Je vous remercie de m'avoir invité à vous présenter aujourd'hui le rapport de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques. J'ai beaucoup de plaisir à retrouver cette commission, où je suis souvent intervenu dans le cadre d'autres fonctions, en particulier comme ministre de l'économie et des finances et comme Commissaire européen aux affaires économiques et financières. Ce n'est toutefois pas la première fois que je suis auditionné par votre commission depuis que j'ai pris mes fonctions de Premier président de la Cour des comptes. Quelques heures en effet après ma nomination, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) était saisi d'un troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020, et a rendu un avis que je vous ai présenté le 10 juin dernier.
L'audition d'aujourd'hui est toutefois la première occasion pour moi depuis ma prise de fonction d'intervenir devant vous pour vous présenter un rapport de la Cour des comptes.
Sont présents à mes côtés, outre les personnalités que vous avez mentionnées, Jean-Pierre Laboureix, président de section, ainsi que les trois membres de l'équipe de rapporteurs ayant réalisé le travail qui nous réunit aujourd'hui, Nicolas Carnot, Vladimir Borgy et Vianney Bourquard. Je salue également la présence de Jean-Pierre Viola, président de section à la sixième chambre.
Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques est établi, je le rappelle, dans le cadre de la LOLF et de la mission d'assistance au Parlement qui nous est confiée par la Constitution. Je suis extrêmement attaché à cette mission et, plus généralement, aux liens étroits qui unissent notre institution à la représentation nationale. Cet attachement n'est pas uniquement lié à ma sensibilité d'ancien parlementaire et d'élu local, mais aussi aux convictions d'un Premier président attentif à l'équilibre des pouvoirs et à la coopération fructueuse entre acteurs institutionnels. La Cour des comptes, par ses travaux, entend éclairer la décision publique, et non s'y substituer, et nourrir le débat démocratique, et non le saturer. La place qu'elle occupe, à équidistance du Parlement et du Gouvernement, est à cet égard tout à fait singulière dans la République. Soyez donc assurés, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs : j'attacherai à la relation qui nous unit une attention particulière, et même prioritaire.
Ma présidence débute dans un contexte absolument inédit, celui d'une crise majeure et multidimensionnelle, qui a durement touché nos concitoyens, frappé de plein fouet notre économie et qui marquera durablement le paysage de nos finances publiques.
Par conséquent, cette année, l'exercice de présentation de cette production attendue de la Cour, un exercice rituel que vous connaissez bien, sera profondément différent.
Tout d'abord, les modalités de préparation du rapport ont dû être adaptées. Il a en effet été élaboré en plein contexte d'urgence sanitaire, avec des hypothèses macroéconomiques et des prévisions de finances publiques plusieurs fois révisées, amenant le Gouvernement à présenter trois projets de loi de finances rectificative en moins de trois mois, au fur et à mesure du déroulement des évènements, et avec des administrations mobilisées par la gestion de la crise. Face à cette situation extrêmement évolutive, nous avons analysé les informations disponibles au 25 juin 2020.
Le contenu lui-même du rapport s'est ensuite adapté à la crise. Nos analyses sur les perspectives portent d'ordinaire sur les projections du programme de stabilité. Cette année et de manière inédite, celui de la France ne présente pas de scénario au-delà de 2020. En l'absence de prévision du Gouvernement, nous avons centré nos analyses sur l'enjeu décisif de soutenabilité de la dette publique. Lors de ma précédente audition, en tant que président du Haut Conseil, j'avais indiqué que la dette devait être un jour remboursée et que la situation actuelle appelait une vigilance et une intelligence collectives. J'y reviendrai plus en détail dans un instant dans le cadre de ce rapport de la Cour.
Nous nous sommes ainsi efforcés de remplir au mieux notre mission malgré les circonstances. Je tiens à remercier devant vous l'équipe de rapporteurs pour leur travail.
Notre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques est cette année entièrement tourné vers les conséquences de la crise majeure que nous traversons.
Il est traversé par trois questions, qui en constituent les différents volets. Dans quelles conditions et avec quelles marges de manoeuvre financières la France a-t-elle abordé ce choc ? Quelle est l'ampleur de son impact pour nos finances publiques en 2020 ? Quelles perspectives pouvons-nous dessiner pour l'avenir, notamment pour assurer la soutenabilité de notre dette publique ?
Je vais commencer par la première question, qui correspond à la première partie du rapport, à savoir l'exercice écoulé.
Le constat du rapport est clair, la Cour en a fait le diagnostic depuis plusieurs années, je ne m'y attarderai donc pas trop longuement : en 2019, à la veille de la crise, du point de vue de ses finances publiques, la France ne se trouvait pas dans une position aussi favorable que d'autres États européens pour affronter un tel choc.
Dix ans après la crise financière de 2009, le redressement des finances publiques était encore inachevé.
Ne cédons pas à l'autoflagellation ! La dernière décennie n'a pas été exempte d'efforts budgétaires, notamment en recettes au début de la période. Ceux-ci ont permis à la France de réduire progressivement son déficit public, qui s'élevait à 7,2 % du PIB en 2009, et de sortir de la procédure pour déficit excessif - dont j'ai eu à connaître comme Commissaire européen.
Ces efforts se sont toutefois progressivement essoufflés au fil des ans. Les baisses de prélèvements obligatoires ont succédé aux hausses alors que l'équilibre structurel de nos comptes n'était pas rétabli, et la dépense publique s'est insuffisamment infléchie ; elle a même augmenté de deux points de PIB entre 2007 et 2019. Les objectifs fixés en lois de programmation des finances publiques ont quant à eux été repoussés à plusieurs reprises, et n'ont jamais été atteints.
Le redressement structurel s'est donc ralenti en France. La situation des finances publiques en 2019 en témoigne.
Le déficit public s'établissait à 3 points de PIB, dont 0,9 point lié à l'effet ponctuel de la transformation du crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE) en allègement de cotisations sociales. Il s'élevait en comparaison à 2,3 points en 2018 - ce qui est une marche modeste en période de croissance... Le déficit structurel, quant à lui, n'a pas été réduit et est resté stable à 2,2 points de PIB, demeurant éloigné de l'objectif à moyen terme d'équilibre structurel. Cette situation résulte de deux facteurs : les baisses de prélèvements obligatoires ont été intensifiées à la suite de la crise des gilets jaunes, et la dépense publique a connu dans le même temps une accélération, ce qui n'a pas permis de financer les baisses de recettes.
Je n'entrerai pas ici dans le détail des différents niveaux d'administrations publiques. Le rapport sur les résultats de la sécurité sociale en 2019, également rendu public aujourd'hui, et celui sur les finances publiques locales, qui sera publié le 6 juillet prochain, détailleront pour leur secteur respectif les éléments d'analyse relatifs à l'exercice écoulé.
La situation de nos finances publiques nous distingue au total de certains de nos principaux partenaires de la zone euro. En 2019, notre déficit public était le plus élevé de la zone, supérieur de 2,4 points à la moyenne des États qui la composent. Le Portugal, l'Allemagne ou encore les Pays-Bas affichaient quant à eux des excédents budgétaires.
La France n'a donc pas réussi à maintenir une trajectoire de réduction forte de son déficit public, en dépit d'un contexte conjoncturel assez favorable ces dernières années.
Cette évolution du déficit a conduit à un niveau de dette publique déjà très élevé avant même le déclenchement de la crise sanitaire en 2020.
Depuis la crise de 2009, la France n'a pas engagé une décrue de son endettement. Le ratio de dette sur PIB a ainsi augmenté de plus de 33 points de PIB entre 2007 et 2019, alors que certains de nos partenaires, comme l'Allemagne, les Pays-Bas mais aussi le Portugal et l'Espagne, sont parvenus depuis 2014 à faire baisser leur dette rapportée au PIB. Alors que la dette de l'Allemagne se situait à un niveau proche du nôtre en part de PIB en 2007, elle est revenue en dessous du seuil de 60 % du PIB en 2019, tandis que notre ratio de dette rapportée au PIB n'a cessé d'augmenter pour approcher les 100 %.
Le constat global est donc le suivant : la France fait partie des pays de la zone euro qui ont abordé la crise avec des niveaux de déficit et de dette plus importants que la moyenne de la zone, mais également avec des niveaux de prélèvements obligatoires et de dépense publique élevés. D'autres États s'étaient dotés de marges de manoeuvre plus importantes.
La Cour a plus d'une fois pointé, par le passé, les risques que pouvait faire peser une telle situation en cas de choc économique ou social.
Ce choc s'est matérialisé en 2020 de façon brutale, dans des conditions évidemment totalement imprévisibles et, à proprement parler, extraordinaires.
J'en viens à la deuxième partie du rapport, qui porte sur les conséquences de la crise actuelle sur nos comptes publics en 2020. Elles sont évidemment considérables et entourées d'incertitudes d'une ampleur sans précédent.
D'abord et avant tout sanitaire, cette crise a conduit à restreindre fortement l'activité économique pendant plusieurs semaines et a rapidement entraîné la suspension du Pacte de stabilité et de croissance.
La forte incertitude résultant de la situation sanitaire a conduit à réviser fréquemment les prévisions macroéconomiques et les trajectoires de finances publiques. Trois projets de loi de finances rectificative ont été préparés en trois mois, en intégrant à chaque fois des ajustements très significatifs. Entre la loi de finances initiale et le troisième projet de loi de finances rectificative, les prévisions se sont considérablement modifiées : l'évolution du PIB, prévue en hausse de 1,3 % en volume, est désormais attendue à - 11 % ; le déficit public atteindrait 250 milliards d'euros, contre une prévision initiale de 53,5 milliards d'euros, et la dette publique s'aggraverait de 22 points de PIB.
Ces niveaux sont tout à fait inédits et reflètent les conséquences absolument exceptionnelles de la plus grave crise qu'ait connue la France depuis la Seconde Guerre mondiale.
Les dernières prévisions du Gouvernement estiment ainsi le recul du PIB à 11 % ; je rappelle que ce recul n'a été que de 2,9 % en 2009. Cette hypothèse, que le HCFP a qualifiée de prudente, apparaît également plausible à la Cour. Même, comme le montrent les dernières enquêtes de conjoncture et sauf recrudescence de l'épidémie, la récession pourrait être moins marquée que prévu par le Gouvernement.
Le déficit public s'établirait quant à lui à 11,4 points de PIB. Cette prévision apparaît globalement équilibrée à la Cour.
L'explosion du déficit résulte en majorité de l'effet de la crise sur les recettes publiques, avec une très forte chute des prélèvements obligatoires, à peu près proportionnée à celle du PIB. Cette hypothèse nous paraît raisonnable.
La hausse du déficit public s'explique également par une réponse budgétaire vigoureuse, matérialisée par les mesures exceptionnelles qui ont été adoptées pour lutter contre l'épidémie et soutenir l'économie. Leur coût direct est estimé dans la dernière loi de finances rectificative à 57,5 milliards d'euros, soit 2,6 points de PIB. Il est en grande partie porté par l'État - à hauteur de 63 % - et par les administrations de sécurité sociale.
Alors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 prévoyait un déficit de 5,4 milliards d'euros du régime général et du fonds de solidarité vieillesse, il atteindrait 52 milliards d'euros en 2020 selon les dernières prévisions de la Commission des comptes de la sécurité sociale.
Du fait des mesures d'ampleur adoptées pour limiter les effets de la crise sanitaire sur les acteurs économiques, les dépenses publiques progresseraient de 6,4 points en 2020 par rapport à 2019. Elles représenteraient un niveau inégalé de 63,6 % du PIB.
D'autres mesures de soutien, annoncées ultérieurement, n'ont pas reçu à ce stade de traduction dans une loi financière. Je pense aux dispositifs en faveur des personnels hospitaliers, au plan de soutien au petit commerce ou encore aux annonces récentes relatives à la réforme de l'activité partielle - sans parler, bien sûr, du plan de relance.
Au-delà de ces mesures, le Gouvernement a adopté plusieurs dispositifs de soutien qui n'auraient pas, selon lui, d'effet sur le solde public en 2020. Il a notamment accordé sa garantie pour un très ample programme de prêts aux entreprises et entrepris des opérations de sauvetage d'entreprises par des prises de participations ou des prêts.
Au total, face à cette crise majeure et sans précédent, la France a réagi en acceptant la chute des recettes publiques et en adoptant un plan de soutien considérable pour soutenir les revenus et préserver autant que possible les capacités productives. Pas d'autodénigrement ! Cette approche est en vérité commune aux grandes économies de la planète, et en particulier aux pays de la zone euro. Nos principaux partenaires devraient également connaître en 2020 un recul très marqué de leur activité et une forte dégradation des comptes publics, bien que les niveaux de déficit et de dette atteints dépendent aussi de la situation de leurs finances publiques à la veille du choc.
Si la crise a déjà eu pour certains de nos concitoyens des conséquences dramatiques, l'essentiel de son coût économique a été transféré sur notre dette publique, la hausse du déficit en 2020 absorbant les trois quarts de la perte de PIB. Notre niveau de dette atteindrait, d'après les dernières prévisions, 120 points de PIB, soit une augmentation de près de 270 milliards d'euros en 2020. En montant, la dette représenterait 40 000 euros par Français. Ce n'est pas anodin ! Les conséquences de cette crise sur les finances publiques de la France sont absolument considérables.
J'en arrive à la troisième partie du rapport, qui examine les évolutions possibles des finances publiques au cours de la prochaine décennie, et je le fais avec une analyse centrale : la soutenabilité de la dette constitue plus que jamais un enjeu essentiel.
D'ordinaire, la Cour analyse les projections à moyen terme du programme de stabilité. Il n'y a pas eu de telles projections cette année.
Dans ce contexte, la Cour a innové et envisage trois scénarios. Ces derniers n'ont pas vocation à constituer des prévisions mais simplement à illustrer différentes trajectoires possibles en fonction d'hypothèses d'évolution de la croissance. Le premier scénario, dit de rattrapage, prévoit que le PIB revient à sa trajectoire d'avant-crise au bout de quelques années. Dans le deuxième scénario, dit de perte limitée, le PIB ne rattrape pas intégralement le terrain perdu pendant la crise, mais suit une tendance de croissance identique à celle d'avant-crise. Dans le troisième scénario, celui de faiblesse persistante, le niveau et le taux de croissance du PIB diminuent de manière durable par rapport à ceux observés avant la crise.
Ces trois évolutions se distinguent par l'ampleur du rebond de l'activité après 2020 et par le degré de récupération de l'économie à court et moyen terme. Je vais les détailler.
Dans le scénario de rattrapage, le PIB connaît un net rebond à partir de 2020 et le déficit se réduit rapidement vers un niveau proche de 2 %. Ce scénario s'appuie sur l'hypothèse que la croissance potentielle ne serait pas affectée par le choc, notamment grâce aux dispositifs de soutien adoptés.
Je précise d'emblée que, malgré la nature particulière de la crise sanitaire, cette hypothèse nous paraît optimiste. En effet, plusieurs facteurs, comme les faillites d'entreprise ou les conséquences différées de la crise du Covid-19 sur le marché du travail, peuvent amputer les capacités de production. Il apparaît donc plus vraisemblable que la crise laissera sur nos capacités économiques des séquelles durables, avec un impact persistant sur les ressources publiques.
Dans le deuxième scénario, de perte limitée - le plus central - la croissance potentielle ne serait pas non plus altérée par la crise mais le rebond du PIB serait moins marqué à court terme et les pertes ne seraient pas intégralement rattrapées. Le niveau du PIB resterait alors durablement inférieur à celui qui aurait prévalu en l'absence de crise, représentant environ deux années et demie de croissance perdues du fait du choc - comme le dit la Banque de France. Le rééquilibrage des comptes publics serait un peu plus lent et incomplet, avec un déficit public qui resterait supérieur à 4 points de PIB.
Le troisième scénario, de faiblesse persistante, s'appuie sur un rebond encore plus modéré de l'activité au sortir de la crise et sur un potentiel de croissance durablement réduit. Le déficit resterait élevé, revenant à peine sous 6 % du PIB au milieu des années 2020.
Pour chacun des scénarios, les trajectoires de croissance et de déficit ont un impact direct sur la trajectoire de la dette. Ainsi, dans l'hypothèse d'un rattrapage, la dette baisserait rapidement en part de PIB, puis de façon plus graduelle. Le ratio de dette resterait encore, dix ans après la crise, supérieur à 100 points de PIB. Dans le scénario de perte limitée, ce ratio serait maintenu un peu au-dessus de 115 points de PIB à horizon 2030. Enfin, dans le scénario de faiblesse persistante, la dette augmenterait de façon quasi continue, atteignant 140 points de PIB en 2030.
Ces trois options ne recouvrent naturellement pas tout le champ des possibles mais elles nous apportent plusieurs enseignements. En premier lieu, la convalescence des finances publiques sera, dans le meilleur des cas, progressive. En second lieu, même dans le scénario le plus favorable, la dette ne reviendrait pas à l'horizon 2030 à son niveau d'avant-crise.
Sans céder au catastrophisme, la soutenabilité de la dette sera donc, dans les prochaines années, un enjeu décisif pour les finances publiques. Il serait en effet imprudent de tabler seulement sur la croissance pour maîtriser notre trajectoire d'endettement. Un tel choix nous exposerait à terme à des difficultés majeures en cas de remontée des taux. Certes, la dette de la France se finance aujourd'hui de façon satisfaisante : l'action conduite par la Banque centrale européenne (BCE), le niveau des taux d'intérêt, la perspective d'une initiative d'endettement à l'échelle européenne, la qualité de la signature de la France y contribuent.
Il serait tentant, dans ce contexte, de s'en remettre à l'insouciante formule de Balzac dans sa pièce de théâtre Le Faiseur : « Est-il un seul État en Europe qui n'ait ses dettes ? ». Il n'en demeure pas moins qu'une dette doit in fine être remboursée et que réduire notre dette publique est nécessaire à la fois pour restaurer des marges d'action face à de nouveaux chocs et pour renouer avec une trajectoire plus proche de celle de nos partenaires de la zone euro.
Pas de pessimisme, donc, mais du pragmatisme. L'expérience d'autres pays, et de la France dans un passé plus lointain, nous montre qu'il est possible de réduire le poids de la dette sans peser durablement sur la croissance.
C'est le défi qui nous attend dans les prochaines années.
La France doit donc désormais fixer les principes d'une stratégie de redressement de ses finances publiques. Cette dernière s'inscrit dans un cadre européen que je connais bien et qui fait aujourd'hui l'objet de réflexions portant sur l'évolution du Pacte de stabilité et de croissance après la crise sanitaire, dont il est question de faire un instrument plus simple et plus lisible, et autorisant des actions contracycliques.
Au niveau national, cette stratégie devra s'insérer dans un horizon pluriannuel adapté.
Dans l'immédiat, la priorité va évidemment à la maîtrise de la situation sanitaire et au redémarrage de l'activité. Il apparaît à cet égard essentiel, pour soutenir l'économie, de privilégier des mesures de soutien temporaires et ciblées qui favorisent le potentiel de croissance. Certaines actions de relance pourraient être financées par une initiative européenne, si elle venait à se matérialiser, plutôt que par un recours à l'endettement national.
