Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 17 juin 2020 à 15h00
Questions d'actualité au gouvernement — Prisons

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Ma question s’adresse à Mme la ministre de la justice ; elle sera simple et directe : madame la ministre, mesurez-vous la gravité de la situation ?

Des règlements de comptes en plein centre-ville, des bandes armées qui déferlent pour s’affronter avec une violence inédite et qui narguent la police et la justice : cela ne se déroule pas dans le chaos de pays lointains, mais bel et bien dans un quartier d’une paisible ville de province. L’État n’apparaît assurément plus assez fort pour y faire régner l’ordre public.

La loi de la République est supplantée par la loi du plus fort et du plus violent. C’est la négation même de notre civilisation ; le tribalisme a remplacé la justice. L’impunité est devenue la règle dans ces quartiers ; les témoignages de policiers désespérés devant l’absence de peines ou le prononcé de peines symboliques se multiplient.

Mais il y a pis encore que l’absence de peine ou la peine symbolique : vos récentes décisions, madame la ministre, constituent un véritable blanc-seing pour les voyous et autres délinquants.

Après avoir procédé à près de 14 000 libérations pour cause de crise sanitaire, vous avez diffusé, le 20 mai dernier, une circulaire visant à réduire le plus possible les incarcérations : vous préférez ainsi voir condamner des délinquants insolvables à des peines d’amende, à de la prison avec sursis ou à des travaux d’intérêt général qui, de toute façon, ne seront jamais exécutés.

Il y a deux façons de lutter contre la surpopulation des prisons : en construire de nouvelles – promesse du début du quinquennat passée aux oubliettes – ou vider celles qui existent, quitte à se laisser aller à l’injustice et à faire disparaître le sens même de la peine.

Malheureusement, vous avez choisi cette seconde solution, qui s’accorde avec votre conception de la justice, hélas impuissante pour éviter l’embrasement du quartier des Grésilles. Vous préférez dicter aux juges le choix de la peine en fonction des capacités pénitentiaires.

Quelle justice voulez-vous, madame la ministre ? Pensez-vous que le moment est bien choisi pour mettre en œuvre la « régulation carcérale » que vous appelez de vos vœux, qui n’est ni plus ni moins que l’institutionnalisation d’une totale impunité ? Est-ce le moment de donner le signal que l’État baisse les bras ? Jusqu’à quel niveau de violence faudra-t-il aller avant que vous reconnaissiez faire fausse route ?

Je vous invite, en conclusion, à méditer ces mots de Charles Péguy : « L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion