Intervention de Arnaud Quémard

Commission d'enquête Concessions autoroutières — Réunion du 23 juin 2020 à 14h35
Audition de M. Arnaud Quémard directeur général du groupe sanef et président de l'association des sociétés françaises d'autoroutes asfa

Arnaud Quémard, directeur général du groupe Sanef et président de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA) :

Le déséquilibre est là encore favorable à l'État, puisqu'il est déjà arrivé qu'il nous impose une augmentation tarifaire inférieure de 30 % à ce que prévoyaient les contrats de concession. Mais nous ne nous plaignons pas car nos relations de travail avec le concédant sont bonnes même s'il a un pouvoir important sur nous.

Vous m'avez demandé d'évoquer nos relations avec les usagers des autoroutes. Les questionnaires de satisfaction que nous leur avons soumis témoignent d'un jugement globalement positif de leur part. Chaque concessionnaire tente de mettre la relation client au centre de ses préoccupations. Sanef a ainsi créé une direction de l'expérience client il y a deux ans, ce qui constitue une réelle nouveauté. Une charte de la qualité de service en dix-neuf points, qui constituent autant d'engagements envers les clients des autoroutes, a ainsi été élaborée. L'un de ces points prévoit par exemple que les chantiers autoroutiers ne doivent pas générer plus de 5 minutes de retard tous les 100 kilomètres. Pour atteindre cet objectif, il est par souhaitable d'effectuer le maximum de travaux la nuit, mais il n'est pas toujours aisé de minimiser la gêne pour les clients.

Les concessionnaires souhaitent pouvoir développer un dialogue beaucoup plus direct avec leurs clients, multiplier les interactions via les réseaux sociaux et s'engager sur une qualité de service de haut niveau.

La logique n'est plus celle d'un usager anonyme qui utilise l'autoroute mais celle d'un client dont les besoins sont spécifiques, selon qu'il s'agit d'un chauffeur de poids lourds, d'une personne qui emprunte l'autoroute pour aller au travail ou bien encore d'une famille : le service autoroutier de demain devra donc s'adapter aux besoins de chacun. Il faudra par conséquent proposer des aires d'autoroutes avec plus ou moins de services et faire des efforts de diversification.

Sur la question de l'avenir des concessions autoroutières, il reste dix ans de concession pour Sanef et seize ans pour ASF. Les autoroutes françaises constituent le meilleur réseau d'Europe et peut-être du monde. Elles sont un outil qui contribue à l'attractivité et à la compétitivité de notre pays. Nos territoires, dont vous êtes les représentants, sont ravis d'être traversés par des autoroutes et je sais combien les élus locaux attachent de l'importance à l'installation d'échangeurs par exemple.

Or, si nous ne faisons rien, nous allons perdre en partie cet outil en raison des changements d'usages. La crise actuelle nous montre en effet combien il va être nécessaire de faire évoluer nos infrastructures, en particulier pour accueillir les véhicules électriques qui seront de plus en plus nombreux à effectuer des trajets interurbains. Les véhicules utilisant de l'hydrogène nécessiteront également des investissements considérables puisque le coût d'une borne de recharge est estimé à deux millions d'euros.

La crise sanitaire actuelle nous a également montré que nous devions améliorer l'accueil des chauffeurs routiers, ce qui génèrera là aussi des besoins d'investissements supplémentaires. Ce sera aussi le cas des aménagements destinés à réduire l'empreinte écologique des autoroutes pour répondre aux préoccupations environnementales qui sont les nôtres aujourd'hui. Une réflexion politique pourrait utilement être menée sur la question de la modulation des péages, de sorte que ceux-ci puissent prendre en compte le caractère plus ou moins vertueux des véhicules.

Quoi qu'il en soit, il me paraît très important de ne pas « congeler » les contrats de concession autoroutière jusqu'en 2031-2036. Nous devons continuer à innover sans cesse pour que le réseau autoroutier ne perdre pas son avantage compétitif.

Au terme des concessions actuelles, l'État aura plusieurs possibilités. C'est le système concessif qui a permis de développer les infrastructures actuelles et il me paraît fondamentalement bon. Après un accord sur le modèle économique, le modèle de trafic et le modèle de TRI, il permet à l'État de transférer le risque trafic et de faire assurer l'entretien de l'infrastructure par des professionnels dont c'est le métier.

La gestion des autoroutes antérieure à la privatisation de 2006 n'était pas parfaite. Les infrastructures récupérées par les gestionnaires privés n'avaient pas fait l'objet de diligences techniques détaillées. Plusieurs ouvrages de l'autoroute A4 présentaient des défauts structurels majeurs, ce qui a entraîné des travaux dont le coût a atteint plusieurs dizaines de millions d'euros. Sur l'autoroute A16, l'État avait laissé s'éteindre la garantie décennale alors que plusieurs ouvrages présentaient des problèmes importants. Il est donc clairement intéressant pour lui de laisser les concessionnaires faire face aux baisses de trafic et aux travaux sur les ouvrages autoroutiers.

Sur la question des péages, on pourrait imaginer que l'État décide, comme en Espagne, de les supprimer. Mais l'État espagnol ne sait pas aujourd'hui comment il va financer les infrastructures, rencontre des difficultés budgétaires et doit assumer le fait d'avoir supprimé les emplois des personnels qui percevaient les péages. Dans tous les cas, il convient de se rappeler que les péages constituent avant tout la contrepartie des investissements, l'entretien courant ne représentant que 25 % environ des coûts des concessionnaires.

Autre piste, celle consistant à prévoir la mise en concession conjointe d'autoroutes et d'autres types d'infrastructures, comme des voies nationales, des lignes ferroviaires, des canaux, etc. Il s'agit là d'une simple idée, la mise en concession d'objets plus composites étant susceptible de provoquer un changement de paradigme.

Je connais bien la question des péages sans barrière pour en avoir installé à San Diego en Californie en 2008. Ce sujet n'est pas technique mais juridique et économique, car il soulève le problème de la fraude à laquelle sont susceptibles de se livrer certains automobilistes étrangers, déstabilisant ainsi le modèle économique des concessions, surtout si les autoroutes étaient à l'origine conçue avec des barrières. Les États-Unis sont un immense pays dans lequel circulent peu d'étrangers. La fraude due aux automobilistes étrangers y est donc négligeable alors que la France est un pays traversant où la fraude des automobilistes étrangers est susceptible d'être un réel problème. Le taux de fraude aux péages traditionnels est de 0,11 % seulement. Mais il est potentiellement beaucoup plus élevé aux péages sans barrières. Au total, les péages sans barrières présentent de nombreuses qualités, notamment écologiques, mais posent des questions en termes de modèle économique, d'obligations contractuelles, d'interopérabilité, de capacité à retrouver un éventuel contrevenant, etc.

Sanef travaille actuellement à la mise en place d'un péage sans barrières sur l'autoroute A13 Paris-Caen, car cette autoroute présente des caractéristiques qui s'y prêtent : péage forfaitaire, pourcentage d'automobilistes étrangers réduits, taux de fraude a priori très limité, etc.

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