En tant que directeur général de la police nationale, j'ai la lourde et passionnante charge des 146 000 hommes et femmes qui composent cette belle institution et qui assurent à tout moment, quelles que soient les circonstances, la sécurité des personnes et des biens. Je suis accompagné de Mme Céline Berthon, contrôleure générale de la police nationale, qui exerce les fonctions de préfiguratrice des nouvelles fonctions de directeur de cabinet du directeur général de la police nationale, puisque nous avons enfin obtenu la création d'un poste de directeur général adjoint, de M. Bertrand Chamoulaud, contrôleur général et conseiller à mon cabinet, et de M. Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation.
Je m'exprime aussi comme un policier qui comptera bientôt quarante années d'expérience, dont plusieurs à la tête d'unités opérationnelles, qui a dirigé de nombreux dispositifs sur le terrain et procédé à beaucoup d'interpellations, dont certaines difficiles. Je n'oublie rien de ces moments exposés aux risques physiques et juridiques, pour moi-même, mais surtout pour les femmes et les hommes dont j'avais la responsabilité.
Depuis le 3 février 2020, date de ma nomination, les décisions que je prends et les réflexions que je conduis se nourrissent à la fois des instructions du ministre de l'intérieur, des règles strictes qui commandent et qui encadrent notre action, de mon expérience acquise et de l'idéal qui m'anime depuis que je suis entré dans la police : assurer la protection de tous en tout lieu du territoire national.
L'action de la police nationale dans les missions de voie publique s'exerce de manière soutenue, dans le respect de cadres juridiques et déontologiques stricts. Cette présence de la police sur le terrain peut être illustrée par les 6,7 millions d'appels reçus par Police secours et les 1,4 million d'interventions de Police secours réalisées en 2019.
Fort heureusement, l'usage de la force n'est nécessaire que pour maîtriser des individus menaçants, récalcitrants, agités ou se trouvant en état de crise.
Les différentes techniques déployées par les agents, en fonction des situations rencontrées, visent à parer une agression, immobiliser et menotter un individu dangereux, contrôler une personne non coopérative, dans le but de faire cesser un trouble à l'ordre public ou de procéder à une interpellation, en faisant toujours preuve de gradation et de proportionnalité.
Ces techniques sont enseignées dès la formation initiale et retravaillées lors des séances de formation continue. Elles doivent nécessairement rester simples, car elles s'adressent à l'ensemble des policiers, sans considération de leur force physique et de leur expérience.
Malgré la qualité des apprentissages, leur mise en oeuvre en situation réelle dépend du rapport de force existant, de l'état physique et émotionnel du policier, du niveau d'entraînement, des effectifs qui interviennent et de la nature de l'environnement qui peut être hostile.
Les mouvements de saisie ou de clé destinés à maîtriser un individu peuvent conduire dans certaines occasions à l'amener au sol et à l'immobiliser par pression sur certaines parties du corps en position de plaquage ventral, en vue d'un menottage. Cette technique de « l'amener au sol » vise seulement à neutraliser la mobilité de la personne interpellée, à limiter la portée de ses coups et à éviter sa fuite.
Pour être efficaces tout en préservant la sécurité des agents, la plupart de ces techniques reposent sur la création d'une douleur momentanée. La pression n'est appliquée que le temps nécessaire à la maîtrise de la personne, la douleur ne devant se ressentir qu'en cas de résistance et ne pas produire de traumatismes irréversibles.
Au sol, la personne est généralement positionnée face contre terre, le temps strictement nécessaire à son menottage, avant d'être placée sur le côté pour l'exécution des palpations et enfin relevée. Toute pression sur les vertèbres cervicales est proscrite.
Cette doctrine n'a pas vocation à fournir une réponse unique et uniforme répondant à chaque situation ; elle doit d'abord permettre de faciliter la décision individuelle ou collective pendant l'intervention. Le discernement demeure le principe qui doit guider les policiers dans leur choix. Si la phase de dissuasion échoue et que l'intervention ne peut pas être différée, les techniques de contraintes peuvent être mises en oeuvre, considérant qu'elles permettent aussi de ne pas avoir recours aux armes de force intermédiaire et aux armes létales.
Tous les personnels actifs de la police nationale sont formés aux techniques d'intervention au cours de leur formation initiale. L'instruction est conçue pour couvrir un maximum de cas de figure en amenant les stagiaires à réagir individuellement ou collectivement, lors d'exercices de mises en situation réalistes ou de parcours de restitution.
La formation continue aux techniques et à la sécurité en intervention comporte des séances d'entraînement obligatoires pour les personnels actifs et les adjoints de sécurité, pour un volume annuel minimum de douze heures.
Le 23 janvier 2020, le ministre de l'intérieur a adressé un courrier au directeur général de la police nationale et au directeur général de la gendarmerie nationale, demandant « de procéder à une revue des gestes et techniques enseignés et utilisés sur le terrain [...] en examinant tout particulièrement les techniques consistant à saisir les personnes par le cou, à les coucher sur le ventre ou à les soumettre à des clés de bras ». Un groupe de travail commun aux deux directions générales a été constitué, qui a rendu ses conclusions en juin.
