Intervention de Julien Denormandie

Réunion du 23 juin 2020 à 14h30
Débat sur la situation du logement et du bâtiment — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Julien Denormandie :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais remercier Mme Dominique Estrosi Sassone, ainsi que tout le groupe Les Républicains du Sénat, d’avoir été à l’initiative de ce débat.

Je voudrais aussi remercier Mme la présidente de la commission des affaires économiques du rapport fait par cette commission, que j’ai lu avec beaucoup d’attention. Je remercie enfin M. Jean-Marie Bockel, qui a également produit un rapport sur le sujet, remis en mai 2020.

J’ai lu tous ces documents avec beaucoup d’intérêt et je crois qu’il y a là matière à beaucoup de discussions.

Avant de revenir sur la situation actuelle et de répondre aux différentes questions que vous avez abordées, permettez-moi tout d’abord de poser un diagnostic, qui est, je le sais, partagé sur les travées de cet hémicycle, sur les effets de la crise sanitaire.

Cette crise sanitaire a d’abord mis en exergue les nombreuses inégalités : inégalités sociales, inégalités territoriales. On les connaissait, mais elles ont été une fois de plus mises très fortement en évidence, certains ménages, qui en avaient la possibilité, quittant les métropoles pour aller dans leurs résidences secondaires, d’autres vivant le confinement dans des endroits beaucoup plus exigus et, parfois, dans le mal-logement.

Le confinement et le télétravail ont aussi montré les difficultés de certains ménages face non seulement à la mauvaise qualité de leur logement, mais aussi, parfois, à leur mauvaise connexion. Le télétravail n’était pas une réalité pour tous nos concitoyens. Le facteur numérique, qui, nous l’avons souvent dit, était là pour résoudre les inégalités territoriales, bien souvent, trop souvent, et encore aujourd’hui, n’a fait que les accroître.

Quelles sont les conséquences que nous devons tirer de cette période ? Je voudrais axer mon propos sur quatre principaux points, répondant ainsi à un certain nombre de vos questions.

Le premier axe, c’est d’aller le plus loin possible sur la rénovation du bâtiment. Le rapport de la commission des affaires économiques met bien cet objectif en avant, soulignant que les Français sont inégaux face au logement ; dans cette inégalité, il y a la question de la rénovation des logements. Ce souhait ne vous étonnera pas venant de ma part, moi qui me suis présenté depuis trois ans autant comme le ministre de la rénovation que comme le ministre de la construction.

À cet égard, je me félicite des travaux très constructifs que nous avons menés dans cet hémicycle. Je pense à la lutte contre les marchands de sommeil. Quand je vois les décisions de justice qui sont en train d’être rendues sur Pierrefitte-sur-Seine, je me dis que ce qui a été voté commence à produire des effets. J’en veux aussi pour preuve toutes les discussions que nous avons menées et les décisions que nous avons prises sur la lutte contre l’habitat indigne, par exemple à Marseille.

Beaucoup a déjà été fait sur le plan législatif ; beaucoup a aussi été fait dans les actes. Il faut savoir que l’action de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), agence qui dépend de mon ministère, a été multipliée par deux en deux ans. Dans le milieu des start-up, on dirait qu’il s’agit d’une « licorne ».

Je pense à l’ensemble des rénovations, et pas seulement aux rénovations énergétiques, même si, aujourd’hui, comme l’indique également le rapport que je mentionnais, la crise sanitaire ne doit en rien occulter la crise climatique qui est devant nous. Priorité doit donc être donnée à la rénovation énergétique des bâtiments. À cet égard, je suis convaincu que MaPrimeRénov’, en activité depuis le 1er janvier, permet de répondre à un certain nombre de ces besoins. D’abord, parce qu’elle est très simple d’accès. Ensuite, parce que c’est une prime qui est sociale : sur les 50 000 dossiers déposés depuis le mois de mai, 67 % concernent les 20 % de ménages les plus modestes, alors que plus de la moitié du crédit d’impôt pour la transition énergétique concernait les 80 % les moins modestes.

Cette prime est donc beaucoup plus sociale, et elle marche, mais il faut aller plus loin. On va déjà élargir le nombre de personnes éligibles, puisque dès 2021 y seront éligibles les déciles de revenus 5 à 8, ce qui va dans le sens de votre proposition, même si je sais, pour en avoir discuté avec vous, madame la sénatrice, que vous souhaiteriez aller plus loin.

En tout cas, je note que la Convention citoyenne pour le climat a mis en avant que ce chemin était le bon, mentionnant MaPrimeRénov’, mais qu’il fallait amplifier l’effort. Faut-il aller plus loin avec cet instrument ? Inutile de vous dire que c’est ma préférence, et je suis sûr que nous aurons de beaux débats sur le sujet lors des prochains textes financiers.

Le deuxième axe, c’est de soutenir le secteur de la construction. La priorité du Gouvernement en ce moment, comme vous le savez, c’est la question de l’emploi. Or le secteur de la construction, c’est plus de 2 millions d’emplois. L’objectif est clair : il faut poursuivre la construction de logements abordables. Pour ce faire, nous avons besoin de deux choses.

