L'initiative a été prise par les pays voisins. En ce qui concerne la frontière franco-allemande, trois Länder ont exercé une forte pression pour mettre en place des restrictions de circulation. Nous avons beaucoup oeuvré, avec mon homologue allemand, pour alléger ces mesures. Je rappelle que la France compte 360 000 travailleurs transfrontaliers français. Comme la situation sanitaire le permet, nous rouvrons les points de passage autorisés. Nous avons simplifié les procédures, avec une déclaration commune numérique avec l'Allemagne. Nous nous sommes fixé comme échéance le 15 juin avec l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique et la Suisse, et voulons donner plus de souplesse, ce qui vaut aussi pour l'Espagne. Nous avons aussi prévu des dérogations pour prendre en compte les situations individuelles, par exemple des conjoints séparés, l'accompagnement d'enfants scolarisés, la visite à une personne dépendante accueillie dans le pays voisin, etc. Nous avons donc veillé à simplifier. Le 20 mai, nous avons ouvert les frontières pour les travailleurs saisonniers, ce qui est conforme au souhait des agriculteurs. Après ces assouplissements et cette ouverture coordonnée et progressive des points de passage à la frontière, nous espérons, si tout va bien, rouvrir la totalité de la frontière le 15 juin.
J'ai aussi évoqué hier la question de l'extra-Schengen avec la commissaire européenne. Si certains pays décident unilatéralement d'ouvrir leur espace aérien aux pays situés en dehors de l'espace Schengen, où le virus circule encore activement, nous risquons d'avoir des problèmes. Avec l'Allemagne, nous nous sommes coordonnés et proposerons une position commune lors du sommet des ministres européens de l'Intérieur qui aura lieu vendredi.
Comme MM. Hervé Gillé, Marc Daunis ou Alain Richard, j'ai appartenu, quand j'étais parlementaire, à une majorité qui avait fait le choix d'un modèle d'organisation territoriale de l'État très différent, celui de la régionalisation - peut-être à l'excès. Les retours d'expérience montrent que l'on a besoin de coordination. En matière d'économie, le niveau régional est pertinent, par parallélisme avec les prérogatives des régions. Mais, pour beaucoup de politiques, il fallait remettre l'église au coeur du département, si vous me permettez cette expression, et donc renforcer le rôle du préfet de département. Nous avons ainsi revu l'équilibre entre préfet de région et préfet de département, et renforcé le rôle du préfet en tant que coordonnateur en matière d'interministérialité, afin qu'il puisse répondre à toutes les demandes des élus. Lors de la réouverture des écoles, par exemple, les préfets ont pu apporter une dimension humaine dans la relation technique entre les Directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (Dasen) et les maires, car ils les connaissent mieux et entretiennent avec eux une relation de proximité au quotidien. Les Dasen ont ainsi pu s'appuyer sur eux pour apaiser les tensions ici ou là ou rassurer les maires. L'importance du rôle des préfets a encore été reconnue lorsque le président de l'Association des maires de France, M. Baroin, nous a appelés pour demander qu'ils soient cosignataires des conventions de réouverture. Les préfets sont un interlocuteur naturel. On peut donc retenir de la crise que l'on a besoin de préfets puissants, c'est-à-dire disposant de moyens. Je plaiderai pour que le mouvement de baisse continue depuis plusieurs années des effectifs des préfectures soit revu.
Je ne partage pas l'avis de M. Gillé sur les zones de défense et de sécurité. Nous devons les actionner en fonction des sujets. Par exemple, nous avons travaillé sur les vecteurs aériens à l'échelle de la zone Est. De même, dans la zone Antilles, nous avons travaillé avec une coordination entre les hélicoptères de l'armée, de la gendarmerie et de la sécurité civile, car une approche de zone se justifiait. Ce n'est pas le cas sur tous les sujets. Nous avons fait monter en puissance les acteurs de prévention et de protection civile. On a mobilisé 30 000 bénévoles pendant la crise. Ces associations connaissent des difficultés financières en raison de l'annulation de nombreux événements pour lesquels elles réalisent des prestations.
