Intervention de Marc Fesneau

Réunion du 23 juin 2020 à 14h30
Débat sur le bilan de l'application des lois

Marc Fesneau :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier Mme Valérie Létard, l’ensemble des présidents de commission, ainsi que les services du Sénat de leur travail toujours minutieux, sur la base duquel nous allons échanger cet après-midi.

Alors que, l’an passé, le rapport soulignait que le taux d’application résultant des calculs du Sénat était « proche de celui du Gouvernement », cette année, ce sont plutôt nos divergences méthodologiques qui sont mises en exergue, avec des taux qui, en première analyse, peuvent paraître très divergents : 82 % pour le Gouvernement, contre 72 % pour le Sénat.

Nous avons de longue date une méthodologie différente ; vous l’avez d’ailleurs souligné, madame la sénatrice. Premièrement, le Gouvernement ne retient que les mesures immédiatement applicables, quand le Sénat y ajoute les mesures différées, ce qui conduit à un différentiel d’environ 150 mesures. Deuxièmement, le taux que nous vous présentons ne prend pas en compte les arrêtés.

Le Premier ministre est le titulaire du pouvoir réglementaire. Il est donc naturel qu’il assure un suivi général de l’application des lois et que nous venions en débattre chaque année avec vous. Cela permet d’avoir une vision « panoramique » des quelque 1 600 décrets qui sortent chaque année.

Par comparaison, le nombre d’arrêtés réglementaires pris chaque année est d’environ 8 000. Par définition, les arrêtés sont signés par chaque ministre compétent, mais rarement par le Premier ministre.

Outre la difficulté qu’il y aurait pour le secrétariat général du Gouvernement (SGG) à suivre entre deux et quatre dizaines d’arrêtés chaque jour, il s’agit là de la responsabilité de chaque ministre. Un ministre est par nature responsable pour suivre en continu les arrêtés qu’il doit prendre. La modification du règlement du Sénat du 6 juin 2019, qui confie au rapporteur d’un texte le suivi de son application, doit de notre point de vue permettre le suivi fin de ces arrêtés.

Je constate avec vous un léger tassement du taux d’application de la loi, qui était au 31 mars 2020 de 82 %, contre 85 % un an plus tôt. Il convient toutefois de souligner que le nombre de mesures à prendre a significativement augmenté, d’environ 55 % ! Nous sommes passés de 461 mesures pour 2017-2018 à 715 pour 2018-2019 ! Je rappelle que le taux était de 73 % pour le bilan annuel de 2018, avec un nombre de mesures bien inférieur, de l’ordre de 525.

Vous avez mentionné le recours à la procédure accélérée. Sur longue période, il n’y a pas de véritable rupture entre cette législature et la précédente. En revanche, pour être honnête intellectuellement, on constate un recours plus systématique sous cette législature et la précédente que sous la XIIIe législature.

Cela n’est sans doute pas sans lien avec la révision de la Constitution de 2008, qui a profondément modifié les règles de fixation de l’ordre du jour : à défaut de procédure accélérée, un texte déposé depuis moins de six semaines ne peut être inscrit à l’ordre du jour, ce qui, à un ou deux jours près, peut conduire à retarder son examen d’un bon mois.

Les conditions d’examen exceptionnelles que nous avons connues au cours des trois derniers mois ne sont pas représentatives, je le crois, de la manière dont l’examen des textes s’est déroulé depuis 2017. Et même si le Gouvernement demande généralement la réunion d’une commission mixte paritaire à l’issue des premières lectures, comme le recours à la procédure accélérée l’y autorise, il s’est la plupart du temps efforcé de ménager des conditions d’examen raisonnables ; mais il s’agit, je le sais, un point de vigilance particulier de votre Haute Assemblée, et à juste titre.

Distinguons les rapports prévus à l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit de ceux qui sont demandés spécifiquement par le Parlement. Cet article avait été introduit dans un contexte de très faible application de la loi. Votre Haute Assemblée avait même envisagé à l’époque que cette obligation doive intervenir dès lors que le taux d’application d’une loi était inférieur à 30 % ; c’est dire ce qu’étaient la situation au début des années 2000 et le chemin qui a été parcouru par l’ensemble des gouvernements depuis lors !

