Intervention de Jean-Bernard Nilam

Mission d'information Trafic de stupéfiants en provenance de Guyane — Réunion du 22 juin 2020 à 14h30
Audition de M. Jean-Bernard Nilam ambassadeur délégué à la coopération régionale antilles-guyane

Jean-Bernard Nilam, ambassadeur délégué à la coopération régionale Antilles-Guyane :

C'est avec une certaine émotion que je m'exprime aujourd'hui dans cette salle du Sénat dont nous connaissons tous l'attachement à son rôle constitutionnel de représentant des collectivités territoriales. Les statuts spéciaux de nos collectivités au titre des articles 73 et 74 de la Constitution traduisent une réalité qui est faite d'éloignement et d'inclusion dans un environnement régional différent de celui que nous connaissons en Europe continentale. Nous ne devons pas oublier que la reconnaissance de cette spécificité a été un long chemin, traversé parfois de mouvements d'humeur. Et en ce 22 juin, mes pensées vont vers mon père qui, il y a 58 ans jour pour jour, a vécu avec d'autres Guyanais, des moments difficiles à la mort du député Justin Catayée. Je suis ici en tant qu'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans le bassin Antilles Guyane, mais vous me permettrez, Monsieur le Président, d'ajouter mon témoignage plus personnel d'un originaire de outre-mer atlantiques. Le premier message que je souhaite faire passer à ce titre est celui de l'extrême sensibilité sociétale de la problématique dont s'occupe votre mission. Il y a en effet l'impact de la drogue en matière de santé publique pour la société française outre-mer et en métropole. A cet égard, j'y reviendrai, les trafics forment de plus en plus un continuum qui tend à estomper la différence entre métropole et outre-mer.

Il y a aussi un impact particulier sur la population guyanaise, notamment à l'ouest de ce département et notre préoccupation est de voir se déliter le tissu économique et social, et que se dissolve une certaine forme d'armature morale, à mesure que l'argent des passeurs irrigue la région de Saint-Laurent-du-Maroni, faisant perdre tout repère aux jeunes générations. Aux Antilles, comme en Guyane, le risque est grand de voir l'argent de la drogue prendre de plus en plus d'importance sur fond de progression de la délinquance, avec des groupes violents comme nous le voyons en Guadeloupe aujourd'hui.

La métropole aussi est concernée et je pense particulièrement au parcours de jeunes issus de nos territoires, de la deuxième ou troisième génération, qui sont exposés à tous les risques, en banlieue parisienne comme dans les grandes villes de province.

Ma deuxième préoccupation est plus directement liée à mes fonctions. De par la situation géographique des Antilles et de la Guyane, la France est un partenaire incontournable dans la lutte internationale contre le narcotrafic dans la région Caraïbe. Nous avons d'ailleurs une spécificité peu enviable qui est notre frontière terrestre avec le Surinam, alors que le modèle de la lutte contre le narcotrafic est essentiellement maritime et aérien. Deux autres puissances européennes implantées dans la région ont des intérêts comparables aux nôtres, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, mais la France concentre les attentes des pays de la zone en vue d'un partenariat politique qui différerait de l'approche américaine, qui demeure marquée par un certain unilatéralisme. Certes, nous devons faire preuve de réalisme et ne pas ignorer le poids de l'histoire et de la géographie qui rendent l'action des États-Unis légitime et incontournable dans cette partie du monde. Notre coopération avec eux est ancienne et durable, mais la France est aussi légitime à agir, en tant que puissance européenne, car un tiers de la production de drogue sud-américaine est orientée vers l'Europe (deux tiers vers l'Amérique du Nord). Nous devons être attentifs à remplir cette mission, dans le respect de la souveraineté des États et en nous appuyant de façon privilégiée sur les structures locales. Il y a d'ailleurs matière à débat sur la manière de concilier respect du droit international et efficacité dans la lutte contre les réseaux de stupéfiants et l'avis de la mission sénatoriale à ce sujet sera très utile.

Enfin, je tiens à évoquer la question du lien entre le développement des trafics avec celui des nouvelles menaces, notamment le terrorisme. Pour les États-Unis, le lien est établi depuis des années, depuis les attentats de New York au début du XXIe siècle. En Europe, le financement du terrorisme et la cybercriminalité sont identifiés, notamment par Europol, comme des menaces émergentes liées au narcotrafic. La France est très concernée et se montre attentive à la situation en Afrique de l'ouest et au Sahel où nous nous efforçons d'encourager une transition vers plus de transparence dans les gouvernances et d'efficacité dans la lutte contre la corruption. En tant qu'ambassadeur délégué à la coopération régionale Antilles Guyane, je suis confronté à un contexte d'une moindre grande fragilité que celui que nous connaissons en Afrique, mais le retard de développement dans la zone dont je m'occupe est un puissant facteur de risque, conjugué aux perturbations engendrées par les accidents climatiques et sanitaires. Nous allons maintenant pouvoir approfondir ces réflexions autour du questionnaire que vous m'avez transmis.

Pour répondre à votre première question, sur les flux de stupéfiants transitant par les Antilles et les quantités que cela représente, il se trouve que, de manière assez contre-intuitive, le volume des prises effectuées dans les Antilles françaises est plus important que celui constaté en Guyane.

Lors de la conférence de coopération régionale Antilles-Guyane de 2018, j'ai fait intervenir M. Jean-Damien Moustier, qui était alors le chef de l'office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCTRIS), organisme qui a été remplacé en 2020 par l'office antistupéfiants (OFAST). Il ressort de son intervention que, s'agissant de la cocaïne produite dans les grands pays producteurs que sont la Colombie, le Pérou, l'Équateur et la Bolivie, les flux transitent essentiellement par la voie maritime. Le Venezuela est très présent comme point de départ, puis les flux passent vers les Petites Antilles et vers Porto Rico.

Les trafics inter-îles sont également très soutenus. Il s'agit d'un trafic avec rebonds, les différents ports constituant des points d'appui aux cargos qui suivent des stratégies d'évitement, allant d'une île à l'autre pour échapper aux contrôles effectués par les structures portuaires. Dans cette zone archipélagique, le contrôle des frontières repose sur la surveillance maritime laquelle requiert des moyens dont tous les pays ne disposent pas forcément. Il existe de nombreuses voies d'accès et d'échanges. Des livraisons de drogue ont par exemple lieu par le biais de porte-conteneurs, de largages aériens, de sous-marins : le contrôle est un vrai défi pour les autorités des îles antillaises.

Les ports de Fort de France et de Pointe à Pitre sont très concernés par ce trafic qui, d'un point de vue logistique, s'appuie beaucoup sur la circulation des cargos de fret agricole et qui correspond à des volumes très supérieurs aux saisies effectuées à l'aéroport de Cayenne. Selon la marine nationale, plus de 3,5 tonnes de stupéfiants ont été saisis en mer des Antilles en 2018, dont 2 tonnes de cocaïne.

Le phénomène des « mules » en provenance de l'aéroport de Guyane se caractérise par une forte exposition médiatique. Le trafic a une progression extrêmement dynamique : le volume de cocaïne saisi a été multiplié par dix entre 2016 et 2018. Les prises effectuées à Orly sur les transits opérés depuis la Guyane n'atteignaient en 2018 qu'environ 800 kilogrammes de cocaïne, à comparer avec les 3,5 tonnes de prises aux Antilles. C'est un trafic qui vient essentiellement de Colombie par voie terrestre.

Il me semble enfin utile d'attirer votre attention sur la tendance nouvelle que M. Moustier a identifiée, à savoir l'apparition d'un trafic de retour centré sur la résine de cannabis, qui arrive d'Europe et qui est commercialisée sur le marché des îles françaises des Antilles, créant les conditions d'un véritable cycle économique des stupéfiants.

Je poursuis avec votre deuxième interrogation concernant les principales actions de lutte contre le trafic de stupéfiants impliquant un travail de coopération régionale Antilles-Guyane, ainsi que mes interlocuteurs en la matière.

La lutte contre les trafics fait partie des axes forts de la politique de coopération régionale de la France dans la zone Caraïbe, et constitue l'un des premiers enjeux de l'action de notre réseau d'ambassades dans les pays particulièrement exposés, comme par exemple le Venezuela. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi de faire intervenir, également lors de la conférence de coopération régionale Antilles-Guyane de 2018, l'attaché de sécurité intérieure à Caracas, M. Serge Antony, qui décrit dans son intervention que je tiens à votre disposition le dispositif bilatéral de coopération policière mis en place par la direction de la coopération internationale du ministère de l'intérieur.

Ce dispositif de coopération s'appuie sur un maillage de onze services de sécurité intérieure (SSI) dans la zone Amériques, et en particulier, pour le nord de la Caraïbe, un poste à Cuba et un en Haïti, plus une antenne en République Dominicaine. Et dans la zone Caraïbe sud, le dispositif comporte un service de sécurité intérieur à Caracas et un à Bogota. Il s'agit de l'ensemble des points chauds de notre environnement régional.

Les SSI sont placés dans les ambassades et constituent à ce titre mes interlocuteurs de référence dans cet aspect du travail de coopération régionale. La recherche de l'information constitue en effet l'un des principaux domaines de la lutte contre les narcotrafics nécessitant une action en termes de coopération régionale. C'est le nerf de la guerre, car le trafic actuel s'accompagne d'une complexification des circuits et des réseaux.

À cet égard, permettez-moi de faire une mention spéciale du programme IGUANA qui a été mis en place par la direction centrale de la police judiciaire. C'est un programme de coopération policière entre certains États de la Caraïbe très liés au niveau des impacts du trafic de stupéfiants. Il est soutenu par la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) qui promeut des projets de lutte contre les stupéfiants dans les pays. L'idée est de recevoir des partenaires et de les visiter afin d'étudier des stratégies communes d'action contre des groupes transnationaux de trafics de stupéfiants.

Après le volet policier, l'autre aspect important de notre action de coopération concerne évidemment le volet militaire. Je suis amené à travailler en liaison régulière avec le centre opérations interarmées des Antilles basé à Fort-de-France, qui a été désigné et intégré en tant que centre régional de coordination Narcops dans la zone Est de la Caraïbe.

Je terminerai par ce volet souvent oublié ou méconnu de l'action de coopération qui correspond à la lutte contre les paradis fiscaux et les réseaux de blanchiment d'argent issu du trafic de produits stupéfiants. Vous le savez, le sujet est très sensible d'un point de vue diplomatique, particulièrement dans la région dont j'ai la responsabilité. Depuis l'actualisation du 12 février 2020, plusieurs territoires caribéens figurent la liste européenne des juridictions fiscales non coopératives : les îles Caïmans, les Iles Vierges et surtout Trinidad, qui demeure sur la liste noire et est un poids lourd politique et économique dans la région, ce qui nous pose régulièrement des difficultés. Anguilla et Ste-Lucie sont par ailleurs sur la liste grise. Il n'y a évidemment pas de lien direct entre les listes et le comportement de l'État concerné vis-à-vis du narcotrafic, mais le premier critère retenu par l'Union européenne, celui du manque de transparence, n'est pas sans lien avec le degré de coopération des systèmes bancaires locaux.

Vous m'interrogiez ensuite, dans votre questionnaire, sur les avancées dans la coopération régionale en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants permises par l'institution d'un conseiller diplomatique auprès du préfet de Guyane. Mme Suard, qui exerce cette fonction, a été nommée en septembre 2018. Elle bénéficie depuis le milieu de l'année 2020 d'une lettre de mission qui fixe les priorités de son action. Le soutien à la politique de lutte contre les trafics en général, et des narcotrafics en particulier, en fait partie. À cet égard, dans l'organigramme de la Préfecture de la Guyane, un officier est chargé de la coopération internationale en matière de sécurité et de police. Il est directement rattaché à la mission diplomatique et de coopération qui est animée par le conseiller diplomatique.

On peut espérer de cette organisation, mise en place par les deux derniers préfets, un approfondissement des liens avec les services de police et de douanes surinamiens, afin d'améliorer le niveau du renseignement, outil indispensable de la lutte contre les trafics et singulièrement contre le phénomène des « mules ».

S'agissant de la troisième question, sur les accords internationaux en vigueur dans la région favorisant la lutte contre le trafic de stupéfiants, il convient d'évoquer l'accord de San José, entré en vigueur en 2008, entre les États-Unis, la Jamaïque, les Pays-Bas, le Guatemala, le Nicaragua, le Costa Rica, la République dominicaine, la France et le Honduras, auxquels se sont rajoutés le Bélize et Haïti. Il vise à favoriser la coopération contre le trafic de stupéfiants par voie maritime et aérienne. L'accord peut être salué comme une avancée importante, reconnaissant un droit de poursuite et de patrouille dans les territoires des États parties, à condition toutefois que l'État signataire l'autorise expressément, ce qui n'est que très rarement le cas. Le bilan de l'application de l'accord de San José est donc en demi-teinte. Une note de l'OFDT en fait d'ailleurs état. Je suis parfois amené à intervenir sur des sujets de ce type, notamment avec les Pays-Bas, par rapport au droit de hot pursuit dans les eaux de Saint Martin, et cela reste compliqué.

Je voulais également à ce stade évoquer l'existence d'un programme de coopération d'une durée de trois ans piloté depuis Saint-Domingue et qui a pour objectif l'appui à la lutte contre la criminalité organisée dans la région Caraïbe (ALCORCA). Il vise à renforcer la coopération technique entre la République dominicaine, Haïti, le Mexique, la Jamaïque et Cuba en lien avec les collectivités françaises des Caraïbes. Ce programme est construit autour de trois axes. Il créé une plateforme d'échanges entre les pays avec la mise en place de formations adaptées aux besoins de chaque pays et proposées par des experts français, sur des thèmes tels que l'action en mer, la sécurité des aéroports ou le contrôle des conteneurs. Il prévoit le renforcement des capacités nationales et régionales en termes de police et de contrôle maritime, aérien et douanier, par le biais d'ateliers et de formations de personnel. Enfin, il renforce les capacités d'action judiciaire, au travers d'une étude préalable de droit comparé et l'établissement d'un répertoire de bonnes pratiques en matière d'outils normatifs permettant aux pays membres d'accroitre la connaissance mutuelle qu'ils ont de leurs régimes juridiques.

Vous m'interrogez également sur le rapport annuel sur le bilan des actions de coopération régionale intéressant les départements français d'Amérique prévu par l'article R. 4433-32 du code général des collectivités territoriales. Le rapport 2019, qui n'a pas encore été remis, évoque la lutte contre les trafics de stupéfiants. Celui de 2018 aborde d'une part le traité de coopération franco-surinamien de septembre 2018 et d'autre part la Quadripatrite franco-néerlandaise de juin 2018. La lutte contre les trafics constitue en effet un volet important de la stratégie de coopération transfrontalière définie par Annick Girardin et Yildiz Pollack-Beighle à l'occasion du traité signé à Albina : la France et le Suriname ont entendu donner davantage d'ampleur à la coopération pour lutter contre le phénomène des « mules », en matière d'échanges d'informations. L'ambition commune est également d'aller vers le renforcement de la structure de coopération policière (CCP) actuellement en place à Saint Laurent du Maroni. Nous souhaitons également lui donner une compétence douanière ; elle deviendrait alors un centre de coopération policière et douanière (CCPD). Le rapport revient également sur les orientations données en matière de coopération entre les garde-côtes néerlandais et les douanes françaises en matière de lutte contre les go-fast dans le cadre de la Quadripartite franco-néerlandaise.

S'agissant de l'adhésion de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane au CARICOM, M. Antoine Joly, ambassadeur de France au Suriname a déclaré en 2018 lors de son audience d'accréditation que le gouvernement français souhaitait appuyer la lutte de la région contre la criminalité organisée et le trafic de drogue, ainsi que le renforcement des capacités d'action des autorités locales. Cette prise de position a été favorablement accueillie, parce qu'elle répond à la volonté des États membres de la CARICOM de ne pas se retrouver dans un tête-à-tête exclusif avec Washington dans la conduite de la lutte au sol contre les organisations criminelles impliquées dans le narcotrafic.

S'agissant de la cinquième question, sur nos relations avec les partenaires de la région, j'aurais tendance à dire que la France est confrontée à trois types de défis. Le premier est celui de l'intégration régionale. Nos chances de succès dans le combat dépendent de la densité des liens entretenus avec les partenaires. Il ne faut pas penser notre stratégie régionale en faisant abstraction du rôle et de la légitimité à agir des États-Unis. Ces derniers font le lien entre le narcotrafic et le financement du terrorisme, ce qui est une approche que nous partageons dans le cadre de notre implication au Sahel et en Afrique de l'Ouest. Ils sont signataires des accords de Roseau (1982), qui instaure un regional security system, animé par les États-Unis, mais auquel le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont également associés. En réalité, cela créé les conditions d'une véritable coordination militaire, sous l'égide de l'état-major tactique américain de Key West. Depuis 2008, notre commandement militaire de zone, le COMSUP de Fort-de-France, est relié à cette Joint interagency task force pour un accord de coopération.

Le deuxième défi est celui du développement économique. Nous devons à ce sujet être dans une approche plus européenne qu'atlantique. La grande pauvreté est l'un des terreaux du développement des réseaux de production et de diffusion des stupéfiants. À l'échelle nationale, le trafic de drogue est le premier de France ; son poids est de 3,5 milliards d'euros, soit une fois et demi le budget annuel du ministère des outre-mer... Le plan d'action anti-drogue de l'Union européenne, adopté en juillet 2017 et portant sur la période 2017-2020, tend à renforcer les pouvoirs des délégations européennes dans la région, comme celles de Barbade et Haïti, afin d'avoir une meilleure réactivité dans l'attribution des crédits européens.

