Intervention de Jean-Jacques Lozach

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 17 juin 2020 : 1ère réunion
Conséquences de l'épidémie de covid-19 — Travaux du groupe de travail sur le secteur « sport » - communications

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach :

Nous voici arrivés au terme de nos travaux dans le cadre de notre groupe de travail consacré au sport, lequel avait été constitué en mars afin d'assurer le suivi de la crise sanitaire dans le sport, d'examiner les modalités du déconfinement et de réfléchir à des mesures permettant d'accompagner la relance économique du secteur.

Notre constat à l'issue de deux mois d'auditions est sans appel : la situation du sport est grave et son avenir n'est pas assuré compte tenu des incertitudes qui demeurent.

Pour ce qui concerne les opérateurs économiques, les enquêtes réalisées par COSMOS et Union Sport & cycle montrent que plus de 84 % des structures ont suspendu leur activité pendant le confinement ; 54,6 % ont placé l'intégralité de leur personnel en activité partielle ; 76 % des industriels du secteur ont connu un arrêt total ou partiel de leur production et 70 % des entreprises du secteur affirment avoir mis leurs salariés en chômage partiel.

Sur le plan sportif, toutes les compétitions ont été arrêtées à l'issue du discours du Premier ministre du 28 avril à l'Assemblée nationale, avec la perspective d'une reprise en septembre. La crise sanitaire a remis également en cause l'activité des organisateurs d'événements sportifs. Des événements internationaux ont été annulés, d'autres ont été reportés, comme le Tour de France cycliste ou le tournoi de Roland Garros.

Le président du syndicat Première Ligue, Bernard Caïazzo, estime que la perte des clubs de football professionnel, du fait de l'arrêt des matchs, devrait s'établir entre 500 et 600 M€ - d'autres estimations évoquent même une perte qui pourrait représenter jusqu'à 900 M€. Une reprise des matchs à huis clos réduirait les recettes de billetterie et de marketing et aurait un impact sur le montant des droits de retransmission télévisée, le football à huis clos étant dévalorisé, les diffuseurs ne manqueront pas de renégocier le tarif des droits. La crise que connaît le secteur du sport est donc profonde et durable.

Le groupe de travail constate que, à ce jour, aucun plan de relance digne de ce nom n'a été présenté et mis en oeuvre. Il semble que la ministre s'apprête à demander un tel plan à Matignon. Le président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), M. Denis Masseglia, avait estimé le 12 mai que 20 % des clubs étaient en difficulté, cette proportion a sans doute significativement augmenté à la mi-juin. Faute de véritable soutien de l'État, la situation des clubs amateurs et professionnels pourrait même s'aggraver avec la levée des dispositifs d'aides mis en place au début de la crise et la montée de la crise économique.

Le déconfinement dans le sport s'accompagne donc d'une grande incertitude et suscite un début d'inquiétude quant à la pérennité de nombreuses structures. Beaucoup d'acteurs appellent donc de leurs voeux un « plan Marshall » pour le sport pour une durée de trois à quatre ans.

Les associations sportives ont pu très vite bénéficier des dispositions adoptées par le Gouvernement à destination des entreprises. Ces mesures ont été extrêmement précieuses pour permettre à ces structures, souvent de petite taille, de supporter le choc d'un arrêt le plus souvent total de leur activité. Il n'est toutefois pas acquis qu'elles suffisent, car le déconfinement est plus long à s'opérer dans le secteur du sport.

Sur le plan de la pratique, le groupe de travail salue les efforts déployés par le ministère des sports et les fédérations afin de déterminer des protocoles adaptés à la reprise de chaque activité sportive. Toutefois, beaucoup trop de nuages continuent à obstruer l'horizon du secteur sportif, notamment professionnel. Si le football professionnel peut envisager de reprendre les compétitions en août à huis clos, compte tenu du poids des droits télévisés dans ses recettes, ce n'est pas le cas des autres disciplines, notamment du rugby et des sports de salle, dont la majorité des recettes est issue de la billetterie et des recettes de marketing. Les clubs sont inquiets, par ailleurs, quant au maintien de leurs partenariats avec les sponsors et les collectivités territoriales dont les priorités pourraient changer à l'issue de la crise sanitaire.

Pour les présidents des ligues professionnelles, il est fondamental que les compétitions puissent reprendre normalement en septembre au plus tard.

Le groupe de travail ne peut que souscrire à l'idée de repenser le modèle économique du sport que promeut le ministère des sports. Pour autant, la réalité de la situation des clubs reste très éloignée d'une telle démarche : l'urgence est d'adopter très vite des mesures pour passer la crise avant de songer à inventer le sport de demain.

A cette fin, le groupe de travail a élaboré dix propositions.

La première proposition est la suivante : mettre en place un plan global pour soutenir le secteur du sport à la rentrée de septembre 2020. Le secteur du sport a bénéficié des dispositifs mis en place par l'État pour soutenir les entreprises et le secteur associatif, mais a beaucoup souffert de la décision de mettre un terme de manière prématurée aux championnats professionnels. Ce grave préjudice, dont on ne mesure pas encore exactement l'étendue, justifie pleinement que l'État s'engage à mobiliser des moyens particuliers pour aider les clubs victimes de la crise sanitaire et d'une décision unilatérale de la puissance publique.

Ces mesures doivent reposer sur le maintien pendant plusieurs mois des dispositifs généraux mis en place depuis le mois de mars et sur des aides spécifiques au secteur du sport, lesquelles pourraient porter sur la fiscalité propre au secteur, mais également sur une aide à destination des jeunes pour encourager leur inscription dans des clubs, sur un assouplissement de la loi Évin et sur un accompagnement financier des athlètes français engagés dans la préparation des Jeux olympiques de Tokyo. Le groupe de travail souscrit également à la proposition faite par le groupe de suivi de l'application de l'état d'urgence sanitaire dans les domaines des sports et de la vie associative de l'Assemblée nationale de créer un fonds de soutien spécifique au bénéfice des associations et des clubs sportifs amateurs, dans le cadre du plan de relance envisagé par le Gouvernement.

Ces nouvelles aides doivent s'accompagner de contreparties de la part du secteur sportif. Les clubs pourraient, par exemple, pérenniser leur implication dans le dispositif sport santé-culture civisme (2S2C) afin de faire vivre le lien créé entre les structures sportives et l'éducation nationale. Les clubs pourraient également s'engager plus fortement dans la voie d'une maîtrise des salaires.

Notre deuxième proposition est de créer un crédit d'impôt dédié aux annonceurs dans le sport, afin de les inciter à maintenir leur implication. Ce dispositif permettrait d'encourager l'achat d'espaces dans publicitaires dans les stades et aux abords des compétitions. Il pourrait être intégré à une mesure plus large concernant les annonceurs dans les médias audiovisuels et la presse, qui a été soutenue par la commission de la culture.

Une troisième proposition est d'assouplir la loi Évin dans les enceintes sportives, avec une évaluation en 2022. Le régime d'autorisation qui permet aux clubs de vendre de l'alcool dix fois par saison n'est pas satisfaisant. Pourquoi limiter ces exceptions si elles ne posent pas de difficulté ? Par ailleurs, leur contrôle paraît pour le moins défaillant, donnant lieu à des inégalités entre les clubs. Le groupe de travail propose donc d'autoriser la consommation dans les stades de certains alcools et certaines publicités pendant deux ans, jusqu'à la fin de la saison 2021-2022, puis de réaliser une évaluation indépendante de cette évolution. Un tel assouplissement doit permettre de favoriser le retour des supporters dans les stades lorsque les contraintes portant sur les grands rassemblements seront levées et d'aider économiquement les clubs.

Quatrième proposition : élaborer un mécanisme de garantie du paiement aux collectivités territoriales des redevances d'occupation demandées aux clubs professionnels pour l'usage des enceintes sportives. En raison du contexte actuel, certains clubs pourraient éprouver des difficultés pour s'acquitter de cette redevance. Pour autant, il semble peu justifié d'en suspendre le paiement. Le groupe de travail propose donc que, en cas de nouvelle dégradation de la situation des clubs, l'État, en lien avec la fédération et l'éventuelle ligue concernée, examine la possibilité de créer un dispositif de soutien mutualisé permettant de soulager temporairement les clubs de ce poids tout en préservant les collectivités territoriales.

Cinquième proposition : augmenter les moyens de l'Agence nationale du sport (ANS) pour renforcer son action territoriale. Le groupe de travail reste très attaché au principe selon lequel le sport doit financer le sport, qui n'est pas compatible avec le plafonnement par l'État des taxes affectées au sport. Les demandes d'aides financières par les clubs devraient toutefois fortement augmenter dans les mois à venir, compte tenu de la crise économique et sociale annoncée. La nécessité de mettre en place un nouveau plan d'équipement sportif n'est également pas contestée, les 45 millions d'euros prévus à cet effet dans le budget de l'ANS étant très insuffisants. La hausse des revenus du secteur sportif doit enfin permettre de financer de nouveaux équipements, notamment en zone rurale et en outre-mer. Le groupe de travail propose en conséquence d'augmenter les moyens de l'ANS en lui affectant davantage de crédits issus du produit de la taxe Buffet. Pour ce faire, la totalité de l'accroissement du rendement de cette taxe consécutif à la hausse des droits de retransmission télévisée pourrait lui être affectée.

Sixième proposition : mettre en place l'organisation territoriale de l'Agence nationale du sport au second semestre 2020. Le groupe de travail souhaite que les dispositions réglementaires relatives à ce point soient publiées dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, au cours du second semestre 2020. Il est urgent de pouvoir associer tous les acteurs locaux à la conduite des politiques territoriales du sport. De même, nous attendons toujours la publication des décrets d'application de la loi de 2019 relative à la création de l'ANS et à diverses dispositions relatives à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.

Septième proposition : adopter un moratoire sur la réforme des conseillers techniques sportifs (CTS) jusqu'en 2024. Le groupe de travail considère indispensable de stabiliser la situation des CTS dans la perspective des prochaines échéances sportives majeures. La proposition des tiers de confiance consistant à resserrer le corps des CTS autour des directeurs techniques nationaux et des entraîneurs nationaux et à le doter d'une véritable fonction de gestion des ressources humaines constitue une piste intéressante, qui doit encore être étudiée. Dans ces conditions, le groupe de travail propose que la situation des CTS fasse l'objet d'un moratoire jusqu'à 2024 afin de leur permettre de préparer les Jeux olympiques de Paris dans les meilleures conditions. Il importe de mettre un terme à la polémique et de ne pas faire des économies sur le dos des CTS.

Abordons le soutien à apporter à la pratique sportive, dont la crise sanitaire a rebattu les cartes, beaucoup de pratiquants ayant substitué à leur pratique en club une pratique dématérialisée et/ou des exercices individuels. En la matière, il n'y aura pas non plus de retour à la normale. Les clubs devront repenser leur organisation et leur offre pour redevenir attractifs.

Le sport santé constitue un autre terrain de développement pour les clubs. Le sport peut jouer un rôle plus important pour accompagner les rémissions de nombreux patients, il pourrait surtout être plus largement conseillé dans une logique de prévention de certaines pathologies.

Outre la question du sport santé, le groupe de travail propose de mettre l'accent sur l'accueil des jeunes, le soutien aux athlètes et le développement du sport féminin.

Huitième proposition : créer un Pass sport pour encourager les jeunes de quatorze à vingt ans à pratiquer un sport en club. Ce dispositif consisterait en un crédit de 500 euros dédié à l'achat de licences, à l'acquisition de petit matériel, à l'accès à des équipements sportifs, ainsi qu'à des animations sportives en dehors des périodes scolaires. Cette création serait aujourd'hui particulièrement pertinente dans le contexte de sortie de crise sanitaire et compte tenu de la nécessité de retisser un lien entre la jeunesse et les structures sportives.

Neuvième proposition : permettre à l'ANS d'aider financièrement les athlètes fragilisés par le report des Jeux olympiques de Tokyo.

Faut-il rappeler que la situation d'athlète de haut niveau est souvent synonyme en France de précarité ? En 2016, la moitié de la délégation française envoyée aux Jeux olympiques vivait ainsi en dessous du seuil de pauvreté. Le groupe de travail craint que la situation financière de nombreux athlètes de haut niveau ne se dégrade encore dans les prochains mois, jusqu'à compromettre leurs performances, sinon leur participation, aux jeux de Tokyo. Dans ces conditions, nous soutenons la proposition de l'ANS d'attribuer des bourses mensuelles pouvant aller jusqu'à 3 000 euros aux athlètes qui en feraient la demande.

Dixième proposition : mobiliser des moyens en faveur du sport professionnel féminin afin de permettre aux clubs de mieux valoriser leurs infrastructures. Le développement du sport féminin se justifie par lui-même, compte tenu de ses valeurs, des perspectives qu'il crée pour les sportives et de l'attente du public. Il constitue, par ailleurs, un facteur de développement économique pour les clubs qui peuvent ainsi mieux utiliser leurs infrastructures et donc rentabiliser plus rapidement leurs investissements dans les stades, les centres d'entraînement, les installations médicales.

Telles sont, mes chers collègues, nos propositions qui sont les fruits de nos travaux. Il s'agit de propositions collectives qui poussent toutes dans le même sens. Je crois que la ministre des sports serait bien inspirée d'accorder son attention à ces propositions sénatoriales qui sont à la fois concertées, ambitieuses et cohérentes.

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