Merci pour votre accueil. Je suis heureux d'intervenir devant vous aujourd'hui, sur les sujets sensibles et d'actualité que sont la prévention de la délinquance, la prévention de la radicalisation, et peut-être aussi les dérives sectaires, puisque la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a été transférée au Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SGCIPDR) - et nous sommes aussi l'un des acteurs de la lutte contre l'islamisme.
Je me suis replongé dans le travail partenarial, de grande qualité, qui avait été mené entre votre délégation et le SGCIPDR en 2017. La plupart des recommandations faites à l'époque ont été reprises dans le plan, ce qui illustre l'intérêt d'échanges permanents entre la vision des territoires et celle de l'administration centrale.
J'ai fait beaucoup de terrain, et j'en ai retiré deux convictions. D'abord, c'est ensemble que nous réussirons sur les sujets de délinquance et de radicalisation. Il serait illusoire de penser que l'État peut tout régler seul. La solution est collective. Nous allons donc nous efforcer de poursuivre et d'intensifier cette collaboration. Deuxième conviction : on doit toujours faire mieux. On ne peut pas se contenter de ce qui existe, il faut toujours améliorer, évaluer, et renforcer nos dispositifs pour trouver davantage de complémentarité et d'efficacité. Dans notre système, chacun a ses compétences, ses pouvoirs, ses services. Si nous n'essayons pas d'améliorer notre travail, nous arriverons à des situations sclérosées, où chacun se renvoie la balle, et où le service qui est rendu à nos concitoyens n'est pas satisfaisant. Vous avez parlé de confiance : il faut, à chaque fois, que cette confiance soit reconstruite, au fil des changements de têtes dans les administrations territoriales, ou chez les élus.
En 2006, a été créé le comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD), suite aux violences urbaines de 2005. Le Gouvernement avait voulu qu'une instance de coordination interministérielle soit constituée pour développer une nouvelle politique de prévention de la délinquance, ce qui a abouti à la loi de 2007. Le CIPD était présidé par le Premier ministre ou, par délégation, par le ministre de l'Intérieur. Il est interministériel, puisque quasiment tous les membres du Gouvernement peuvent y siéger. Il est devenu le CIPDR quand on lui a confié aussi la prévention de la radicalisation en 2016, suite aux attentats de 2015.
On voit donc que notre politique de prévention et de lutte contre la radicalisation est assez jeune. Le premier plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes a été adopté le 23 avril 2014. En six ans, il a fallu construire une nouvelle politique publique, de nouvelles façons de travailler, pour assurer la sécurité des Français. Plusieurs plans se sont succédé, le dernier étant le plan national de prévention de la radicalisation présenté par le Premier ministre en février 2018, et à l'élaboration duquel votre délégation a été largement associée.
Le SGCIPDR a deux attributions historiques : la prévention de la délinquance et celle de la radicalisation. Depuis le 1er janvier dernier, nous avons une autre mission, tout aussi importante, qui est la vigilance contre les dérives sectaires. La Miviludes, qui était rattachée au Premier ministre, a été confiée au ministre de l'Intérieur, et travaille désormais en lien étroit avec nous. Ce rattachement a suscité beaucoup d'interrogations. La Miviludes fonctionne à plein régime et dans les mêmes conditions que précédemment. Le ministre de l'Intérieur m'a donné comme consigne de faire davantage que ce qui a été fait jusqu'alors. La lutte contre les dérives sectaires reste bien sûr une priorité du Gouvernement.
On nous a aussi confié la lutte contre l'islamisme et le repli communautaire. Le 27 novembre dernier, le ministre de l'Intérieur a demandé aux préfets d'intensifier leur action contre toutes les stratégies qui visent à placer une forme de loi religieuse au-dessus de la loi de la République. Nous sommes leur outil de coordination pour la mise en place de cette nouvelle politique.
En matière de conception des politiques publiques, nous sommes là pour appuyer le Gouvernement et proposer l'élaboration et la construction de politiques publiques en matière de prévention de la délinquance, de la radicalisation, des dérives sectaires et de lutte contre l'islamisme. Ma deuxième mission est une mission d'animation. Le SGCIPDR est en effet aussi un outil d'appui aux territoires. Les batailles, j'en suis convaincu, se gagnent sur les territoires. Je m'investis donc dans l'animation des réseaux territoriaux, et je reconfigure le SGCIPDR pour qu'il comporte une cellule d'appui territorial, ouverte aux préfets, mais aussi à l'ensemble des acteurs du territoire. J'ai aussi rendu plus fréquentes les réunions avec les associations nationales d'élus, dont France urbaine. Bref, je souhaite que le SGCIPDR aide les territoires en termes de formation, de prévention et d'animation des réseaux de référents. Je ne veux pas qu'il ne soit qu'une boîte à lettres, qui envoie des circulaires et autres textes : il doit s'assurer de leur application et aider les acteurs de terrain à mettre en oeuvre ces instructions, dans une logique d'accompagnement, d'évaluation et d'amélioration constante. Le SGCIPDR intervient au niveau local, au contact du terrain ; au niveau interministériel, avec l'ensemble des ministères partenaires ; et au niveau international, puisque nous sommes le point de contact en matière de prévention de la délinquance auprès de la Commission européenne.
