Intervention de Pierre Moscovici

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 1er juillet 2020 à 11h05
Situation et perspectives des finances publiques — Audition de M. Pierre Moscovici premier président de la cour des comptes

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes :

Pour la relance, il n'y a pas de mesures magiques ou indolores, il n'y a pas de mesures qui permettent de relancer l'activité sans coût ou sans risque supplémentaire pour les finances publiques. C'est pourquoi il faut surtout avoir des principes directeurs. Les mesures retenues devront être temporaires, pour ne pas grever durablement les finances publiques. Elles devraient être compensées par de vraies économies, sur les dépenses, les niches fiscales ou par des hausses d'impôts. Et les mesures adoptées dans le cadre d'un plan de relance doivent être efficaces et ciblées, car la dette émise pour les financer devra aussi être remboursée. Il est souhaitable, aussi, autant que possible, de financer certaines actions par l'initiative européenne de relance, si elle se confirme, comme je le souhaite, à l'issue du Conseil européen. Il est inutile d'emprunter encore davantage au niveau national.

Sur l'investissement, il n'appartient pas à la Cour de faire des propositions précises sur le choix de tel ou tel projet. Mais nous voulons éclairer la problématique. Actuellement, nos dépenses publiques représentent 63,6 % du PIB. Il ne nous paraît pas dès lors scandaleux de dire qu'il n'y a pas d'austérité, mais qu'il faut rester sérieux. Dans la mesure où il y aurait des investissements à prioriser - on a cité le soutien au système sanitaire ou la transition écologique - il faudra privilégier les dépenses évaluées, et dont l'impact socio-économique et écologique est positif. Et nous devrons être capables de faire des économies sur les autres. Sinon, nous serons confrontés à une forme d'engorgement du système de production français.

Nous ne sommes pas entrés, dans ce rapport, dans la définition de pistes d'économies. Ce n'est pas notre rôle, d'autant que cela n'est possible et envisageable que dans des scénarios qui doivent être fixés par le Gouvernement. Pour autant, la Cour des comptes revient constamment, dans ses rapports, sur cette thématique.

Sur le cantonnement de la dette, certains des éléments qui figurent dans le rapport sur la sécurité sociale peuvent orienter un raisonnement. En réalité, transférer la dette d'une poche des administrations publiques à une autre n'en diminue pas le total ! Le cantonnement est donc une procédure essentiellement formelle, qui ne diminue pas le montant total de la dette. Cela ne signifie pas qu'il est sans effet. Il envoie un signal positif, en confirmant que la dette de crise a bien vocation à être remboursée, intérêts et capital, par une ressource spécifique. Il n'y a donc pas d'évaporation de la dette ou de dette perpétuelle. Le prolongement de la CRDS, qui consiste à prélever 0,5 % de tous les revenus, jusqu'en 2042, permettra de conserver une ressource pour rembourser la dette de crise. Cependant, à côté de ce signal positif, je voudrais marquer une nuance importante. Le remboursement de cette dette de crise se faisant à long terme, il importe d'éviter qu'entre-temps une nouvelle dette se reconstitue au détriment des générations futures. Le cantonnement doit donc être, en quelque sorte, double. Sinon, on fait rouler devant soi une dette qui ne cesse de croître, et on n'améliore pas la dynamique générale. Il faut donc une stratégie globale qui fixe la trajectoire de moyen terme de l'ensemble des finances publiques. N'opposons pas l'idée de la Cour, selon laquelle il faudrait une trajectoire des finances publiques, et le cantonnement de la dette.

Vous avez évoqué l'augmentation des impôts. Ce n'est pas à la Cour de se positionner sur les mesures de redressement qui devraient être décidées, mais à la représentation nationale d'en décider. Et je veillerai au cours de mon mandat à ce que la Cour reste dans le périmètre de ses missions. J'ai suffisamment exercé de fonctions exécutives et législatives pour savoir jusqu'où ne pas aller trop loin ! Indépendance et impartialité sont deux sceaux que je veux apposer à ma présidence.

Néanmoins, nous sommes là pour éclairer les débats. Les efforts de redressement peuvent être globalement de trois ordres : diminuer les dépenses publiques, augmenter les prélèvements obligatoires, ou réduire les dépenses fiscales. La Cour note aussi que le taux de prélèvements obligatoires français est le plus élevé d'Europe, et même le plus élevé parmi les pays de l'OCDE. J'ai eu aussi l'occasion de souligner que l'acceptabilité des prélèvements n'est pas des plus élevées... Et je ne retire rien, monsieur le président, de ce que j'avais dit à l'époque, qui traduisait un sentiment assez populaire. Enfin, de nombreux rapports de la Cour montrent que les dépenses publiques ne sont pas toujours efficaces, et la crise sanitaire n'a pas changé cet état de fait. En tous cas, il faut une cohérence entre la hausse des prélèvements et la maîtrise de la dépense, au sein d'une trajectoire globale de redressement de nos finances publiques.