Des mesures susceptibles de limiter la portée du risque ont ainsi été identifiées. Plusieurs propositions ont été faites, dont certaines communes aux deux forces de sécurité intérieure. La première est de développer la sensibilisation aux risques de décès par asphyxie positionnelle et à la détection des signes de détresse physique, tant dans les programmes de formation initiale aux techniques d'intervention que dans les séances de formation continue, en parallèle de l'enseignement au secourisme dispensé à tous les élèves policiers et gendarmes. Il faut aussi impliquer les médecins pour leur expertise. Enfin, la dernière préconisation concerne le développement du recours au pistolet à impulsion électrique dont l'effet dissuasif est démontré. En mode tir ou contact, son impact incapacitant instantané réduit les risques de confrontation physique et donc de blessures de part et d'autre. Les études de l'IGPN démontrent toute son utilité. Son emploi est régi par une instruction commune de la police et de la gendarmerie. En augmentation constante, son utilisation révèle une absence de dommages corporels notables.
D'autres préconisations concernent plus particulièrement la police nationale : mettre en place des réunions sur la sécurité en intervention avec les responsables hiérarchiques ; organiser des retours d'expérience pour l'adaptation des référentiels techniques et des formations ; insister sur les règles déontologiques au cours des différentes formations ; instaurer un suivi rigoureux des séances obligatoires de formation continue aux techniques de défense et d'interpellation pour chaque policier intervenant sur la voie publique ; poursuivre la révision des gestes techniques en intervention, en lien avec un médecin légiste, en associant les médecins de la police nationale ; évaluer l'usage de la caméra piéton tant d'un point de vue technique que pratique. Le recours à la vidéo par la police est nécessaire, car il réduit le risque de conflit, et donc de confrontation physique, protège les protagonistes et permet une traçabilité des interventions. Une fiabilisation technique des matériels, assortie d'une révision de la doctrine d'utilisation pour un déploiement généralisé, est sans aucun doute nécessaire.
Enfin, dernier point qui a suscité une réaction forte de la part des policiers, j'ai aussi pris la responsabilité de proposer au ministre de l'intérieur d'abandonner le recours à la technique dite de l'étranglement ; cette proposition ne vise pas à priver les policiers d'un moyen d'agir ou à les ennuyer. Comme toujours, depuis que je dirige des services qui engagent les personnels dans des missions à risques, j'ai fait ce choix avec le souci uniquement de protéger les policiers, physiquement bien sûr, mais aussi et surtout juridiquement.
Cette technique peut prendre deux formes : respiratoire - la pression exercée sur la trachée réduisant, voire supprimant, la circulation de l'air vers les poumons -, ou sanguine - la compression simultanée des jugulaires empêchant la circulation du sang vers le cerveau.
Le ministre a annoncé son abandon au cours de sa conférence de presse du 8 juin. À l'issue de rencontres bilatérales avec les organisations syndicales représentatives les 11 et 12 juin, il a précisé qu'elle n'était plus enseignée.
Les déclarations du ministre ont été déclinées par une instruction du directeur du recrutement et de la formation, le 12 juin, et une instruction de ma part, le 15 juin : cette mesure pourra continuer à être appliquée avec mesure et discernement jusqu'à ce que la technique de remplacement soit enseignée aux personnels.
Un groupe de travail a été constitué dont j'ai confié la responsabilité au contrôleur général Frédéric Lauze, directeur départemental de la sécurité publique du Val d'Oise, composé de formateurs, de médecins, d'un policier judoka et de représentants des syndicats, afin de proposer une solution alternative avant le 1er septembre.
Je suis conscient que l'engagement prolongé des personnels en maintien de l'ordre a conduit trop souvent à reléguer au second plan la formation continue, notamment celle des gestes de défense et d'intervention. Ce déficit de formation continue, couplé à la fatigue physique et morale accumulée au fil des engagements de ces derniers mois, expose sans aucun doute au risque de gestes inadaptés de la part des membres des forces de l'ordre. Il relève donc de ma responsabilité de trouver des solutions.
La sanctuarisation des périodes de formation pour les gestes de défense et d'interpellation s'avère primordiale, au même titre que l'obligation de formation au tir.
Je pense connaître ces hommes et ces femmes qui font preuve, vous le savez et vous le rappelez régulièrement, d'un très grand dévouement et de beaucoup de courage, dans des conditions qui me semblent beaucoup plus difficiles aujourd'hui qu'hier. Ils suscitent mon admiration. Je connais les valeurs qui les animent. Je sais ce que leur engagement représente pour eux en termes de sacrifices personnels et familiaux. Il n'est donc pas acceptable d'entendre ou de lire certains propos caricaturaux, qui pourraient laisser croire que la police est violente et raciste. Dans la police nationale, ces déclarations nous heurtent, nous scandalisent et conduisent malheureusement certains d'entre nous à s'interroger parfois sur le sens de leur action.
Il n'est pas non plus acceptable que des policiers soient agressés physiquement, menacés, injuriés, jetés en pâture sur les réseaux sociaux, à l'occasion de leur travail, mais aussi dorénavant ès qualités dans un cadre privé.
Il ne faut donc pas négliger la protection à laquelle ont droit les policiers. Nous y réfléchissons à la demande du ministre de l'intérieur.
Protéger, défendre et secourir celles et ceux qui sont en situation de faiblesse est une belle et noble mission, mais difficile, car même en étant bien formé et préparé à toutes sortes de situations, un policier peut se retrouver à devoir décider seul en un quart de seconde comment il doit intervenir. Les circonstances conduisent donc les policiers à agir parfois comme ils le peuvent, loin des techniques enseignées et des codes, simplement pour se défendre ou pour que force reste à la loi. C'est ce qui fait à la fois la difficulté et tout l'intérêt de ce travail. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles je suis et je serai le défenseur infatigable des policiers de notre pays.