Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il me revient la mission d’ouvrir notre débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. La multitude des problématiques posées par cet accident explique la présence dans cet hémicycle de plusieurs membres du Gouvernement, dont je tiens à saluer la disponibilité.
C’est vers vous que je me tourne, madame la secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, car mon intervention portera sur les enjeux sanitaires de cet incendie de très grande envergure.
Le 26 septembre dernier, au cœur d’une métropole, cet accident a provoqué la dispersion dans l’environnement de nombreux produits chimiques, dont le nombre et les effets demeurent encore, pour une large part, inconnus.
Neuf mois plus tard, notre rapport distingue clairement les questions qui relèvent de la réponse sanitaire immédiate apportée par les pouvoirs publics et celles qui entourent le sujet délicat du suivi sanitaire des populations exposées.
Avoir su éviter une catastrophe ne doit pas nous faire oublier les lacunes opérationnelles importantes dont souffre le pilotage local et central des catastrophes sanitaires. D’une certaine manière, l’accident de l’usine Lubrizol fait rétrospectivement figure de prélude à la crise sanitaire que nous traversons.
La réponse globale apportée sur le terrain, sous l’égide du préfet de département, a permis d’éviter une catastrophe. Pour autant, les interventions sporadiques et non coordonnées de plusieurs ministres, chacun dans leur secteur de compétences, ont pu donner l’impression d’une certaine cacophonie et, peut-être, d’un opportunisme purement politique.
Ainsi le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a-t-il décidé de lever la consigne sur les produits laitiers plusieurs jours avant que l’expert sanitaire rende publics les résultats des analyses des produits agricoles. Comment voulez-vous que la population s’y retrouve ?
Plus préoccupants ont été nos constats sur le suivi sanitaire des populations exposées au nuage de fumée. L’épidémie de covid-19 a contraint les décideurs publics à tenir compte de l’incertain dans la protection des populations d’un danger sanitaire. C’est exactement l’enseignement que nous tirons, Nicole Bonnefoy et moi-même, de l’analyse de la gestion de crise de l’accident de l’usine Lubrizol.
Très tôt, nous nous sommes rendu compte que le refus catégorique du ministère des solidarités et de la santé d’enclencher un suivi sanitaire, en raison de l’absence de certitude concernant l’existence d’un danger, entretenait l’inquiétude de la population quant aux effets de long terme de l’incendie sur la santé.
Effectivement, sans attendre qu’un danger soit strictement identifié, plusieurs risques nous paraissent justifier un suivi sanitaire d’envergure.
Tout d’abord, je pense aux lacunes persistantes des analyses réalisées sur les prélèvements d’air. Les décideurs publics semblent s’être un peu vite satisfaits de résultats partiels, alors que des incertitudes demeurent sur le délai de diffusion des dioxines et des furanes dans les sols ou sur les conséquences à plus long terme de certains composés du phosphore.
Ensuite se pose la question des effets cocktails des molécules contenues dans le panache de fumée, dont les interactions peuvent produire dans l’organisme humain des effets largement méconnus.
Enfin, il y a la question controversée de la dispersion de particules d’amiante au moment de l’explosion du toit des entrepôts abritant les produits stockés.
Il nous paraît donc évident qu’à l’égard de certains risques ciblés l’inapplication d’un principe de précaution en matière de suivi sanitaire, au motif d’une absence de certitude scientifique, ne peut plus se justifier.
C’est pourquoi, outre la consécration d’un tel principe au rang législatif, nous recommandons que soient ouverts deux registres de morbidité, relatifs l’un aux cancers généraux et l’autre aux malformations congénitales. Je serais heureuse, madame la secrétaire d’État, de recueillir votre sentiment sur ce point.
S’il est une leçon que les événements récents, à défaut de ceux qui sont plus anciens, doivent désormais nous inspirer, c’est que la santé de nos concitoyens est un bien trop précieux pour que l’incertitude suffise à justifier l’inaction.