Le Pacte de stabilité et de croissance, je le connais bien, puisque j'ai eu à en connaître d'un côté, comme ministre des finances, et de l'autre côté, comme commissaire européen en charge de l'économie et des finances. Je le vois maintenant d'un troisième côté, comme Premier président de la Cour des comptes. Mon avis personnel n'a pas changé. Je pense que nous avons besoin de règles dans les finances publiques. Ceux qui pensent qu'on peut s'en passer se trompent. Il faut une boussole, une trajectoire, une cohérence. Mais les règles ne sont pas intangibles pour l'éternité ! Elles se forgent dans un certain contexte, elles doivent évoluer dans un autre contexte et, à l'évidence, nous ne sommes pas dans le contexte du lendemain d'une crise financière qui a donné naissance au Pacte, mais dans une crise sanitaire et économique. D'ailleurs, nous avons du recul sur ce qui s'est passé, et la Commission européenne elle-même a engagé une revue des règles.

Elle tire de cette revue trois leçons : nos règles actuelles sont trop complexes, peu lisibles et ont une tendance procyclique. On peut envisager une réflexion sur les règles pour les rendre plus simples, plus lisibles et plus capables d'être contracycliques - plus intelligentes, en fait. C'est ce que, modestement, j'avais essayé de faire en parlant de flexibilité. Je crois qu'il faut désormais aller plus loin.

Je ne sais pas si vous avez essayé de montrer des contradictions dans mes propos, monsieur Bocquet, mais pour ma part j'y ai vu une très grande constance. Depuis très longtemps, je pense que la dette publique est un facteur de réflexion et depuis très longtemps, je suis persuadé que sa soutenabilité est la question essentielle pour nos finances publiques. Mes jugements peuvent évoluer autour de cette constante, en tenant compte évidemment des circonstances. En 2012, les taux d'intérêt n'étaient pas ceux que nous connaissons aujourd'hui, la capacité d'intervention de la BCE n'était pas la même non plus, il n'était pas question de mutualisation des dettes, la qualité de la signature française n'était pas la même, avec des tensions sur les marchés et des écarts de spreads qui n'existent pas aujourd'hui. Il était donc justifié de parler d'ennemi ou de danger. Quand je dis aujourd'hui que la dette n'est pas catastrophique, je souligne simplement que le contexte est favorable au financement de la dette française. Cela ne nous dispense aucunement d'être très attentifs à ce qui pourrait se passer dans l'hypothèse d'un retournement des taux d'intérêt, qui arrivera un jour. Et nous devons veiller à la crédibilité et à la qualité de la signature de la France.

Je connais les agences de notation, et vous avez peut-être noté qu'une grande agence a marqué une évolution, avec une perspective négative sur la France. Plusieurs facteurs devront être surveillés dans les années qui viennent. D'abord, les efforts de redressement du pays, pour que sa crédibilité globale reste forte. Aujourd'hui, les gens voient dans la France une grande économie, capable de s'adapter. Elle doit le rester ! La relance sera aussi qualitative. Le second facteur, c'est incontestablement notre appartenance à la zone euro et notre arrimage pas trop lointain à l'Allemagne.

Quant à la BCE, Mario Draghi a marqué un changement radical en 2012 avec son « whatever it takes », et élargi de facto la mission de la BCE, en la dotant de nouveaux outils, Quantitative Easing ou taux d'intérêt négatifs, très éloignés des conceptions de ceux qui l'ont imaginée. Pour autant, monsieur Bocquet, le moment où la BCE sera prête à monétiser l'intégralité de la dette n'est pas près d'arriver, et tabler dessus serait une imprudence. Elle fait déjà énormément, et son plan d'urgence pandémie est une mesure extraordinairement puissante, mais il y a aussi une limite, qui est son mandat sur la stabilité des prix, et sa vigilance globale. D'ailleurs, la dette ne s'efface jamais, et finit toujours par se reporter sur quelqu'un. Il faut donc faire confiance à la BCE et à sa présidente Christine Lagarde, sans attendre d'elle qu'elle efface la nécessité d'efforts nationaux et d'une maîtrise de la dette au niveau national.

Bonne dette, mauvaise dette ? Il y a surtout de bons investissements et des moins bons, et l'on peut évaluer cela en fonction de leur utilité socio-économique et écologique. Quant à l'exemple japonais, il ne s'applique pas, car nous n'avons pas les mêmes caractéristiques, démographiques notamment, et nous ne sommes pas une société qui a vocation à s'en tenir à une sorte de stagnation décennale.

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