Ensuite, il faudra nous inscrire dans un rythme soutenu mais régulier de redressement des finances publiques. Je l'ai déjà dit, je crois au sérieux, mais pas à l'austérité. Cet effort ne devra donc pas être trop brutal en sortie de crise, afin de ne surtout pas infléchir la reprise, mais il importe en revanche qu'il s'inscrive dans la durée. Une nouvelle loi de programmation des finances publiques constitue le vecteur le plus approprié pour porter cette stratégie de moyen terme. Il importe qu'elle soit rapidement présentée afin de fixer cette orientation. La perspective qu'elle tracera devra s'appuyer sur des hypothèses économiques réalistes, sur la base desquelles la programmation pluriannuelle pourra fixer des objectifs crédibles de progression de la dépense publique.
Enfin, la stratégie de redressement des comptes publics aura pour piliers non seulement la soutenabilité de la dette mais aussi la qualité de la dépense publique.
L'évolution, en toute hypothèse durable, de nos finances publiques appellera un effort de hiérarchisation des priorités politiques, notamment par des revues de dépenses plus substantielles que par le passé et au bénéfice des dépenses jugées prioritaires, et dont l'efficacité a été démontrée.
Elle implique aussi une amélioration de leur efficience, pour dégager des marges de manoeuvre sans sacrifier la qualité de nos services publics. Si de nouvelles baisses de prélèvements obligatoires devaient être envisagées, comme certains le souhaitent, elles devraient s'accompagner de hausses d'autres prélèvements ou de suppression de niches, ou bien trouver leur contrepartie dans de nouveaux efforts de maîtrise de la dépense.
Le réexamen de la qualité de la dépense publique devra cependant, et ce point est à mes yeux très important, préserver l'investissement public. Lorsque ses bénéfices socio-économiques sont démontrés, celui-ci constitue en effet un puissant vecteur de croissance. Cette orientation nous permettra par exemple d'accompagner davantage la transition écologique ou de renforcer notre dispositif de santé, mais elle suppose que soient respectés deux prérequis. Le premier, c'est que les autres dépenses publiques fassent l'objet d'un effort accru de maîtrise. Le second, c'est que les décisions d'investissement soient mieux éclairées, c'est-à-dire que leur efficacité et leur pertinence socio-économique soient davantage prises en compte dans les choix arrêtés.
Sur ce dernier point, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur la Cour. J'aurai en effet à coeur, lors de ma présidence, de développer nos capacités d'évaluation et notre dimension prospective et comparative. Cette expertise renforcée, je souhaite la mettre à votre disposition, à celle du Gouvernement et à celle du citoyen, pour aider, à notre niveau, à construire le futur paysage des finances publiques de notre pays.
Si je devais résumer notre rapport et l'ensemble de mon propos, cela tiendrait en trois mots : le passé, le présent et l'avenir. Le passé, c'est le redressement inachevé des finances publiques à la veille de la crise, notamment par rapport à certains autres États européens. Le présent, c'est le choc considérable que subit notre économie et qui se répercute durement et durablement sur nos comptes publics. L'avenir, c'est la sortie progressive de crise, c'est la trajectoire de retour à l'équilibre de nos finances publiques, c'est la soutenabilité de notre dette et la qualité de notre dépense publique.
Nous vous avons présenté les orientations de la Cour pour retrouver la maîtrise de notre endettement dans les années à venir : nous les avons voulues équilibrées et réalistes, attentives bien sûr aux risques d'une dette non maîtrisée mais totalement conscientes de la nécessité de favoriser la croissance après la crise éprouvante que notre pays traverse. Je n'ai pas voulu que la Cour se tienne en dehors de la société. Elle doit en repérer les fractures, selon la boussole qui est la sienne : la bonne gestion des finances publiques.