Le dernier des défis est celui de notre réponse face à la déstabilisation politique des États de la région, qui ne cesse de renforcer les possibilités d'action des narcotrafiquants. Le Venezuela, qui traverse une crise politique et économique depuis une demi-douzaine d'années, est entré en récession en 2014. Il connait un taux d'inflation supérieure à un million de pourcents depuis 2018 et se situe désormais au départ des principales routes d'acheminement de la drogue du continent sud-américain vers l'Europe. D'autres pays se situent au coeur des préoccupations de la diplomatie française : le Nicaragua, et bien-sûr dans les grandes Antilles, Haïti. La France, qui joue un rôle de premier plan dans les efforts de la communauté internationale pour éviter l'émergence d'États faillis, se réjouit de la tenue sans encombre des élections au Suriname, qui montre la maturité politique de notre voisin et permet d'augurer la poursuite de sa collaboration avec la France dans la lutte contre l'ensemble des trafics.

La réponse à la sixième question, sur les leviers permettant d'encourager les partenaires régionaux à coopérer en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, comprend un volet opérationnel et un volet juridique.

La question des moyens opérationnels est la plus importante. C'est la raison pour laquelle, lors de la CCRAG de 2018 à Fort-de-France, j'ai fait intervenir le contre-amiral René Jean Crinola, qui s'exprimait en sa qualité de commandant de la zone maritime Antilles. La convention de Vienne de 1988, ainsi que les textes français qui la transposent, encadrent l'action de l'État dans la lutte contre le trafic de stupéfiants en haute mer, pour permettre d'en arrêter les auteurs. Dans la zone Caraïbe, cette mission est assurée, sous l'autorité du préfet de la Martinique, délégué pour l'action de l'État en mer (DAEM), par des frégates de Surveillance. Ces frégates embarquent des moyens servant à l'intervention et à l'investigation des go fast.

Sur le second point, qui traduit la réponse pénale de l'État face à la délinquance constatée, y compris en haute mer, c'est à la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) qu'il appartient de coordonner l'ensemble des acteurs en matière de lutte antidrogue. Nous pouvons être appelés à actionner les leviers judiciaires et, dans certains cas, les leviers fiscaux de la coopération avec les États étrangers afin de répondre aux exigences de la preuve et obtenir la sanction pénale la plus forte.

Enfin, vous m'interrogiez sur l'impact de l'épidémie de Covid-19 sur la coopération régionale en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants. On peut à ce stade anticiper deux effets majeurs en termes de coopération régionale dans la lutte contre les narcotrafics.

Le premier, sans surprise, est la mise en évidence du lien qui existe entre, d'une part, la globalisation économique et la perméabilité des frontières, notamment dans la Caraïbe et, d'autre part, l'existence et la prospérité d'un marché économique des produits stupéfiants. Pour le dire plus simplement, quand on circule facilement, ce marché prospère. L'exemple de l'île binationale de Saint-Martin est à cet égard édifiant : en quelques semaines on a vu l'activité des revendeurs à la sauvette décroître de façon spectaculaire du fait du contrôle imposé aux points de passage frontaliers et de l'interdiction des déplacements non autorisés.

Le second, malheureusement, est l'aggravation des déséquilibres sociaux que connaissent les États et territoires de la grande région Caraïbe, avec les conséquences prévisibles sur l'implantation des réseaux de trafiquants dans les espaces ainsi économiquement déstabilisés. C'est tout l'enjeu du déconfinement et du retour le plus rapide possible à une activité normale pour limiter l'ampleur de la récession historique qui s'apprête à frapper notre bassin. La sévérité de la crise aux USA, dont la contribution au PIB de la zone est majeure, essentiellement grâce au tourisme, laisse craindre un ralentissement très important pour les destinations les plus fréquentées par la clientèle nord-américaine, comme la République Dominicaine, la Jamaïque, Trinidad et les Antilles néerlandaises.

Le 16 avril dernier le Club de Paris a annoncé la suspension du service de la dette pour les pays les plus pauvres, du fait de la crise sanitaire et économique liée au Covid-19 : il s'agit d'une piste de réflexion dans notre effort de coopération, pour tenter de conjurer le risque d'une fragilisation des structures étatiques dans les pays les plus concernés, avec des effets potentiellement très préoccupants dans le cadre de la lutte contre les trafics de stupéfiants.

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