Faut-il revoir les PCS ? Je sais d'expérience, pour en avoir piloté, que l'on a parfois tendance à l'oublier un peu une fois qu'il a été réalisé. Ils doivent être mis à jour régulièrement. Force est de constater que le risque sanitaire ne faisait pas partie de notre conscience collective. Il faut désormais mieux le prendre en compte. Comme vice-président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, j'ai eu à piloter avec le préfet, à la suite des inondations du Rhône, un plan Rhône : j'ai constaté que l'on avait oublié la mémoire du fleuve et que l'on avait construit au fil du temps dans des zones où il déborde tous les dix ou quinze ans. Les PCS devront donc être revus à la lumière de la crise sanitaire.
Vous avez évoqué le rôle du conseil départemental. Si l'on veut renforcer les préfectures de département, il faut aussi, par cohérence, qu'elles aient un interlocuteur à leur niveau, le conseil départemental. Il ne m'appartient pas de commenter la loi « 3 D », qui sera présentée par mes collègues. Je ne suis pas favorable, cependant, à donner des compétences à tous sur tout, car alors on ne fait pas grand-chose ! Il vaut mieux attribuer les compétences en fonction de la proximité, et les conseils départementaux ont montré leur rôle fondamental sur certains sujets. Mais n'oublions pas les différences de richesses et de moyens entre les départements, et l'État doit faire vivre la solidarité.
J'en viens au droit de dérogation du préfet. Il ne semble pas utile de l'inscrire dans la loi, car il relève du pouvoir réglementaire au plus haut niveau, sous la forme d'un décret pris le 8 avril en Conseil des ministres. Ce décret n'est pas provisoire, mais bien définitif, même s'il a été pris pendant la crise. Il constitue un signe de confiance à l'égard des préfets, et entérine une expérimentation qui s'est déroulée dans dix-sept départements. Il prévoit que le préfet peut déroger à une réglementation nationale, mais pas à la loi, dans certains domaines précis : subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ; aménagement du territoire et politique de la ville ; environnement, agriculture et forêts ; construction, logement et urbanisme ; emploi et activité économique ; protection et mise en valeur du patrimoine culturel ; activités sportives, socio-éducatives et associatives. Son pouvoir est donc large. Les 183 arrêtés de dérogations pris durant l'expérimentation n'ont fait l'objet d'aucun recours parce que les préfets avaient pris le temps de la concertation et de la pédagogie, permettant une meilleure compréhension des mesures que si le pouvoir central était intervenu. Nous devrons en tirer les leçons pour la loi « 3D ».
Il faut souligner un paradoxe : on veut tous à la fois plus de libertés, mais, d'un autre côté, on veut des règles claires et cadrées ! On réclame un pouvoir d'appréciation, mais on veut aussi que celui-ci soit strictement limité, sinon, à la moindre incertitude, on s'inquiète et on s'émeut, comme cela s'est produit lorsque le préfet du Morbihan a interdit la vente d'alcool et que l'affaire est remontée jusqu'à moi.
Je ne peux que rejoindre M. Bonhomme lorsqu'il souligne l'esprit de « débrouillardise » des maires, un esprit que notre administration, en raison des cadres qui s'imposent à elle, ne peut pas développer. Les maires ont aussi été efficaces.
Je ne rappellerai pas les chiffres, mais l'engagement de l'État aux côtés des collectivités territoriales a été significatif. On a beaucoup entendu que les collectivités territoriales avaient su acheter des masques, oubliant parfois les difficultés - les délais, les masques inappropriés, etc. Toutefois, cet effort est sans comparaison avec celui de l'État, qui a acheté des masques pour les répartir auprès des professionnels de santé, des forces de sécurité, de ses services, des collectivités territoriales... J'ai ainsi été surpris de la médiatisation de la remise de 300 masques par telle ou telle personnalité dans un commissariat, alors que j'en avais déjà livré 17 millions... Il faut reconnaître le talent de certains en matière de communication !
L'État prendra en charge la moitié du coût de l'achat des masques, comme le Premier ministre l'a annoncé. M. Husson peut ainsi constater que le Gouvernement honore sa parole ! Mieux, cela vaudra pour toutes les commandes de masques passées à compter du 13 avril, et non du 11 mai comme cela avait été prévu initialement. Nous regarderons le volume des masques commandés et payés avant cette date, mais les sommes en jeu doivent être relativement modestes. Je comprends l'enjeu politique de ce débat, mais il ne doit pas occulter l'engagement de l'État dans la gestion de la crise.
Vous m'avez aussi interrogé sur l'aide financière de l'État aux collectivités territoriales. Vous connaissez les engagements pris par le Gouvernement en faveur des départements, mais je souligne le paradoxe : les mêmes qui réclament l'autonomie fiscale veulent aussi être aidés en cas de difficultés ! La situation financière de l'État est aussi tendue, mais nous répondrons présent. Le Premier ministre a fait, comme vous le savez, des annonces en faveur des collectivités territoriales. Celles-ci ont été mises en oeuvre par ordonnances. Le pacte de Cahors sera assoupli. Je ne détaille pas, car je sais que vous avez reçu Mme Gourault et M. Lecornu.
La prime de feu a été discutée avec les collectivités territoriales. Les pompiers sont financés en grande partie - il ne faut pas l'oublier - par l'État, à travers les taxes collectées qui sont reversées aux départements. Les pompiers sont des salariés des services d'incendie et de secours (SDIS), qui relèvent du conseil départemental. La prime doit être financée par l'employeur. L'État a montré l'exemple avec les formations militaires d'intervention de la sécurité civile : j'ai pris l'initiative de relever, par arrêté, leur niveau de prime dès cette année et l'État financera 100 % pour ses agents. Il est normal que l'État ouvre la discussion sur ce sujet en lien avec les collectivités territoriales. Des discussions sont en cours avec l'État sur le financement des SDIS. Il ne faudrait cependant pas partager le salaire entre plusieurs entités, mais l'État sera vigilant sur l'équilibre économique des SDIS. La ministre de la cohésion des territoires et le Premier ministre sont attentifs à ce sujet.
Un mot sur la complémentarité entre les polices municipales et la police nationale. Il faut trouver le bon équilibre, même si ce n'est pas toujours évident. Il ne faut pas voir dans la décision du Conseil d'État, et non du ministre de l'Intérieur, annulant l'arrêté du maire de Sceaux, la volonté d'une reprise en main. Nous avons travaillé en concertation avec les communes sur des arrêtés de couvre-feu. Il nous est arrivé d'en refuser. Ainsi, le préfet a-t-il demandé à un maire du Haut-Var de retirer son arrêté, car le couvre-feu ne semblait pas pertinent en l'espèce. À Sceaux, la Ligue des droits de l'Homme a fait un recours. Interrogé sur le sujet, j'avais évoqué le caractère irrégulier de l'arrêté, mais ce n'est pas l'État qui a intenté le recours. Le préfet avait plutôt demandé une discussion sur le sujet. C'était la période de confinement, à un moment où l'on essayait de dissuader les gens de sortir dans la rue. Imposer le port du masque dans l'espace public pouvait donner l'idée que l'on pouvait sortir en étant protégés par le port d'un masque ; or cela ne suffisait pas à l'époque. J'ai eu, depuis lors, l'occasion de dire que des arrêtés municipaux rendant obligatoire le port du masque dans certains secteurs pouvait être envisagés, en lien avec les préfets, en cas de difficulté. Donc je n'ai pas d'opposition de principe. Je m'étais simplement exprimé sur l'arrêté du maire de Sceaux avant la décision du Conseil d'État, car je savais que cet arrêté était fragile d'un point de vue juridique. Je regrette que cela ait fait l'objet d'une polémique et que le maire de Sceaux ait contesté la « décision du ministère de l'Intérieur », alors qu'il s'agissait d'une décision de justice.
Les préfectures de régions bénéficient de l'appui de conseillers diplomatiques. Ils suivent, en lien avec le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR), la question des transfrontaliers. Le conseiller en poste à Strasbourg parle allemand.
S'agissant des cartes nationales d'identité et des passeports, je prends note de votre inquiétude. Il faut que les mairies, dans leur reprise d'activité, remettent en route ces services. J'espère que les retards seront résorbés dans les mois qui viennent.
Vous avez évoqué des cafouillages entre les préfectures et les ARS. Sans doute, mais je n'ai pas le sentiment qu'ils aient été très fréquents. Des décisions ont dû être prises dans l'incertitude et dans des délais très brefs. Il me semble que les acteurs ont été à la hauteur. Il est vrai que l'organisation des ARS n'est pas la même que celle de l'État. Le dialogue entre le préfet de région et l'ARS est d'évidence, en dépit d'éventuelles divergences de points de vue, car ils sont dans la même ville et ont l'habitude de se voir et de travailler ensemble. En revanche, les relations entre les ARS et les préfets de département ont certainement été moins fluides en raison de la distance. Mais, dans l'ensemble, ils ont fait face et rempli leurs missions.