui est plus accentuée en France que chez la majeure partie de nos voisins européens, et notamment en Allemagne, où l'on prévoit une diminution du PIB de l'ordre de 6 %. Cette différence doit nous interroger.
Sans doute, la spécialisation de l'économie française y est pour quelque chose, en raison du poids important des services et notamment celui du tourisme ou de la restauration, de l'économie, de la culture ou du commerce de luxe, du poids de certaines industries de la mobilité durement impactées comme l'aéronautique ou l'automobile.
Cet écart s'explique probablement aussi par un niveau divers de disponibilité des tests, des masques et des réactifs, notamment lorsque l'on compare avec l'Allemagne, ce qui a conduit à des stratégies de gestion de crise avec leurs conséquences sur l'activité économique. Certains chiffres sont frappants. Seuls 15 % des chantiers ont continué dans notre pays pendant le confinement contre 80 % en Allemagne, si bien que l'activité du secteur de la construction a diminué de 80 % en France contre 3 % en Allemagne. C'est également vrai dans d'autres secteurs : dans celui de l'automobile la diminution est de 60 % en France et de 30 % en Allemagne.
Tous les secteurs sont touchés mais à des degrés variables, comme vous l'avez chacun souligné dans les différentes cellules de veille.
Cette crise est également hors normes parce qu'il s'agit à la fois d'une crise de la demande, avec une chute brutale de la consommation et la constitution d'une épargne de précaution massive, et une crise de l'offre, avec l'arrêt des entreprises du fait des fermetures administratives ou faute de salariés, d'approvisionnement ou de débouchés.
Cette crise est enfin singulière parce que nous n'en connaissons pas la fin. Le pays est passé au « vert » comme l'a annoncé le Président de la République, mais la crise économique est devant nous. Tout dépend de l'évolution de la pandémie en France et dans le monde. Même si celle-ci semble jusqu'à présent maîtrisée, l'essentiel de ses conséquences économiques va se faire sentir à l'automne prochain. Pour la Banque de France, comme pour tous les instituts de prévision, ses effets vont se faire ressentir pendant au moins deux ans. Nous ne retrouverons pas le niveau d'activité de la fin 2019 avant la mi-2022 et ceci, si la pandémie ne repart pas.
Car le point essentiel c'est bien sûr l'incertitude : tant que l'incertitude perdure, tant que la pandémie perdure dans le monde - et on voit ce qu'il se passe en Amérique Latine et maintenant en Afrique et en Chine - tant qu'existe la perspective d'une seconde vague, les ménages comme les entreprises auront des comportements attentistes. La France a déjà détruit, selon l'Insee, 500 000 emplois au premier trimestre ; le Gouvernement prévoit 800 000 chômeurs de plus d'ici la fin de l'année. Le chômage pourrait atteindre 11 % fin 2020. Il s'agit d'une crise majeure et c'est pourquoi la réussite du plan de relance est d'une importance capitale sur les plans économique, social et politique. Pour le dire de façon crue et rapide : chacun doit avoir en tête que rater la relance, c'est ouvrir la voie aux extrêmes, c'est vrai dans le monde, mais aussi en France.
Quelques enseignements de cette crise : le premier à mon sens, c'est une dépendance problématique vis-à-vis de certains fournisseurs. Tous les pays ont profité de la mondialisation et de la spécialisation des économies pour faire baisser le prix de nombreux biens de consommation. Mais les difficultés d'approvisionnement en équipements de protection individuelle (masques, surblouses, tests, réactifs) que nous avons connues et qui ont conduit à l'arrêt brutal de notre économie sont le revers de ces avantages. Chacun a pu constater que cette interdépendance est coûteuse en temps de crise ; elle l'a été d'autant plus que nous n'avons pas su diversifier nos sources d'approvisionnement. La France n'est pas le seul pays dans cette situation mais force est de constater que nos voisins allemands ont, eux, bénéficié rapidement d'une plus grande capacité de production nationale, en particulier de tests, qui leur a permis de déployer une stratégie de traçage plus tôt et plus massivement. Cette différence nous renvoie à la fragilité du tissu industriel français. Une industrie qui ne représente plus que 10 % du PIB en France contre 23 % en Allemagne. La question des masques renvoie également, me semble-t-il, à une autre question, celle des stocks stratégiques et de la gestion sanitaire de la crise - qui n'est pas notre sujet -, mais aussi à la question d'une mondialisation qui met en concurrence des régimes sociaux, fiscaux et environnementaux profondément différents, pénalisant ainsi les régimes les plus avancés.
Le deuxième enseignement de cette crise est justement la difficulté des pouvoirs publics en France, comme ailleurs, à piloter dans la mondialisation actuelle des politiques de prévention et de gestion des risques.
La première raison de cette situation est sans doute la multiplication des risques et la vitesse de leur diffusion aussi bien physiquement, on l'a vu avec le virus, que dans les esprits, avec les réseaux sociaux. Il faudrait à la fois anticiper le temps long et être capable de réagir dans l'instant.
La deuxième raison est que la mondialisation telle que nous l'avons organisée a réduit la marge de manoeuvre des États sans pour autant créer de capacités collectives à piloter des politiques publiques, qu'il s'agisse par exemple de la santé ou du climat. Or, on voit bien dans ces deux domaines que seules des coordinations permettront de limiter les conséquences des crises actuelles et futures. Ni les virus, ni le dérèglement climatique ne connaissent de frontières. Ce sont des biens publics. La seule construction politique qui a essayé de mettre en oeuvre des politiques publiques qui dépassent le cadre national, c'est la construction européenne. C'est une construction inédite, ambitieuse, mais dont on a vu la fragilité pendant la crise.
Enfin la troisième raison de cette difficulté à faire face à ce type de crise est le manque d'anticipation. On connaissait les conséquences potentielles de ce type de virus, mais nous n'étions pas préparés nulle part dans le monde et peut être moins en France que chez d'autres. Il faudra y remédier.
Le troisième enseignement de cette crise est le caractère stratégique du numérique, non seulement comme secteur d'activité, mais également comme une dimension essentielle de toutes les autres activités. L'essor du commerce en ligne et du télétravail en témoigne. Là aussi deux phénomènes doivent nous préoccuper, d'une part la trop faible numérisation de l'économie française et d'autre part l'absence de champion européen dans ce domaine qui nous renvoie à la question de la souveraineté numérique.
Voilà pour le constat et les enseignements. Cette crise met en lumière nos fragilités, celle du monde, celle de l'Europe et singulièrement celle de la France.
J'en viens aux objectifs. Il me semble, et cela se traduit dans vos plans de relance, que le premier objectif est de renouer avec un volontarisme économique audacieux et lucide. « Audacieux » parce qu'à circonstances exceptionnelles il faut des solutions exceptionnelles, « lucide » parce que nous ne sommes pas rentrés dans un « monde d'après » où tout serait possible et que, pour le dire tristement, nous avons les mêmes difficultés, les mêmes fragilités qu'avant la crise, mais en pire. Il nous faut donc partir d'un constat très lucide sur la réalité de la situation, nos points faibles et nos points forts pour construire un plan concret de relance qui ne se contente pas seulement de la sauvegarde immédiate de l'activité mais qui essaie de bâtir les fondations d'une croissance plus pérenne.
Je dis cela parce que cette sortie de crise est aussi une opportunité pour mettre notre économie sur les bons rails, moderniser notre appareil productif, conforter et consolider nos forces, changer nos méthodes y compris celle d'un État trop centralisé, trop bureaucratique, accélérer la décarbonation de notre économie et investir dans les secteurs d'avenir.
Alors plus précisément : quels objectifs ? J'en ai sélectionné quatre : le premier, le plus vaste, le plus compliqué, c'est d'approfondir la construction européenne pour peser dans la mondialisation. Renouer avec le volontarisme économique, c'est vouloir une Europe plus ambitieuse, moins naïve, plus exigeante à l'extérieur sur ses valeurs, ses normes sociales et environnementales, plus intégrée en son sein. Plus que jamais, l'Europe est l'échelon pertinent pour peser sur le monde, cela veut dire une Europe plus ambitieuse à l'extérieur sur sa politique commerciale, sur le « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières extérieures, mais aussi plus autonome stratégiquement avec un marché intérieur plus intégré et des politiques économiques mieux coordonnées. Je pense à la politique de la concurrence, à la politique industrielle et à la PAC, mais aussi à une plus grande harmonisation fiscale, budgétaire, sociale et environnementale. Je ne m'étends pas sur ce sujet qui mériterait non seulement un rapport mais une véritable volonté d'entamer ce process.
