Il me reste donc à vous présenter les propositions du dernier axe de notre feuille route, qui concerne les émissions des data centers et des réseaux.
Il ressort de l'étude que nous avons commandée que les centres informatiques ne sont aujourd'hui responsables que de 14 % de l'empreinte carbone du numérique en France. Ces émissions sont majoritairement produites à l'étranger : par exemple, les data centers utilisés pour le visionnage de vidéos en streaming sont installés aux États-Unis, qui disposent d'une électricité dix fois plus carbonée que l'électricité française. Les émissions des centres informatiques pourraient croître de 86 % d'ici 2040, en raison de l'accroissement continu des usages, du ralentissement des gains d'efficacité énergétique enregistrés ces dernières années et surtout du dynamisme du edge computing, correspondant à des data centers de petite taille, installés à proximité des utilisateurs pour le développement de l'Internet des objets.
Pour atténuer la hausse prévisible des émissions des data centers, nous préconisons de favoriser plus encore l'installation de data centers en France - qui dispose d'un mix énergétique peu carboné - en renforçant l'avantage fiscal existant sur la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) et en le conditionnant à des critères de performance environnementale minimale. La réduction de TICFE pourrait aussi être accrue pour les centres les moins consommateurs. Nous estimons par ailleurs que la complémentarité entre data centers et énergies renouvelables pourrait être renforcée dans le cadre de stratégies territoriales. Les énergies renouvelables peuvent tout d'abord contribuer à réduire l'empreinte carbone des centres informatiques en leur fournissant directement une électricité non carbonée. Les centres informatiques pourraient en retour constituer un levier majeur de flexibilité locale permettant de stocker l'électricité des installations d'énergies renouvelables intermittentes.
Concernant les réseaux, l'étude commandée montre qu'ils ne représentent que 5 % de l'empreinte carbone du numérique en France. Cela s'explique une nouvelle fois par le caractère peu carboné de l'électricité française. Cependant, d'après le scénario central de l'étude, la consommation d'énergie primaire des réseaux en France pourrait augmenter de 75 % d'ici 2040, et leurs émissions associées croître de 34 %.
Pour limiter la hausse probable de l'impact environnemental des réseaux dans les années à venir, notre feuille de route rappelle qu'il est plus que jamais nécessaire d'atteindre les objectifs du plan France très haut débit, qui doit permettre d'ici 2025 d'assurer la couverture intégrale de notre pays par la technologie réseau la moins énergivore - la fibre optique. Nous proposons de généraliser des technologies de mise en veille des box Internet et d'offrir des solutions de mutualisation de ces équipements dans les habitats collectifs. Nous recommandons également d'engager une réflexion sur l'extinction des anciennes générations mobiles - 2G et 3G - toujours consommatrices d'électricité, bien que progressivement supplantées par les nouvelles générations 4G et 5G.
Enfin, alors que les enchères permettant de lancer le déploiement de la 5G devraient avoir lieu en septembre prochain, nous ne pouvons que regretter qu'aucune évaluation de l'impact environnemental de cette nouvelle technologie mobile n'ait encore été mise à disposition du public et des parlementaires. À l'instar du président de l'Ademe, qui avait déclaré, lors de son audition devant notre commission, réclamer « une étude d'impact environnemental sérieuse sur le déploiement de la 5G », nous demandons que la 5G fasse enfin l'objet d'une étude d'impact complète ! Les effets de cette technologie sur les consommations énergétiques des opérateurs devront tout particulièrement être évalués. Il semble très probable que l'accroissement des usages annule, voire surpasse, les gains d'efficacité énergétique permis par la 5G. Cette analyse est même partagée par Bouygues Telecom, que nous avons auditionné il y a quelques jours. Il ne faudrait cependant pas se focaliser sur cet unique aspect du sujet. Rappelons tout d'abord que la faible carbonation de l'électricité française atténuera de fait l'empreinte carbone des réseaux, même en cas de forte hausse de la consommation énergétique des opérateurs. Surtout, une part importante des émissions induites par la 5G pourrait en réalité être produite en dehors des réseaux ! À court terme, l'accès à la 5G impliquera pour les consommateurs un renouvellement de leur smartphone. Par ailleurs, la hausse de l'empreinte carbone du numérique à l'horizon 2040 sera largement tirée par l'essor de l'Internet des objets et par la tendance à l'installation de centres informatiques de petite taille ; on parle alors de edge computing. Or, il est évident que ces tendances seront - au moins pour partie - sous-tendues par le déploiement de la 5G. Nous ne pouvons que déplorer que ces différents éléments soient encore moins documentés et évalués que l'impact de la 5G sur la consommation des réseaux. À cet égard, je vous rappelle que le président du Sénat a saisi le Haut Conseil pour le climat pour qu'une évaluation de l'impact environnemental de la 5G soit enfin menée.
Voici donc, mes chers collèges, les principaux axes de la feuille de route pour une transition numérique écologique que nous vous proposons d'adopter. Certains déplacements et auditions ayant été reportés en raison de la crise sanitaire, nous vous rappelons que nous poursuivrons nos travaux à la rentrée et que cette feuille de route fera l'objet d'une proposition de loi. Je vous remercie.