Si je ne servais à rien, vous ne m'auriez d'ailleurs pas invité... Je vois cependant les choses avec humilité. Je vous remercie pour vos questions, denses, auxquelles je m'efforcerai de répondre dans les domaines qui me concernent.
L'élaboration du Livre blanc est pilotée par le ministère de l'Intérieur, qui a installé à cet effet quatre groupes de travail concernant, en particulier, l'organisation du ministère, les métiers de la sécurité et les implications des nouvelles technologies, comme l'intelligence artificielle. J'ai été entendu par deux d'entre eux, notamment sur les questions relatives à l'articulation entre les politiques de prévention et les missions de la police municipale. Évidemment, il existe un lien étroit entre les travaux afférents au Livre blanc et notre action. Notre pôle universitaire travaille d'ailleurs en synergie avec les équipes du Livre blanc. J'ai insisté, lors de mes auditions, sur la nécessaire clarification du rôle des différentes instances locales - conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), équipes mobiles de sécurité (EMS), cellules de coordination opérationnelle du partenariat (CCOP), cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CPRAF) - fort nombreuses, alors que les élus se plaignent de ne pas être suffisamment informés. Il convient de restructurer la gouvernance locale, afin d'améliorer l'efficacité du dispositif et le partage des informations. Les préfets et les procureurs en conviennent.
L'État finance à hauteur de 3 millions d'euros par an les intervenants sociaux via le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). En 2020, 4 millions d'euros seront consacrés à la création de 80 postes supplémentaires. Leur financement par l'État est modulé en fonction des besoins des territoires ; il varie entre 50 % et 80 % du coût d'un poste. Les nouveaux intervenants sociaux seront également installés auprès de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et au sein des centres communaux d'action sociale (CCAS). Ils seront répartis selon les priorités de chaque territoire, en fonction des difficultés de financement constatées et du faible nombre d'intervenants sociaux existants. Nous faisons du sur mesure, en lien avec les préfets. L'essentiel est que les intervenants soient in fine installés dans les différents commissariats et brigades.
Les référents existent toujours, dans la police comme dans la gendarmerie. Certains élus ne les rencontrent pas suffisamment, d'autres beaucoup. Nous souhaitons qu'il existe toujours un point de contact avec les élus, sur un rythme hebdomadaire ou mensuel selon les territoires. Dans les zones de gendarmerie, nous avons prôné un rythme mensuel, mais chaque territoire s'organise finalement en fonction de ses besoins.
En matière de prévention de la délinquance, j'estime que les CLSPD, qui permettent un partage du secret avec les élus, fonctionnent convenablement, dès lors qu'il y règne un climat de confiance et que les réunions sont organisées régulièrement. Depuis 2007, leur bilan apparaît plutôt positif. Certains élus font néanmoins état de leur insatisfaction s'agissant de la prévention de la radicalisation, sujet complexe et sensible. L'accès aux fiches S fait l'objet de débats politiques et médiatiques. Néanmoins, les individus fichés le sont pour des raisons variées et l'inscription au fichier ne dit rien de la situation de chacun. Pour autant, nous ne pouvons demander aux élus d'être acteurs de la prévention et, en même temps, ne pas leur fournir d'informations.
Fruit d'un travail mené à l'automne 2018, la circulaire du ministre de l'Intérieur en date du 13 novembre 2018 structure le cadre des échanges entre les préfets et les élus, s'agissant de l'état de la menace sur le territoire. De fait, les élus ont besoin d'être informés pour comprendre la mise en place obligatoire de mesures de sécurisation lors de certains événements ; soyons cohérents. La circulaire rappelle également l'association des élus aux CPRAF, chargées de suivre les individus présentant un risque de bascule, tandis les groupes d'évaluation départementaux (GED) se concentrent sur les personnes déjà radicalisées. Les CPRAF engagent un accompagnement de droit commun, en particulier pour les mineurs. Y siègent notamment des représentants du ministère de l'Intérieur, de l'Éducation nationale, du conseil départemental, de la préfecture et des élus. Ces derniers sont ainsi informés des situations relevant des CPRAF.
Demeure toutefois la question, complexe, des personnes ciblées par les services de renseignement pouvant faire l'objet d'une procédure de recrutement par une collectivité territoriale. Les services de renseignement disposent de nombreux outils : ils procèdent à une interpellation en cas de danger grave, mais préfèrent, sinon, assurer une enquête en cours pour remonter une filière. Il convient donc de trouver un équilibre entre l'information du maire et les intérêts de l'enquête. De fait, plus un secret est partagé, plus il s'évente, raison pour laquelle les services de renseignement s'appuient sur le principe de « besoin d'en connaître » pour partager ou non une information. Le maire peut être prévenu des cas les plus sensibles, dès lors qu'il a signé, avec le préfet et le procureur, une charte de confidentialité. À ce jour, 154 chartes ont été signées impliquant 258 communes dont, récemment, la ville de Paris. La relation de confiance entre le préfet et les élus constitue également un élément nécessaire du partage d'informations. De fait, le dialogue existe souvent, même s'il peut apparaître compliqué de tirer pratiquement des conséquences des informations obtenues. Aussi, la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) a-t-elle réalisé un travail d'explication des procédures de droit commun à mettre en oeuvre en cas de signalement d'un comportement inquiétant.
S'agissant du champ scolaire, je vous assure, sans flagornerie, que la loi du 13 avril 2018 visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat, dite loi Gatel, a permis des avancées concrètes sur le terrain. Elle permet de s'opposer plus aisément à l'ouverture d'une école. Elle a également créé les CPRAF scolaires restreintes, réunissant le préfet, le procureur, le directeur académique des services de l'Éducation nationale (DASEN) et les élus pour travailler sur les établissements hors contrat et les cas de déscolarisation. L'instance permet de croiser les informations de chacun pour mettre en lumière certaines situations.
Il convient également de faire preuve de cohérence en matière de formation des élus. Déjà, de nombreuses actions de formation sont proposées par les associations d'élus, les préfets et le ministère de l'Intérieur. Ainsi, 34 sessions ont été organisées en 2019, à destination de 3 000 élus. Je relance, dans le cadre du comité interministériel, des formations à la prévention de la délinquance. Nous travaillons ainsi sur des modules, y compris en ligne, dans le cadre de la nouvelle stratégie. Monsieur Pemezec, je n'ai donc pas un sentiment d'impuissance, mais de responsabilité.
M. Dallier m'a interrogé sur les dispositifs nouveaux. Le département de Seine-Saint-Denis constitue un territoire à part, présentant des enjeux hors norme et doté de dispositifs sur mesure. Les quartiers de reconquête républicaine bénéficient ainsi de renforts policiers. Le ministère met en oeuvre un plan de recrutement de 10 000 policiers supplémentaires sur l'ensemble du territoire, tandis que les effectifs de gendarmerie seront renforcés dans certains départements. Les groupes de partenariat opérationnel (GPO), au nombre de 900, sont également installés. La lutte contre le trafic de stupéfiants constitue une priorité d'action : le nouvel office anti-stupéfiants (Ofast) veillera au maillage territorial en la matière.
Le transfert au préfet des permis de construire des lieux de culte pourrait effectivement constituer une piste de réflexion intéressante. Certes, le préfet appliquera aussi les règles d'urbanisme, mais il subira probablement moins de pression que le maire.