Le deuxième objectif est l'amélioration de la compétitivité des entreprises françaises. Nous avons approuvé ici des plans de relance de l'activité massifs par la dépense publique et c'est la bonne stratégie, tant du point de vue économique que du point de vue budgétaire, mais nous savons tous ici que seule la compétitivité de notre pays, de notre territoire et de nos entreprises sera le déterminant de long terme de la croissance et de l'emploi. Or, nous sommes entrés dans cette crise avec un fort déficit de compétitivité. Je vous rappelle que le déficit de notre balance commerciale s'élève à près de 60 milliards d'euros quand notre voisin allemand dispose d'un excédent de plus de 240 milliards d'euros. Nous ne manquons ni d'atouts, ni de secteurs d'excellence, mais la crise n'a pas fait disparaître nos faiblesses, elle les a accentuées. Nous avons des marges de progression aussi bien dans le domaine de l'industrie, - qui représente 80 % de notre commerce extérieur -, qu'en matière de positionnement commercial, de fiscalité ou de complexité administrative. La relance économique doit donc se traduire par une relance vigoureuse des chantiers de la compétitivité, y compris dans des secteurs comme l'agriculture.
Troisième objectif, la relocalisation de certains centres de décision et de production critiques. Nous devons être en mesure de garantir notre souveraineté économique, en lien avec nos partenaires européens, notamment dans des domaines aussi essentiels que la sécurité sanitaire ou alimentaire et au-delà dans les secteurs stratégiques. Il faut faire preuve dans ce domaine de volontarisme et de réalisme. Il ne faut pas promettre des choses que nous ne pourrons pas faire. Il me semble que le premier point est d'abord une évaluation de la situation aux niveaux national et européen ; le deuxième point est, sur la base de ce bilan, de définir une stratégie de diversification des pays d'approvisionnement avec le secteur privé. Le troisième point est de définir des secteurs prioritaires que nous souhaiterions relocaliser en Europe ou en France. Il n'est ni souhaitable, ni possible, de tout relocaliser. Un pays comme la France, aussi exportateur, ne peut avoir comme ambition l'autarcie. Si l'élément-clé d'une stratégie de relocalisation reste pour moi une politique de compétitivité et d'innovation, qui limite les délocalisations et attire les investissements - qu'il s'agisse d'investissements étrangers ou de relocalisations françaises - je n'exclus pas une politique plus volontariste de partenariats public-privé au niveau européen et au niveau français dans les domaines comme la fabrication de batteries ou de certains principes actifs pharmaceutiques. La question est, me semble-t-il, plus délicate pour les produits à faible valeur ajoutée. Les consommateurs français ou européens ne sont pas toujours prêts à payer un prix plus élevé pour une production réalisée sur le sol européen. Il faut être lucide, on ne relocalisera qu'avec des modèles économiques viables. Je pense que dans ce domaine il faut poursuivre deux voies : accélérer la robotisation des usines pour limiter l'impact du coût du travail quand c'est possible et d'autre part, développer des stratégies de relocalisation dans le pourtour méditerranéen.
Le quatrième objectif est de faire de la transition énergétique et environnementale un levier prioritaire de la reprise. Le fait que nous soyons obligés d'investir massivement pour relancer l'activité doit nous permettre de favoriser la décarbonation de notre économie. On a assez dit que l'on n'avait pas assez anticipé la crise sanitaire pour ne pas faire la même erreur pour la crise climatique qui se profile si nous ne contribuons pas à une croissance plus sobre en carbone.
La rénovation énergétique des bâtiments, l'essor des énergies renouvelables - tout en renforçant la compétitivité de l'énergie nucléaire - et la diffusion des véhicules et des carburants propres sont tout particulièrement nécessaires.
Voilà pour les principaux objectifs, j'en viens à la méthode.
Premièrement, le préalable à toute relance est la fin de la pandémie. Je veux croire que l'essentiel est derrière nous. Je ne m'étends pas plus mais tout le monde l'aura compris, si la pandémie repart à la hausse à l'automne en France ou ailleurs, quel que soit le plan de relance nous aurons un problème.
