Je souhaiterais revenir sur un dernier point concernant le salafisme. Il ne s'agit pas de mouvements centralisés. Ces personnes, lorsque vous les interrogez sur leur rapport à la société, s'estiment battues. Elles se voient comme des communautés d'élus en lutte symbolique pour préserver leur pureté. Elles ont d'une certaine manière pris conscience du fait que la France n'est pas leur pays. Nous parlons aujourd'hui de 10 à 20 000 personnes en France, sur plusieurs millions. Sur un plan numérique, cet argument ne tient donc pas. Cela explique également le fait qu'ils soient très actifs, notamment sur internet. Nous n'avons jamais vu de mouvement salafiste devenir important en contexte occidental, ni même en contexte musulman majoritaire. Il s'agit d'une nuance d'islamité, fondamentaliste et radicale, au sein de beaucoup d'autres. Je ne crois donc pas à la révolution salafiste.
Concernant votre question, il ne s'agit pas du premier mouvement politique plus ou moins organisé. Il y a quelques années, nous avons connu le Parti des musulmans de France, qui n'a jamais dépassé 100 personnes. Le mouvement auquel vous faites référence est d'inspiration belge. De manière régulière, nous assistons à des velléités de se constituer autour d'une référence musulmane politique, en dehors des salafistes et des Frères musulmans. Je ne crois pas que celles-ci aient beaucoup d'importance. Le CCIF (collectif contre l'islamophobie en France) porte une demande sociale, qui aurait dû être canalisée par d'autres acteurs républicains, à commencer par les partis politiques traditionnels. Ces idéologies sont en interaction avec un contexte. La place des personnes musulmanes présentes dans les instances de décision et les cercles médiatiques est structurante au sein de certains milieux. Ces entretiens véhiculent l'idée suivante : « Nous ne sommes pas là où nous devrions être. » Cette politisation pose la question de savoir par quels canaux les revendications sociales transitent. Ces personnes ne sont pas extrémistes à proprement parler, mais entendent défendre, au nom de leur référentiel religieux, un certain nombre de revendications. En soudant ces acteurs au pacte républicain, nous les pousserons à reformuler leur identité et leurs aspirations en les sécularisant. Il s'agit d'un symptôme à surveiller, mais ces personnes portent des revendications qui pourraient transiter par un autre canal. C'est en ayant prise sur le discours religieux, de manière à ce qu'il ne dépasse jamais le cadre de la légalité, et en ouvrant les ressources économiques, sociales, médiatiques et politiques de la société que nous parviendrons à faire baisser l'influence de ces mouvements.