Intervention de Djemila Benhabib

Commission d'enquête Combattre la radicalisation islamiste — Réunion du 28 mai 2020 à 11h00
Audition conjointe de mmes razika adnani experte membre du conseil d'administration de la fondation islam de france et djemila benhabib essayiste auteur de ma vie à contre-coran

Djemila Benhabib, essayiste, auteur de Ma vie à contre-Coran :

Merci pour votre invitation. Je travaille sur la question de l'islamisme depuis une trentaine d'années. J'ai commencé à y réfléchir alors que j'habitais en Algérie, pays qui a connu une montée fulgurante de l'islam politique dans les années 90. À partir de ce moment, je me suis questionnée sur la raison de la montée de cette violence. Pourquoi ma société, que je considérais être pacifique, a-t-elle basculé dans la terreur, et comment un parti comme le Front islamique du salut a-t-il pu imposer dans certaines régions une façon unique de vivre l'islam ?

En 1994, j'ai quitté l'Algérie pour la France. Au-delà du parti politique islamiste, il y avait également des organisations paramilitaires islamistes, qui se spécialisaient dans l'assassinat d'une catégorie particulière de la population. La France n'était pas un pays étranger pour nous, et nous y avions des attaches amicales, mais nous avons malgré cela découvert, à partir de ce moment, une autre France, que nous ne connaissions pas. Nous avons immédiatement réalisé qu'il y avait dans cette France les germes de la violence qui touchaient l'Algérie. Ceci s'explique par plusieurs facteurs. D'abord, lorsque le Front islamique du salut a été interdit, dans les années 90, l'ensemble des chefs islamistes et les terroristes se sont repliés en direction de l'Europe, qui les a accueillis avec bienveillance. Certains d'entre eux ont obtenu le statut de réfugié politique. Cette expérience n'est pas exclusivement française, puisque l'ensemble des pays européens a accueilli des chefs intégristes.

Je donnais à l'époque des cours d'aide scolaire dans deux banlieues : Stains et La Courneuve, où je me rendais à partir de Saint-Denis. J'y ai très vite détecté la construction d'un discours de haine des femmes. Cette détestation et cette suspicion à l'égard des femmes prenaient alors corps au sein des populations et touchaient des enfants. Nous avons, bien entendu, partagé ces observations avec notre environnement immédiat, constitué de politiques, du monde journalistique et du monde académique, puisque mes parents, intellectuels de gauche, enseignaient les mathématiques et la physique. Nous avons immédiatement remarqué, de la part de ces intellectuels, une réticence à valider nos observations ainsi qu'une banalisation et minimisation de ces constats. Or nous l'avons vu très vite, le terrorisme islamiste a touché la France à partir de 1994, jusqu'à la fin des années 1999. Il a ensuite progressé dans des pays européens comme l'Espagne, la Grande-Bretagne ou encore l'Allemagne.

À partir de ce vécu, j'ai décidé d'aller vivre très loin, du fait de la douleur et de l'incompréhension. Je ne souhaitais plus me heurter à des discussions autour de l'islam et de l'islamisme. J'ai en l'occurrence choisi le Canada, recherchant une démocratie occidentale, avec une séparation des pouvoirs politiques et religieux, ouvert à l'immigration, accueillant vis-à-vis des francophones. J'ai revendiqué le statut de réfugié politique à l'âge de 24 ans et ai poursuivi des études en sciences physiques. J'ai obtenu une bourse de l'INRS et suis devenue correspondante de presse pour le quotidien algérien El Watan. J'ai alors commencé à m'intéresser à la diaspora algérienne au Canada. En 1999, nous avons connu un épisode assez marquant, à savoir l'arrestation d'un terroriste d'origine algérienne, membre du Front islamique du Salut et du GIA, qui cherchait à faire exploser une tour aux États-Unis. C'est alors que j'ai commencé à enquêter sur le terrorisme islamiste au Canada. Je me suis rapidement aperçue qu'il existait un réseau extrêmement bien organisé de terroristes islamistes, algériens mais aussi tunisiens et marocains. Cette internationale islamiste avait investi le terrain au Canada et s'apprêtait à commettre des attentats, tant sur le sol canadien que sur le sol américain. L'année 2001 a elle aussi été décisive pour moi, puisque j'ai réalisé la puissance de l'internationale islamiste, qui avait aussi les moyens de frapper la plus grande puissance mondiale. Deux jours après les attentats, je me suis dirigée vers New York et ai rencontré des Américains. Quelques mois plus tard, mon compagnon et moi-même nous sommes partis pour le Moyen-Orient, envoyés par nos journaux respectifs. Nous souhaitions comprendre la réaction de la rue arabe vis-à-vis de ces attentats du 11-Septembre.

J'ai publié mon premier livre, Ma vie à contre-Coran, en 2009, d'abord au Québec, puis en France et en Algérie. Je m'y rends et rencontre le public algérien, donc je peux indiquer ce que ce public progressiste attend du monde. En 2009, à la publication de ce livre, j'ai occupé l'espace médiatique et suis devenue une cible pour les islamistes. En 2011, j'ai publié un deuxième livre, Les soldats d'Allah à l'assaut de l'Occident. Au début des années 2010, le terrorisme n'était plus le plus inquiétant, contrairement au travail d'emprise de la part de l'islam politique. Cette emprise s'exprime à travers des associations, des publications académiques, et à travers un travail journalistique. Je me suis donc surtout penchée sur ce phénomène de l'emprise de l'islam politique. J'ai par la suite publié d'autres ouvrages.

Je vis aujourd'hui à Bruxelles, où je travaille pour le Centre d'action laïque, un organisme indépendant qui a pour mission d'offrir des politiques et des stratégies sur la laïcité. J'ai mis sur pied, il y a quelques mois, un collectif, le collectif « Laïcité Yallah », qui a pour mandat de fédérer des musulmans, porteurs d'une culture musulmane avec un héritage laïc, à travers l'Europe. Mon travail consiste donc à fédérer des laïcs musulmans, à travers une expérience algérienne et française. Je suis aussi marraine de l'Observatoire de la Laïcité de Saint-Denis. J'ai par ailleurs sillonné la France à partir de la publication de mon premier ouvrage et ai une expérience nord-américaine, pour avoir vécu près de 20 ans au Canada. Je suis en outre établie à Bruxelles depuis septembre 2019.

Là où je suis allée, je me suis heurtée à un courant islamiste puissant. Depuis plusieurs années déjà, je n'ai plus face à moi des islamistes, mais davantage des intellectuels occidentaux, européens, qui participent à la fabrication d'un profil musulman qui tend à considérer que le musulman est un islamiste. Ces personnes qui gravitent dans les sphères académiques, politiques et médiatiques participent à façonner l'idée que l'islamisme est assimilable à l'islam. J'entends alors que les revendications islamistes sont parfaitement légitimes, en ce qu'elles sont de simples revendications musulmanes. Nous sommes aujourd'hui face à une myriade d'associations islamistes, sous couvert du cultuel, du culturel et de la communauté, qui reçoivent de nombreux subsides en provenance des États occidentaux, et qui fabriquent un discours victimaire qui consiste à culpabiliser les sociétés d'accueil, victimiser les communautés musulmanes et provoquer des heurts entre le « eux » et le « nous ».

Je suis aujourd'hui optimiste. Il y a, partout où je vais, une volonté d'agir de la part de militants et citoyens qui ont décelé cette nécessité. Nous avons néanmoins besoin de l'écoute des politiques. Depuis la création de l'Observatoire de la Laïcité de Saint-Denis, nous n'avons reçu que 300 euros de subsides. Nous nous heurtons notamment à des élus locaux qui estiment que notre action n'est pas citoyenne et ne s'inscrit pas dans l'action nationale, alors que nous sommes de véritables laïques et que notre association accueille des femmes et des hommes provenant de différents horizons. Ma préoccupation réside donc dans un soutien par les élus de la République.

Je salue votre action et vos travaux. Il est pour moi très important qu'une commission se saisisse de ces questions complexes.

1 commentaire :

Le 09/07/2020 à 07:51, aristide a dit :

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"Je vis aujourd'hui à Bruxelles, où je travaille pour le Centre d'action laïque, un organisme indépendant qui a pour mission d'offrir des politiques et des stratégies sur la laïcité."

Comment ennuyer les filles qui portent un foulard, et comment ne rien dire dès qu'il y a une revendication culinaire ?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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