Mon deuxième point concerne la méthode de gouvernement. Nous avons assisté, en application du régime d'urgence sanitaire, à un épisode d'administration de l'économie et de la société françaises poussé à son paroxysme.
Il y a eu du bon et du mauvais, chacun a agi dans des conditions particulièrement difficiles, il y a eu des réussites et des ratés, un cloisonnement des administrations et des agences, des rigidités, des paperasseries inutiles. La commission d'enquête étudiera cela avec soin et objectivité.
Du côté des points positifs révélés pendant cette crise, je veux retenir, tant dans les secteurs public que privé, une formidable énergie, une capacité de mobilisation, d'adaptation, une agilité qu'il faudrait pouvoir conserver tout en revenant à un régime de droit commun. Il y a eu dans certaines circonstances, pour la fabrication des masques par exemple, des coopérations public-privé qu'il serait bon de mettre à profit pour la suite.
Du côté des points plus problématiques, il y a ce centralisme très français, surtout si on le compare à l'Allemagne. Il faut corriger ce travers parisien pour le jacobinisme et cette passion française pour la sur-administration. Le Président de la République a annoncé une nouvelle phase de décentralisation. Le Sénat prendra sa part de cette réflexion, d'autant que nous avons été en première ligne pour observer les dysfonctionnements flagrants pendant la crise.
Le temps de la relance devra de toute façon être plus collectif, en coordination avec, d'un côté, l'Union européenne et, de l'autre, les collectivités territoriales. Certains sujets évoqués relèvent exclusivement d'une mobilisation avec l'Union européenne - c'est le cas de la politique commerciale et de la politique de la concurrence -, dans d'autres cas il faudra absolument passer par les collectivités territoriales - qui assument 80 % des investissements publics : c'est pourquoi une bonne articulation entre ces trois niveaux - Europe, État, collectivités territoriales - est une des clés du plan de relance.
Cela suppose un approfondissement de la décentralisation et notamment des compétences en matière économique, nous y reviendrons lors de la discussion du projet de loi dit « 3D ». Cela suppose également une meilleure coordination entre les instances européennes et les régions, je pense notamment au plan de relance européen.
Une relance partenariale, une relance ambitieuse, mais aussi lucide pour l'état des comptes publics. La préservation du tissu productif qui est au coeur de nos plans de relance sectoriels est la bonne stratégie, tant sur le plan économique que budgétaire. Le budget jouera son rôle contracyclique. Cela est d'autant plus possible que les taux sont négatifs et que la Banque centrale européenne (BCE) achète nos obligations. Ce recours à la dépense publique a néanmoins des limites. On nous dit qu'il ne sera pas payé par des impôts, mais par de la dette ! Nous sommes déjà entrés dans cette crise avec un endettement public massif proche de 100 % du PIB, les charges de la dette s'élèvent déjà à plus de 40 milliards d'euros par an, c'est déjà le troisième poste budgétaire de l'État ! De ce point de vue, l'Allemagne est entrée dans la crise avec un excédent budgétaire de plus de 1 % et une dette publique représentant 60 % du PIB. Elle est bien plus armée que nous. Elle dispose d'une capacité de relance sans commune mesure avec la nôtre parce qu'elle avait procédé en amont aux réformes nécessaires. Un retournement des marchés financiers augmenterait les taux et le service de la dette, ce qui évincerait nos dépenses d'investissement autrement dit nos capacités de relance. Cela signifie qu'il faut dépenser avec discernement et efficacité.
Cinquième élément de cadrage : au regard du constat qui est le nôtre, la politique de relance doit être davantage axée sur l'offre que sur la demande. Le pouvoir d'achat des Français a été affecté mais est globalement maintenu notamment grâce au chômage partiel. En revanche, le niveau d'endettement des entreprises est aujourd'hui en train de flamber, du fait de l'absence de recettes pendant plusieurs mois. L'assureur-crédit Coface anticipe une augmentation de 21 % des faillites d'ici fin 2020, une croissance presque deux fois supérieure à celle des faillites prévue en Allemagne. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas de dispositions de relance de la consommation très ciblées sur certains secteurs - je pense au tourisme - ou certains publics en difficulté mais, ce qui paraît aujourd'hui le plus en danger, c'est bien notre tissu productif.
Sixième point de méthode : c'est le souhait de mettre en place une politique de relance pilotée par les résultats, c'est-à-dire évaluer et corriger à la manière dont le plan d'urgence a lui-même été appliqué au fur et à mesure de la crise. À l'heure des outils numériques et du big data, il me semble important que l'on puisse adapter les politiques publiques en fonction des données observées, de façon plus rapide qu'on ne l'a fait jusqu'à présent.
Après ces éléments de cadrage, je voudrais vous proposer des axes d'intervention pour « relancer la croissance » ou j'allais dire, « déconfiner la croissance ». Je n'entends pas m'écarter de vos propositions au sein des cellules. Je vous proposerais parfois de les compléter mais surtout d'en dégager les grandes orientations et plus précisément « Dix orientations pour relancer la croissance ».
Il y a dans les plans de relance sectorielle une série de mesures sur l'élargissement et la prolongation des mesures de sauvegarde qui sont absolument nécessaires si l'on veut éviter la multiplication des faillites qui serait dramatique pour la croissance économique et pour le dynamisme de nos territoires. La priorité à court terme doit donc être la préservation de notre tissu productif aujourd'hui pour que la relance soit possible demain.
Il nous faut donc un atterrissage en douceur des mesures d'urgence d'ici la fin de l'année. Je reprends donc pleinement les mesures proposées par la cellule « PME, commerce et artisanat » sur l'élargissement du fonds de solidarité et les mesures de sauvegarde.
Je me situe cependant dans un cadre de plus long terme. Et dans ce cadre, la première de ces orientations, c'est l'allégement de charges pour relancer la compétitivité des entreprises.
Dans cette catégorie, il y a une série de mesures qui concerne le renforcement des fonds propres des entreprises, en particulier des PME, qui me semble essentiel pour leur permettre de faire face à leur niveau d'endettement. Je pense notamment à la conversion en quasi-fonds propres ou en prêts de très long terme l'endettement contracté durant la période de crise sanitaire, ou encore les prises de participation en renforcement des fonds propres via des fonds d'investissements sectoriels public-privé régionaux.
Il y également une série de mesures qui concernent l'allègement de la fiscalité sur la production dont le Gouvernement répète à l'envi qu'elle est un non-sens économique et social. C'est pourquoi je pense que la suppression de la C3S est un premier pas. La réforme des impôts de production est une nécessité, elle doit impérativement être compatible avec le maintien de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.
Je crois enfin à l'utilité des dispositifs de suramortissement pour deux types d'investissement, ceux concernant la numérisation des PME et ceux concernant le verdissement de l'appareil productif. Voilà pour ce qui est de l'allègement des charges des entreprises.
Le deuxième axe concerne le soutien à l'investissement et à l'innovation dans les secteurs d'avenir. Il s'agit de relancer en se positionnant sur les marchés porteurs.
Je propose non seulement de soutenir les 14 écosystèmes industriels qui font l'objet d'investissements prioritaires par la Commission européenne, mais je plaide également pour relancer les pôles de compétitivité, en liaison avec les collectivités territoriales, ainsi que le programme d'investissements d'avenir, à travers une loi de programmation de la recherche ambitieuse.
Il y a sur ce point une série de mesures qui va de pair avec mon troisième axe concernant la diversification des chaînes d'approvisionnement et la relocalisation de certaines activités.
Au-delà de la stratégie d'identification que j'ai évoquée, il me semble que la principale mesure est une exonération temporaire de certains impôts destinée aux relocalisations avec un dispositif suffisamment encadré pour ne pas créer d'effet d'aubaine ou de rente de situation. La proposition de la cellule « Industrie » de mettre en place une « boîte à outils » à la main des collectivités et des préfets pour encourager la relocalisation est également importante. Cette mesure va de pair avec la constitution de « task force de simplification » pour les implantations industrielles au niveau départemental.