La situation a désormais radicalement changé ; entre 80 % et 90 % des mesures sont prises dans un délai de six mois. Dans les faits, le Parlement sera prochainement destinataire, dans le délai de six mois, de 100 % des tableaux faisant le point sur cette application. Nombre d’administrations peuvent ainsi avoir le sentiment que les tableaux qu’elles remplissent et qui sont transmis au Parlement répondent à l’objet de l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004. La transmission de ces tableaux vaut-elle transmission du « rapport » au sens de cet article ? C’est en effet la question que pose l’évolution de la situation.

Par ailleurs, il est nécessaire de le rappeler, certaines lois présentent des mécanismes complexes à mettre en œuvre et peuvent prévoir à cette fin une date différée d’entrée en vigueur, qui peut retarder la remise des rapports.

Je regrette comme vous la situation s’agissant des rapports demandés spécifiquement par le Parlement, qui n’est pas satisfaisante. Je ne manquerai pas d’attirer de nouveau l’attention de mes collègues à ce sujet.

Je partage votre souci de mieux suivre les expérimentations, pour mieux les évaluer et ensuite envisager une pérennisation.

Il est parfois tentant de bouleverser ce séquençage. J’ai souvenir des débats que nous avions encore récemment lors de l’examen de la loi portant diverses dispositions urgentes au sujet de l’expérimentation de relèvement du seuil de revente à perte et de l’encadrement des promotions. La solution qui a été retenue par la commission mixte paritaire et définitivement adoptée par le Parlement me paraît de ce point de vue conforme à l’objectif d’approfondissement des évaluations que vous appelez de vos vœux.

Vous m’interrogez en outre sur les ordonnances. Leur nombre varie de manière très importante d’une année sur l’autre. Ainsi, 59 ont été prises en 2019, contre 27 en 2018 et 81 au cours de la session parlementaire 2016-2017. Depuis 2007, la moyenne annuelle s’établit à 43 ; cette année sera particulière.

Pour parler franchement, le constat d’une forme de « banalisation », pour reprendre le mot de Jean-Marc Sauvé lors d’un colloque de 2014 sur la législation déléguée, me semble difficile à contester. Je ne crois pas qu’il faille y voir une forme de facilité à laquelle céderaient les gouvernements, quels qu’ils soient, et celui-ci plus qu’un autre. J’en veux pour preuve le récent projet de loi portant diverses mesures urgentes, pour lequel j’étais ici même : toutes les habilitations superflues ont été transformées « en dur », comme on dit.

Je manque du temps et sans doute du recul nécessaires pour me livrer à une analyse juridique des causes de ce phénomène. Mais je partage de manière empirique l’analyse de l’ancien vice-président du Conseil d’État : « L’inflation législative […] a trouvé dans la législation déléguée un exutoire durable, d’abord, pour répondre à l’urgence de certaines réformes ou pour décharger le Parlement de l’adoption de textes techniques […], ensuite, pour investir très largement le domaine devenu très extensif de la loi ».

Vous avez évoqué la décision que le Conseil constitutionnel a rendue consacrant le caractère législatif d’une ordonnance non ratifiée après l’expiration du délai d’habilitation. Vous comprendrez que j’observe une certaine réserve et que je ne la commente pas.

Il me semble en tout cas très prématuré d’en tirer des enseignements définitifs sur la manière dont sont susceptibles d’évoluer – c’est en effet un changement inédit – les usages qui ont jusqu’ici prévalu dans le recours à l’article 38, notamment dans la ratification des ordonnances. Vous savez combien le calendrier parlementaire est contraint et ne peut accueillir l’examen d’une quarantaine de projets de loi supplémentaires chaque année, sauf à considérer cette ratification comme une simple formalité.

Enfin, le Gouvernement envisage une évolution de la gouvernance d’Action logement, pour faire suite à une série de dysfonctionnements. Dans ce cadre, il a demandé un rapport à l’inspection générale des finances, afin de vérifier que les règles de gouvernance sont respectées, de faire des recommandations pour les améliorer, de détailler les implications que l’absence de mise en œuvre de ces règles peut avoir.

L’adoption de nouvelles dispositions réglementaires relatives à la gouvernance du groupe a donc été suspendue. Dans l’intervalle, des réunions informelles entre les élus et les opérateurs du logement social peuvent naturellement être organisées, dans l’attente d’une refonte globale du cadre réglementaire.

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