Intervention de Jean-Raymond Hugonet

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 17 juin 2020 : 1ère réunion
Proposition de loi adoptée par l'assemblée nationale visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Raymond HugonetJean-Raymond Hugonet, rapporteur :

Cette proposition de loi, déposée le 17 décembre 2019, a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 12 février 2020. Elle nous invite à relever un nouveau défi posé par le monde numérique.

Internet est un formidable espace de liberté et de créativité, mais il a aussi une face plus sombre, qui pose des difficultés inédites pour le législateur. Notre commission l'a souligné à l'occasion des débats sur la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information ou, plus récemment, sur la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Elle a insisté sur la nécessité et l'urgence de mieux former notre société face aux risques et aux évolutions rapides du monde numérique. Le rapport de 2018 de notre présidente, Catherine Morin-Desailly, conserve toute sa brûlante actualité.

La présente proposition de loi s'intéresse, sous un angle nouveau, à la protection des mineurs. Depuis plusieurs années, des chaînes mettant en scène des enfants filmés par leurs parents se multiplient sur les plateformes de partage de vidéos en ligne, telles que YouTube. Je vous propose, à titre préliminaire, de regarder quelques extraits vidéo, qui permettent de bien saisir la nature et les enjeux du problème. (Une vidéo est diffusée.)

Si certaines de ces vidéos sont clairement dégradantes, la majorité d'entre elles sont navrantes, voire pathétiques. Elles présentent en effet les enfants dans différentes activités - déballage de jouets, scènes de la vie quotidienne, défis divers tels que passer 24 heures dans un placard ou manger pendant 24 heures de la nourriture d'une certaine couleur. Ces vidéos bénéficient d'une audience très importante - pouvant atteindre plusieurs millions d'abonnés et totaliser des dizaines de millions de vues - et peuvent représenter une source de revenus extrêmement importante pour les parents, par le biais de la publicité et du placement de produits.

Or ces vidéos soulèvent de nombreuses interrogations quant aux intérêts des enfants qu'elles mettent en scène. Ces derniers ne bénéficient pas des garanties prévues pour les enfants du spectacle en matière de temps de travail et de rémunération. Par ailleurs, nous manquons encore de recul pour évaluer les conséquences psychologiques à long terme de cette exposition médiatique précoce : les commentaires potentiellement haineux sur les contenus de ces chaînes peuvent se révéler difficiles à gérer et dévastateurs pour de jeunes enfants.

Cette proposition de loi tend à combler ce vide juridique en établissant un cadre légal et équilibré destiné à faire prévaloir l'intérêt supérieur des enfants. Pour ce faire, elle distingue trois grandes catégories de vidéos. Tout d'abord, les vidéos professionnelles, dont les contenus sont publiés à titre lucratif ; les parents et les enfants y sont considérés comme des employeurs et des salariés à part entière. De l'autre côté du spectre, les vidéos amateurs, dont les auteurs ne recherchent ni profit ni audience. Enfin, dans l'entre-deux, les vidéos « semi-professionnelles », dans lesquelles la relation de travail n'est pas caractérisée, mais où l'image de l'enfant est néanmoins exploitée commercialement et génère des revenus.

La proposition de loi distingue ces trois situations et les soumet à des régimes juridiques distincts, plus ou moins souples.

En premier lieu, l'article 1er étend le régime protecteur des enfants du spectacle et du mannequinat aux enfants mis en scène dans les vidéos professionnelles. À l'avenir, les parents de ces enfants devront donc solliciter auprès de l'autorité administrative compétente un agrément préalable à la diffusion de ces vidéos. Ce cadre juridique inclut des limitations horaires fixées par décret et le versement d'une part des revenus tirés de cette activité sur un compte à la Caisse des dépôts et consignations.

L'article 2 de la proposition de loi prévoit une procédure permettant à l'autorité administrative de saisir l'autorité judiciaire en cas de manquement à cette obligation de déclaration a priori, mais également dans le cas où ces vidéos présenteraient un caractère dégradant.

L'article 3 de la proposition de loi institue, pour les vidéos semi-professionnelles, un cadre juridique protecteur ad hoc - moins contraignant toutefois que celui de l'article 1er - avec une déclaration obligatoire a posteriori pour les vidéos dont la durée cumulée ou les revenus produits excéderaient des seuils fixés par décret en Conseil d'État. En cas de dépassement du seuil de revenus, les parents devront verser, sur un compte à la Caisse des dépôts et consignations, les revenus qui excéderaient le seuil.

Toutes les responsabilités ne reposent pas sur les seuls parents. Les articles 1er et 3 prévoient, dans un souci de pédagogie, la délivrance obligatoire par l'administration d'une information aux parents concernés par les obligations de déclaration. Le dernier alinéa de l'article 3 responsabilise, quant à lui, les entreprises concluant des contrats de placement de produits. Enfin, l'article 4 oblige les plateformes de partage de vidéos à adopter des chartes, sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Ces chartes auront notamment pour objet de favoriser l'information des utilisateurs sur les normes applicables et sur les risques, notamment psychologiques, associés à la diffusion de l'image d'enfants de moins de seize ans. Elles devront également prévoir la mise en place de procédures de signalement, par les utilisateurs, des contenus audiovisuels portant atteinte à la dignité ou à l'intégrité physique ou morale des enfants mis en scène.

Enfin, l'article 5 élargit directement aux mineurs le droit à l'effacement de leurs données personnelles. L'accord des représentants légaux, qui peuvent avoir un intérêt financier au maintien de certains contenus en ligne, ne sera plus requis.

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