Évidemment cette politique de relocalisation doit être pensée au niveau européen, en lien avec les différentes filières et en particulier avec les laboratoires pharmaceutiques. Je pense en particulier que l'on pourrait soutenir la création de coopératives de fabrication de certains principes actifs dans la mesure où l'essentiel des dépenses de santé est socialisé, il me semble que nous pourrions orienter plus facilement le marché. S'agissant de la relocalisation sur le pourtour méditerranéen, il apparaît que l'Agence française de développement (AFD) et sa filiale Proparco pourraient intégrer ces objectifs dans leur stratégie. Pour ce qui est de la protection de nos intérêts nationaux, la proposition de renforcer le contrôle des investissements étrangers dans les entreprises françaises me paraît également adaptée dans une période où la fragilité de nos entreprises pourrait en faire des proies faciles pour des fonds d'investissement. Il faudra également que l'Europe se dote d'un dispositif comparable.
Le quatrième axe transversal est naturellement le soutien à la décarbonation de l'économie. Si le Gouvernement appliquait déjà pleinement la loi « Énergie-Climat », ce serait une avancée considérable ! Il y avait dans ce texte que nous avons adopté il y a six mois, après une CMP conclusive, un certain nombre d'objectifs et de dispositifs qu'il conviendrait de pleinement mettre en oeuvre. Je ne peux pas, au risque d'être trop longue, citer toutes les mesures évoquées aussi bien par la cellule « Énergie » que par les cellules « Industrie », « Agriculture et alimentation » et même « Tourisme » mais à l'évidence les dispositifs cités par ces cellules d'accompagnement du verdissement de l'appareil productif doivent être promus et développés. Il ne s'agit pas de tourner le dos au marché et de n'investir que dans la montée de gamme, en laissant de côté les couches les plus populaires, mais d'accompagner tout le monde vers une production et une consommation plus respectueuse de l'environnement.
Je voudrais insister sur deux mesures qui me paraissent particulièrement importantes et sur lesquelles nous attendons enfin des progrès significatifs après des mois - pour ne pas dire des années ! - de débat public : le soutien à la rénovation énergétique des logements et la mise en place d'un « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières extérieures de l'Europe.
Le cinquième axe concerne le soutien à la numérisation des entreprises, comme le propose la cellule « Numérique, télécoms et postes » et la cellule « PME, commerce et artisanat ». Il s'agit à la fois de mesures pour l'accès de tous à un réseau numérique performant, fonctionnel et abordable et des mesures concrètes pour accompagner la numérisation des PME et des TPE. Il paraît enfin crucial d'accroître les dispositifs d'accompagnement de l'investissement dans les entreprises numériques. On le voit bien, c'est une dimension essentielle de l'emploi de demain.
La sixième orientation concerne la relance de la consommation dans les secteurs en difficulté que sont le tourisme, la restauration et le BTP. Je ne reviens pas sur l'ensemble des dispositifs que nous avons adoptés. J'évoquerais juste les chèques-vacances et les tickets-restaurants qui peuvent être partiellement subventionnés. En complément, une réduction temporaire à 5,5 % du taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les secteurs les plus durement touchés par la crise, et dont la relance n'affecterait pas négativement le solde extérieur de la France, doit être envisagée, même temporairement.
Le septième axe concerne plus particulièrement les salariés et la participation. La crise a creusé les inégalités mais aussi la distance aussi bien physique que sociale entre les travailleurs peu qualifiés et les cadres. Il me semble de ce point de vue intéressant de relancer la participation, d'accroître le dialogue social au sein des entreprises, notamment en généralisant l'obligation de procéder à un accord de participation dans les entreprises de moins de 50 salariés ou en augmentant la présence des salariés dans les conseils d'administration. Ce sont des propositions qui avaient été portées par le sénateur Jean-Marc Gabouty dans le cadre de la discussion sur la loi PACTE mais qui n'avaient pas été retenues.
Pour limiter les conséquences sociales de la crise, en particulier chez les jeunes qui en sont les principales victimes, je propose également que nous soutenions - et c'est mon huitième axe - l'insertion des jeunes sur le marché du travail avec pour principale mesure l'exonération des charges pour les embauches en premier CDI ainsi qu'un soutien élargi à l'apprentissage. Il faut absolument éviter la constitution d'une « génération Covid-19 » qui, après avoir été confinée pendant la fin des études, serait particulièrement touchée par le chômage au moment d`entrer sur le marché du travail.