D’abord, et vous l’avez très justement dit, madame la sénatrice, il faut absolument soutenir les entreprises du bâtiment, sachant que le secteur du logement est un chaînon dont tous les maillons sont dépendants les uns des autres.

Ensuite, il faut éviter le trou d’air à l’automne. C’est ma préoccupation du moment. À cette fin, il importe d’inciter la commande sur les territoires. Le fait d’abonder à hauteur de 1 milliard d’euros la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) dans le prochain texte financier va dans ce sens, mais il nous faut aller plus loin. J’ai demandé, par exemple, à toutes les agences dont j’ai la responsabilité de mettre en œuvre les projets d’ores et déjà décidés et de ne rien décaler. J’ai demandé également à l’ensemble de mes équipes d’être des facilitateurs. On sait, encore aujourd’hui, que ce qui relève de l’instruction des services de l’État met parfois trop de temps. Il faut donc être plus rapide.

L’envie, la dynamique de reprise sont là ! J’en veux pour preuve le dernier chiffre que j’ai annoncé : 93 % des chantiers ont d’ores et déjà repris sur l’ensemble de notre territoire.

Le troisième axe, c’est de prendre en compte le constat que le Covid va forcément modifier notre aménagement du territoire, et plusieurs d’entre vous l’ont souligné dans les différents documents que j’ai évoqués. Pour ma part, je pense que c’est très bien ainsi. À mon sens, la crise sanitaire intense que nous avons vécue ces derniers mois, et que nous vivons encore, a mis en évidence le rôle très important à l’avenir de ce que j’appelle les « villes de France », c’est-à-dire les villes de taille moyenne. Cela ne vous étonnera pas, ici, au Sénat. Nous avions fortement poussé ces villes avec l’opération « Action cœur de ville », et je crois qu’il faut aller encore plus loin.

Permettez-moi d’insister notamment sur un dispositif fiscal, qui s’appelle le « Denormandie dans l’ancien » et qui vise à rénover les logements dans ces villes moyennes. Aujourd’hui, près de 250 villes sont éligibles ; 400 autres en ont fait la demande. Avec ces opérations de revitalisation du territoire, je crois que nous avons créé une dynamique qu’il faut soutenir et pousser.

Je n’oublie pas non plus la réhabilitation des bureaux en logements ou la lutte contre les logements vacants.

Tels sont les trois axes, a minima, que j’ai fixés comme priorité d’action à mes équipes au lendemain de la crise sanitaire s’agissant des modifications de l’aménagement du territoire.

Enfin, puisque que le temps m’est compté, j’aborde un quatrième objectif : la réponse à la crise doit être évidemment sanitaire, d’abord, économique, ensuite, pour préserver les emplois, mais il s’agit aussi d’éviter une crise sociale. À ce titre, le logement a une part fondamentale dans tout ce que nous allons faire.

Nous allons d’abord accompagner les ménages qui en ont besoin pour payer leurs loyers. On pourra reparler du FSL, mais j’attire votre attention sur la décision des partenaires sociaux de créer une aide spécifique d’Action Logement, avec qui j’ai plaisir à travailler tous les jours, d’un montant de 150 euros par mois pendant deux mois pour les familles qui voient leur reste à charge profondément augmenter, s’agissant de leur loyer, soit parce que leurs revenus ont diminué, soit parce que leurs dépenses ont augmenté.

Il s’agit également d’accompagner la production de logements sociaux. Je n’entre pas dans le détail des mesures, qui portent sur la TVA ou d’autres aspects, mais nous aurons aussi ce débat lors des prochains textes financiers.

Soutenir la construction, c’est aussi mettre en œuvre les plus de 10 milliards d’euros déjà conventionnés de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Près de 200 appels d’offres ont déjà été passés ; les chantiers ont déjà commencé ; plusieurs centaines d’autres appels d’offres sont en cours. Bref, les grues reviennent aujourd’hui dans nos quartiers.

Il faut également, et la commission des affaires économiques du Sénat l’a très bien dit dans son rapport, permettre la fluidité dans le logement, que ce soit dans le logement social, le logement intermédiaire ou le parcours dit résidentiel.

Par ailleurs, il importe de lutter contre la hausse des prix du foncier : ce sont les baux réels solidaires, les organismes de foncier solidaire (OFS), chers à beaucoup d’entre vous, mais j’ai une pensée particulière pour vous, madame Lienemann, puisque nous avons inauguré le premier OFS à Espelette voilà quelque temps.

Enfin, je pense aux personnes en très grande difficulté. Nous agissons là avec deux principaux objectifs : mettre à l’abri, j’y insiste, et favoriser, pour les personnes mises à l’abri, la sortie vers le logement grâce à la politique dite du « Logement d’abord ». Deux chiffres permettent de caractériser l’ampleur de ce que nous faisons. Hier soir, ce sont 178 000 personnes que l’État, les collectivités, les associations ont mises à l’abri. Ensuite, grâce à la politique du « Logement d’abord », en deux ans, 2018 et 2019, ce sont 150 000 personnes que nous avons sorties d’un logement très insalubre ou de la rue pour leur donner un vrai « chez-soi ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion