Intervention de Pierre Moscovici

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 1er juillet 2020 à 11h05
Situation et perspectives des finances publiques — Audition de M. Pierre Moscovici premier président de la cour des comptes

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes :

Je ne pourrai répondre à tous, car un certain nombre de questions cherchent à m'entraîner sur un terrain que j'ai connu mais qui ne peut plus être le mien aujourd'hui : je ne peux pas vous dire si le modèle français est obsolète, ou ce qu'il faut penser du cycle électoral et de son rapport aux dépenses publiques... Cela dit, dans le rapport sur les finances publiques locales, nous montrons bien que celles-ci sont moins impactées que les finances sociales ou les finances de l'État. Incontestablement, comme vous le savez, le cycle électoral peut avoir un impact sur les investissements. En effet, l'année prochaine sera une année préélectorale, l'année suivante sera une année électorale et l'année d'après, une année postélectorale !

Il me semble qu'il y a un consensus sur une évolution possible du HCFP. Sa création a constitué un progrès. Depuis, le contexte a changé et s'est européanisé. Or, si l'on compare notre HCFP à ses homologues européens, on constate que ses compétences sont plus étroites, ses missions plus réduites et, surtout, que ses moyens sont terriblement faibles : avec deux équivalents temps plein contre une trentaine en Espagne ou en Italie, ses effectifs ne sont comparables qu'à ceux qu'on observe au Luxembourg ou en Estonie ! Comme je l'ai dit au président Larcher, au président de l'Assemblée nationale et au Premier ministre, si nous voulons associer le citoyen et le Parlement à l'ensemble des prévisions en matière de finances publiques, il faut renforcer le HCFP. Cela ferait gagner en qualité le débat sur les finances publiques, notamment au moment de l'examen des projets de loi de finances.

Les trois scénarios de reprise que nous présentons n'épuisent pas la variété des trajectoires possibles - il y en a bien d'autres - mais ils montrent trois bornes. Au fond, un scénario en W ne serait pas si éloigné du scénario de faiblesse persistante ; en tous cas, il aboutirait au même résultat.

L'investissement ne se résume pas à celui de l'État. Il y a aussi celui des collectivités territoriales, et l'investissement local des opérateurs. Au final, l'investissement public se monte à 88 milliards d'euros, et non à 12 milliards d'euros. Il va de soi que la dette privée et la dette publique sont les deux faces d'une même pièce, et que c'est un sujet de vigilance, auquel la Banque de France est extrêmement attentive : outre la procédure pour déficit excessif, il existe une procédure pour déséquilibre macro-économique.

La fiscalité écologique n'entre pas dans le cadre de ce rapport. Pour toute une série de raisons qui ne tiennent pas à la crise mais à la transition écologique elle-même, nous devrons adapter notre système fiscal. Une initiative européenne se traduirait probablement par un doublement du plafond des ressources propres, ce qui entraînerait la recherche de vraies ressources propres. Il est inimaginable, dans ce contexte, qu'on ne progresse pas dans le sens d'une fiscalité énergétique ou écologique.

M. Bargeton connaît bien la Cour des comptes. Les questions climatiques, énergétiques ou écologiques, peuvent être prises en compte dans la réflexion, mais je ne veux pas aller plus loin à ce stade.

Sur la baisse des dépenses publiques, il n'y a pas de fatalité. Nous connaissons les résistances, les réticences, et les rigidités, mais de nombreux pays, en Europe et hors d'Europe, ont réussi à faire diminuer les dépenses publiques au cours des décennies passées : la Suède dans les années 1990, l'Allemagne dans les années 2000 et, de l'autre côté de l'Atlantique, l'exemple canadien est éloquent. Je ne préconise ni un scénario à la suédoise, ni un scénario à l'allemande, ni un scénario canadien, mais s'interdire, par définition, de toucher à quoi que ce soit, ne me paraît pas non plus une bonne attitude.

Les engagements hors bilan et les garanties permettent de soutenir l'activité sans occasionner de coût immédiat pour les finances publiques. Le Gouvernement a mis en place de nouvelles garanties très indépendantes et qui n'ont un impact que marginal sur le montant total des garanties accordées en loi de finances.

En matière de fraude sociale, un peu de fermeté serait effectivement utile, pour avancer dans la conclusion des chantiers, notamment informatiques, nécessaires à l'amélioration du paiement à bon droit des prestations sociales. Le temps de réalisation est trop long, et la Cour vous suit, madame la sénatrice, dans le souhait d'une fermeté sur les suites - mais celles-ci relèvent des pouvoirs publics.

La dette de l'Unédic fait partie de la dette dite Covid-19. Dans le rapport, nous disons que la reprise de dette de la sécurité sociale par la Cades ne comprend pas celle de l'Unédic. S'il y a cantonnement, cette dette devrait sans doute être examinée, même si elle est portée aujourd'hui par les partenaires sociaux et non par l'État.

Sur l'annulation de la dette, il y a déjà des évolutions significatives. Le rôle de la BCE a évolué, et des mutualisations de dettes publiques sont envisageables, ainsi que des cantonnements. Pour autant, rien de tout cela n'est une annulation de la dette : une dette, in fine, doit toujours être remboursée. Une dette finit toujours par être une charge sur les générations futures : même si elle se déplace, elle se venge toujours. C'est pourquoi la soutenabilité de la dette publique est pour nous un enjeu essentiel, à la fois économique et financier, et profondément lié à l'état d'une société, à ses préférences intergénérationnelles et à ses capacités de développement.

Je ne crois pas que nous soyons condamnés à un développement à la japonaise. La France a de fantastiques ressources. Encore faut-il bien jouer nos atouts ! C'est la responsabilité des pouvoirs publics. Quant à la Cour, elle se tient à votre disposition pour éclairer davantage les choix du Gouvernement. Elle est une juridiction, et doit le rester. Sa fonction de contrôle est éminente, et correspond à son métier historique. Cela dit, évaluer, accompagner, comparer, participer au débat public, ces actions font aussi partie des évolutions déjà engagées par mes prédécesseurs et que je souhaite poursuivre. Nous devons accélérer ces évolutions, en devenant plus réactifs. Déjà, ce rapport a été élaboré rapidement, et est un document novateur, tourné vers l'avenir, en restant centré sur une question unique, qui est celle des conséquences de cette crise. Nous ne donnons pas réponse à tout, mais nous indiquons des repères solides et une trajectoire crédible autour desquels les pouvoirs publics peuvent construire leurs propres décisions et leurs propres schémas.

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