Le neuvième axe est consacré à la simplification administrative. C'est un peu un marronnier précisément parce que de choc de simplification en choc de simplification, les choses avancent peu. La passion française pour la norme, associée au génie bruxellois pour la réglementation, accompagnée d'une judiciarisation des rapports sociaux, ne facilitent pas la tâche. Je propose sur ce sujet de ressusciter le conseil de la simplification pour les entreprises qui est notamment chargé d'évaluer la charge administrative occasionnée par toute nouvelle réglementation. C'est une proposition de la délégation sénatoriale aux entreprises et un dispositif qui existe en Allemagne. Je propose également que, dans chaque département, se constituent des « task force » pour la simplification administrative destinée aux nouvelles implantations industrielles. Ces structures légères auraient pour mission de faciliter les implantations industrielles et de délivrer des rescrits par lesquels les administrations s'engageraient sur les procédures et réglementations applicables et leur calendrier.
S'agissant enfin de l'Europe, je l'évoque à la fin parce que c'est sans doute le plus compliqué mais j'aurais dû l'évoquer au début parce qu'à bien des égards c'est l'échelon pertinent pour beaucoup de sujets que nous avons abordés. Faire de l'Europe une Europe qui protège vraiment notre modèle de société, c'est un projet ambitieux qui dépasse le cadre de ce rapport.
Pour s'en tenir aux aspects économiques du projet européen, je salue les avancées obtenues par le couple franco-allemand et par la BCE. Je propose en matière commerciale que nous défendions une plus grande fermeté dans les négociations internationales sur les normes environnementales, phytosanitaires et sociales, une plus grande transparence dans la négociation des accords commerciaux et la mise ne place d'un « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières extérieures.
En matière de droit de la concurrence, je propose une évolution des méthodes de la Commission européenne s'agissant du marché pertinent à retenir, de l'horizon temporel des analyses et de la délimitation des produits substituables, de façon à pouvoir toujours bénéficier des avantages de la politique de la concurrence à savoir la prévention des situations monopolistiques, sans en avoir les inconvénients, c'est-à-dire l'impossibilité de constituer des champions européens. Chacun a en mémoire la question de la fusion de Siemens et d'Alstom.
Dans le domaine agricole qui mériterait en soi un long développement, je vous propose de porter les positions fortes de la commission, en faveur d'une PAC volontariste, orientée vers la souveraineté alimentaire et la transition écologique. Ce qui suppose dans les régulations nationales de ne pas considérer que seules les négociations avec la grande distribution pourront améliorer la compétitivité globale de notre agriculture, mais au contraire de prendre en considération l'ensemble des marchés, y compris l'exportation, y compris les usages non alimentaires de l'agriculture. Préserver la diversité, la qualité, la force de notre agriculture, promouvoir la relocalisation de la production, et valoriser les externalités positives de l'agriculture ne peuvent être résumés à la régulation du SRP et du pourcentage de promotion dans la distribution.
Sur le plan numérique, je crois qu'il faut également insister sur la nécessité d'une politique continentale à la hauteur des enjeux, avec une taxe sur les GAFAM, un cloud européen, des normes garantissant la liberté du consommateur et l'interopérabilité des terminaux ainsi que la préservation des données individuelles et industrielles.
Voilà en résumé, mes chers collègues, les orientations que je vous propose qui reprennent pour l'essentiel les propositions des cellules de veille et les insèrent dans une stratégie transversale qui pourrait être, si vous en êtes d'accord, la contribution de la commission au débat sur le plan de relance que nous aurons lors du projet de loi de finances rectificative à la mi-juillet et vraisemblablement en fin d'année. Je voudrais mettre chacun à l'aise sur le fait que chacun d'entre vous dans vos groupes respectifs aura également à défendre les plans de relance de son propre groupe et nous avons, sur les grandes orientations, des divergences naturelles qu'il ne faut pas gommer si nous ne voulons pas que le débat politique se passe ailleurs qu'au Parlement.
J'ai la faiblesse de penser que la majorité de la commission peut se retrouver sur l'ensemble de ces idées, chacun y apportant ensuite des compléments propres à sa sensibilité. À l'issue d'un débat que je souhaite riche, nous procéderons à un vote, que j'ai voulu distinct des autres votes pour mettre chacun dans la position la plus confortable qui soit.