Le troisième axe de notre feuille de route concerne les usages du numérique. L'enjeu central est de contrer l'effet rebond, phénomène paradoxal par lequel les économies d'énergie permises par une nouvelle technologie sont partiellement ou complètement compensées par l'accroissement des usages. Cet effet est particulièrement fort dans le secteur numérique, comme l'illustre à plusieurs endroits l'étude commandée par notre mission d'information. À titre d'exemple, les gains d'efficacité énergétique très importants des centres informatiques - jusqu'à 20 % par an - pourraient ne pas suffire à compenser l'accroissement exponentiel des usages. Leur consommation électrique pourrait ainsi être multipliée par trois en vingt ans.
Pour contrer cet effet rebond, il est donc nécessaire de faire émerger et de développer des usages du numérique écologiquement vertueux. Il s'agit au final d'économiser les données, qui correspondent en réalité à de l'énergie consommée. On pourrait être tenté de détourner le slogan publicitaire souvent relayé aux Français : « les données sont notre avenir, économisons-les ! ». Un tel changement de paradigme devrait être reconnu dans la loi, à la faveur par exemple de la transposition prochaine du code européen des télécommunications. La donnée pourrait y être définie comme une ressource, nécessitant une gestion durable, au même titre que d'autres ressources précieuses, comme l'eau et l'énergie. Conformément à cette conception, nous estimons que les forfaits mobiles avec un accès illimité aux données devraient être interdits. Cette interdiction ne concernerait évidemment pas les forfaits Internet fixe. L'enjeu est d'inciter les usagers à privilégier une connexion en Wifi, beaucoup moins énergivore qu'une connexion mobile. Cette mesure serait de surcroît préventive à ce stade : très peu d'opérateurs proposent aujourd'hui ce type d'offre avec données illimitées.
Nous proposons également de mieux encadrer le streaming vidéo, qui représente 60 % du trafic Internet mondial. Le streaming provoque un phénomène de « fuites carbone », correspondant à une augmentation des émissions étrangères de gaz à effet de serre imputable à la consommation domestique de vidéos. 53 % des émissions de gaz à effet de serre dues à l'utilisation de data centers ont ainsi été produites à l'étranger. Pour limiter l'impact des usages vidéo, les fournisseurs de contenu comme Netflix et Youtube devraient a minima être contraints d'adapter la qualité de la vidéo téléchargée à la résolution maximale du terminal. Une taxe sur les plus gros émetteurs de données pourrait également être introduite afin d'inciter les géants américains de la vidéo à une injection plus raisonnable de données sur le réseau. Le produit de cette imposition pourrait alimenter le Fonds de solidarité numérique (FSN), et financer ainsi l'aménagement numérique du territoire ou la formation des personnes éloignées du numérique, soit environ 13 millions de personnes en France.
Afin de limiter la consommation de données lors du chargement des pages Internet, l'écoconception des sites et services numériques doit aussi être très largement généralisée. L'éco-conception constitue un des leviers de lutte contre l'obsolescence des équipements numériques, dès lors qu'un site éco-conçu est plus facile à charger sur un terminal ancien et peu performant. À court terme, un appel à manifestation d'intérêt pourrait être lancé pour identifier les solutions les plus exemplaires. À moyen terme, l'éco-conception des sites publics et des plus grands sites privés pourrait être rendue obligatoire.
Enfin, la sobriété numérique passera nécessairement par une plus grande régulation des pratiques des géants du numérique. Utilisation de couleurs vives, notifications permanentes, lancement automatique de vidéos... tout est fait pour attirer au maximum l'attention de l'usager et le maintenir connecté. Pour des raisons éthiques et environnementales, nous estimons qu'une plus grande transparence doit être faite quant aux stratégies cognitives utilisées par les grandes plateformes pour capter l'attention des consommateurs et ainsi accroître les usages. Certaines de ces stratégies devraient par ailleurs être interdites. Je pense notamment au lancement automatique de vidéos, souvent à fin publicitaire, lors du chargement de certaines pages. L'interdiction de cette pratique faciliterait de surcroît la connexion en allégeant considérablement le chargement, particulièrement pour les usagers ne disposant pas d'une connexion en très haut débit et nous en connaissons dans nos territoires. Des réflexions devront également être engagées pour mieux encadrer l'utilisation d'écrans publicitaires lumineux dans l'espace public.