Intervention de Édouard Philippe

Réunion du 17 juin 2020 à 15h00
Questions d'actualité au gouvernement — Sécurité

Édouard Philippe :

Monsieur le sénateur Karoutchi, la société française va mal, vous l’avez dit. À bien des égards, je suis d’accord avec vous. Pour autant, gardons-nous de dire ou de penser que tout irait mal en France, car ce n’est pas le cas. Nous avons des atouts extraordinaires ; ne tombons pas dans ce travers français du pessimisme et de l’autodénigrement.

Néanmoins, soyons lucides, comme vous l’êtes : en dépit de ces atouts, nous connaissons de sérieuses difficultés économiques, sociales et peut-être même aussi sinon morales – le sens de ce mot a depuis longtemps évolué –, du moins politiques.

Qu’est-ce qu’une nation, ce plébiscite quotidien, cette volonté quotidienne de s’inscrire dans une longue histoire, dont la complexité nous dépasse très largement, et de vivre ensemble, de construire quelque chose ensemble ?

Faire nation, ce n’est pas simplement considérer le passé pour ce qu’il est, c’est construire à partir de ce passé, c’est imaginer où nous voulons aboutir en tant que peuple. Or, de ce point de vue, nous avons manifestement une difficulté à nous projeter.

Certains remettent explicitement en cause les fondements du pacte républicain. D’autres, de façon plus insidieuse et probablement plus dangereuse, le font sans le dire, en revenant sur les idées de liberté et d’égalité en droit, sur le principe de l’État de droit, de l’autorité de l’État, sur les notions de respect dû à chaque citoyen ou de civisme.

Une des vertus cardinales de la République romaine, c’était précisément le civisme, c’est-à-dire non pas l’exemplarité de tel ou tel, mais la conviction que chacun, quelles que soient ses responsabilités, qu’il soit élu ou non, est dépositaire d’une parcelle du bien commun. Or le civisme nous apparaît comme progressivement dissous. Le respect de l’État se voit tous les jours remis en cause. Ce n’est pas parce que l’État serait irréprochable ou meilleur que les autres – cela se saurait ! – qu’il faut le respecter ; c’est parce qu’il est l’émanation de notre Nation et parce qu’il est là pour faire respecter un certain nombre de règles essentielles à l’intérêt commun.

L’autorité de l’État, c’est la capacité à faire respecter la loi. C’est la loi qui doit prévaloir dans un État de droit ; c’est la loi qui doit prévaloir dans la République. Or la force la met parfois en cause. Des bandes, des groupes, voire des individus, veulent la faire céder, la briser. Vous le savez bien, monsieur le sénateur, ce combat n’est pas récent, il est éternel, mais c’est un combat qui, aujourd’hui, dans notre pays, s’impose avec peut-être encore plus d’acuité que dans les années précédentes. C’est un fait. Face à cela, il faut non pas faire taire les débats politiques, car ils sont indispensables, mais essayer, au-delà de ces débats, d’atteindre à un esprit de concorde sur l’essentiel, à savoir les valeurs de la République. Il faut soutenir ceux qui mènent le combat de la République.

Le ministre de l’intérieur a ainsi mille fois raison de soutenir les forces de l’ordre. §Elles sont au cœur de ce combat pour la République, mais elles ne sont pas seules : n’oublions pas que la République est née aussi grâce aux professeurs, aux administrateurs, à ceux qui construisaient, qui organisaient. Nous leur devons à tous le respect. Nous avons le droit de les critiquer, mais parfois nous allons un peu au-delà en les dénigrant, sans toujours leur donner les moyens d’exercer leur mission.

La question que vous posez est très large, monsieur le sénateur ; vous et moi pourrions disserter des heures sur ce sujet, mais, à mes yeux, la République, ce sont des principes simples : l’État de droit, le respect de l’État, l’autorité de l’État et, au-delà et peut-être plus encore, le civisme. Être un citoyen, ce n’est pas simplement avoir des droits ; c’est avoir des droits et des devoirs.

Je me suis toujours étonné de voir certains, à l’époque où le service militaire était obligatoire, donner des leçons longues comme le bras sur la République tout en ayant la faiblesse de vouloir échapper à la conscription. Ces tentations individualistes sont le contraire du civisme. Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur le sénateur.

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