Intervention de Martial Bourquin

Commission des affaires économiques — Réunion du 10 juin 2020 : 1ère réunion
Présentation des plans de relance dans les domaines de l'industrie et du tourisme par les pilotes en charge des cellules de veille de contrôle et d'anticipation des secteurs correspondants en téléconférence

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin :

Je souhaite tout d'abord vous dire à quel point j'ai été heureux de travailler au sein de cette commission, sur les sujets industriels, en lien avec mes collègues Alain Chatillon et Valérie Létard. Notre capacité à créer du consensus, mais aussi à tisser des liens humains doit être soulignée. C'est ainsi avec une grande émotion que je quitte le Sénat.

Notre quatrième axe vise à assurer une concurrence mondiale équitable, pour la relance et pour le futur. Tous les pays ne sont pas entrés égaux dans la crise, et tous n'en sortiront pas égaux : nous devons nous assurer que nos industriels pourront se battre à armes égales dans la compétition internationale exacerbée. Nous savons que la Chine regarde désormais vers le monde entier, via les « Routes de la soie » ; mais aussi que les États-Unis souhaitent relocaliser de nombreuses productions et n'hésitent pas à soutenir ses producteurs de manière intense. L'Europe doit réagir fortement.

Notre première recommandation vise à atteindre rapidement la réciprocité dans nos relations commerciales, notamment en matière d'accès aux marchés publics. En France, la commande publique représente près de 400 millions d'euros, qui pourraient avoir un impact considérable aussi bien sur les PME que sur les grands groupes. Nous savons que la Chine, notamment, verrouille son immense marché intérieur, alors que le droit européen impose de son côté la non-discrimination dans les appels d'offre européens. La Commission européenne estime le préjudice à 12 milliards d'euros pour les entreprises de l'Union. Il faut donc réaffirmer l'impératif de réciprocité et qu'il se traduise en actes, d'autant que la France dispose d'acteurs d'envergure internationale dans les secteurs de l'énergie, du ferroviaire ou de la construction qui se positionneraient sans nul doute très bien sur ces marchés. Pour renouer avec les commandes et créer un choc de demande, la réciprocité en matière de marchés publics doit être un axe majeur de la diplomatie commerciale européenne.

Ensuite, l'Union européenne ne doit pas avoir peur d'utiliser ses instruments de défense commerciale. Pour une action plus efficace dans la lutte contre le dumping et les subventions non autorisées, nous proposons de réduire les délais d'examen par la Commission européenne des plaintes à l'encontre des produits importés, qui doivent être sanctionnés plus rapidement et plus fortement. L'acier européen, par exemple, est aujourd'hui en difficulté face aux produits dumpés provenant de Chine, d'Inde ou de Russie. Une meilleure évaluation et un meilleur suivi des accords commerciaux participera aussi de cette protection des équilibres du marché intérieur.

Troisièmement, le respect des normes du marché intérieur doit être garanti. Les contraintes de plus en plus nombreuses qui s'imposent à notre industrie - émissions de gaz à effet de serre, intégration de matière recyclée, normes sanitaires, normes de sécurité... - n'ont de sens que si tous les produits qui entrent en Europe y sont également soumis. Les derniers constats en la matière sont pourtant alarmants. Nous proposons donc de renforcer les moyens dédiés au contrôle des produits importés par la DGDDI et la DGCCRF, et de poursuivre l'effort d'harmonisation des règles applicables sur le marché intérieur, en opérant d'ailleurs, lorsque cela est possible, des simplifications administratives.

Enfin, il faut opérer rapidement une réforme de la politique européenne de la concurrence. C'est là un sujet que mon collègue M. Chatillon et moi-même connaissons bien : il ne faut pas faire obstacle à l'émergence de vrais champions européens, mais au contraire accompagner leur développement. Je pense par exemple au dossier en cours d'examen du rachat de Bombardier par Alstom : il doit aboutir. Nous avons par ailleurs vu que l'interdiction des aides d'État a été considérablement assouplie durant cette crise, car elle n'aurait sinon pas permis d'intervenir en soutien d'urgence à notre économie. Chacun d'entre nous mesure que nous n'aurions sinon pas pu intervenir par exemple, dans des entreprises à faibles fonds propres. Il faut donc moderniser ce pilier du droit européen pour l'adapter aux nouveaux défis économiques et l'articuler avec une véritable stratégie industrielle européenne. Notre commission et celles des affaires européennes préparent d'ailleurs un rapport sur le sujet de la réforme du droit de la concurrence, qui nous paraît indispensable.

Notre cinquième et dernier axe est la poursuite de la transition environnementale de l'industrie française. C'est là probablement son plus grand défi, et celui où le soutien des pouvoirs publics est le plus déterminant.

Le soutien à la mobilité propre et à la réorientation de la production industrielle est bien entendu un axe majeur de relance. Je ne m'étendrai pas sur ce point, les annonces récentes sur les primes automobiles, la filière automobile électrique ayant répondu à nos principales recommandations, et la cellule « Énergie » ayant formulé des propositions à ce sujet. Je dirai cependant que cette logique doit s'appliquer à d'autres secteurs, comme le ferroviaire, le naval ou l'aéronautique - il nous semble que le plan aéronautique paru hier y répond en partie. Alstom travaille par exemple sur des trains à hydrogène. En revanche, la transition des consommateurs français ne se fera pas en un jour et il est important de conserver un certain degré de neutralité technologique. Je rappelle que la construction d'une voiture électrique nécessite 30 % moins d'emploi qu'une voiture thermique... Soyons prudents avec le « tout électrique ». En ce sens, des propositions intermédiaires, comme le soutien au rétrofit de moteurs thermiques, ou aux moteurs hybrides, peuvent permettre une transition moins brutale pour la filière automobile française.

Notre deuxième proposition, qui a déjà été votée par la commission lors de l'examen du dernier budget, est d'instaurer un crédit d'impôt pour le verdissement des PME et TPE industrielles. Dans la même logique que le suramortissement pour la numérisation, il s'agit de prendre en charge une partie des coûts des petites entreprises engagés pour l'audit, l'ingénierie ou le conseil dans le verdissement de leur usine. Seraient par exemple concernés : l'écoconception des produits, la gestion des déchets, la consommation énergétique ou l'économie de ressources. Sans cette impulsion, la plupart des PME ne disposent ni des fonds ni des compétences pour réaliser cette transformation.

Enfin, nous soutenons la mise en place rapide de la « taxe carbone » aux frontières de l'Union européenne. Passons aux actes. Il faut restaurer une concurrence plus juste entre les producteurs européens, qui sont à la pointe de l'effort de décarbonation de l'industrie, et leurs concurrents qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes. Acquitter au moment de l'entrée sur le marché intérieur le « prix » du carbone émis lors de la production et du transport rééquilibrera nos échanges tout en accélérant la décarbonation. Les recettes collectées permettront de surcroît de financer l'investissement vert. La nouvelle Commission européenne doit donc en faire une priorité.

Voici donc les dix-huit propositions de notre cellule qui a travaillé pendant plusieurs mois pour une relance stratégique, tournée vers la transition environnementale, la souveraineté économique et l'innovation. Nous ne manquerons pas de les défendre dans l'hémicycle à l'occasion de l'examen des futures lois de finances et lois de relance.

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