La stratégie de prévention de la délinquance est une priorité de mon action. La précédente stratégie s'est arrêtée en avril 2017. Il y a donc eu une petite cassure entre les deux. L'attente des élus est très forte. Je les rencontre régulièrement. La signature par le Premier ministre est imminente. L'ensemble des dispositions a été validé par le Gouvernement. Le travail a été long pour plusieurs raisons. D'abord, il a fallu évaluer ce qui avait été fait jusqu'en 2017. Puis, il a fallu réfléchir sur les nouvelles orientations. Il y a eu, en permanence, le souci d'associer les acteurs, et notamment les élus.
Le 11 avril 2019 s'est tenu à Strasbourg le dernier SGCIPDR, sous la présidence du Premier ministre. Celui-ci a souhaité que le travail avec les élus soit encore renforcé, et que la stratégie nationale de prévention de la délinquance soit axée sur le terrain et les acteurs locaux. Il a souhaité lancer plusieurs expérimentations d'action avec des collectivités locales - Lille, Dijon, Toulouse et Strasbourg - sur des actions partenariales, pour mieux identifier les compétences des métropoles et des municipalités. Ces actions ont duré une partie de l'été, et nous en avons tiré un bilan pour intégrer les bonnes pratiques. On m'a demandé, en arrivant, de « mettre un coup d'accélérateur ». Je l'ai fait, avec mes équipes, que je remercie. Nous avons revu les associations d'élus pour affiner le dispositif. Désormais, nous sommes prêts. Il y a eu une consultation interministérielle, et tout est validé.
Nous avons essayé de fixer des priorités. Trop souvent, les stratégies étaient des documents indigestes, et il était difficile d'identifier clairement les priorités d'action. Aussi avons-nous travaillé pour aboutir à un document opérationnel, qui s'articule autour de quatre priorités.
La première priorité, ce sont les jeunes, avec l'idée de commencer la prévention plus tôt. Les chiffres de la délinquance montrent en effet un rajeunissement, dans certains territoires, de l'âge des délinquants. Nous avons donc créé un axe d'effort sur la prise en charge des jeunes dès le plus jeune âge.
La deuxième priorité de cette stratégie concerne les personnes dites vulnérables, et les victimes, bien sûr. Une des actions symboliques, annoncée par Premier ministre et par le ministre de l'Intérieur, est le renforcement des intervenants sociaux dans les commissariats et les gendarmeries. Il s'agit des personnes qui, à côté du dépôt de plainte, accompagnent les victimes - et parfois les auteurs - pour le suivi social, ou la réorientation vers des acteurs de la prévention ou de la prise en charge des victimes. Nous avons 291 intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries, ce qui est peu par rapport au nombre de départements. Dans le cadre de cette nouvelle stratégie, nous souhaitons mettre un accent très fort sur le recrutement des intervenants sociaux. Nous aimerions en recruter 80 en 2020, et 80 en 2021. Or les modes de financement sont partagés entre l'État, au moins pour le démarrage, et les collectivités locales. Nous avons donc demandé aux préfets de faire le tour des acteurs locaux, des collectivités locales, des conseils départementaux pour accélérer la désignation des acteurs sociaux, pour pouvoir travailler conjointement sur la montée en puissance de ce dispositif.
Troisième axe : le rapport à la population. Nous souhaitons qu'en matière de sécurité, les liens entre la police, la gendarmerie et la population soient renforcés. Cet axe de notre stratégie se traduit par la mise en oeuvre de la police de sécurité du quotidien (PSQ) et par la tenue d'assises territoriales de la sécurité intérieure, préalables à la rédaction du Livre blanc du même nom. Tous les acteurs de la société, avec leurs compétences propres, sont mobilisés pour renforcer ce lien.
Un mot, de ce point de vue, sur une démarche vraiment nouvelle : celle des groupes de partenariat opérationnel (GPO). Ils permettent d'associer les habitants, les élus, les bailleurs sociaux, non pas lors de grand-messes inutiles, mais au cours de réunions concrètes, où l'on discute des problèmes immeuble par immeuble, cage d'escalier par cage d'escalier. On vote tous les quinze jours, en tenant un tableau de bord de suivi.
On se contente trop souvent d'une action très globale, dont les résultats sont certes satisfaisants - je pense aux zones de sécurité prioritaires, qui ont permis des saisies records de stupéfiants et des démantèlements de trafics -, mais qui n'empêche pas le sentiment d'insécurité de rester fort, parce que, au niveau local, les problèmes de « bas d'immeuble » ne sont pas réglés. Ce sentiment est peut-être injustifié, mais il existe ; d'où l'utilité de ces GPO.
Dernier axe de notre stratégie : la gouvernance locale. Nous tâchons de bien rappeler le rôle de chacun : celui, de pilotage, du préfet de département, et ceux, complémentaires, des maires et des métropoles ou des agglomérations. Le maire est l'autorité de police de proximité ; l'agglomération ou la métropole sont une puissance de coordination, d'appui, d'ingénierie. Les maîtres mots sont donc continuum et partage de compétences.
Voilà donc nos quatre grands axes, qui seront déclinés par des fiches pratiques opérationnelles.