Intervention de Jean-François Silvain

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 17 juin 2020 à 11h10
Audition de Mm. Yann Wehrling ambassadeur délégué à l'environnement et jean-françois silvain président de la fondation pour la recherche sur la biodiversité sur le lien entre pandémies et atteintes à la biodiversité

Jean-François Silvain, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité :

Merci de nous auditionner. Nous apprécions fortement cette possibilité d'échange. J'aimerais avant tout vous présenter Mme Hélène Soubelet, directrice de la Fondation, qui m'accompagne aujourd'hui.

Évoquons les apports des sciences de la biodiversité pour mieux comprendre les zoonoses. Rappelons que les zoonoses font référence au passage de pathogènes des animaux sauvages à l'homme, ou inversement. Les séquences analysées pour la Covid-19 montrent une proximité avec les séquences du virus chez une espèce de chauve-souris asiatique. Cependant, au niveau scientifique, nous n'en savons pas davantage aujourd'hui sur la Covid-19 et ses relations avec la biodiversité.

Au sein de la Fondation, nous avons analysé les relations entre les changements de biodiversité et l'ensemble des environnements de zoonose au cours des trente dernières années, sur une base de trois cents publications récentes. Une quarantaine de chercheurs et chercheuses ont contribué à cette analyse, dont Jean-François Guégan. Nous avons constaté une augmentation du nombre d'épidémies chez l'humain, notamment d'origine zoonotique, depuis cinquante ans. Cet accroissement peut s'expliquer, en partie, par la multiplication des contacts entre les humains et la faune sauvage.

Les différentes zones géographiques ne présentent pas les mêmes risques. Les zoonoses émergentes trouvent principalement leur origine dans la zone intertropicale. La recherche met en évidence des corrélations entre les changements environnementaux globaux, en particulier les pertes de biodiversité, et l'augmentation des maladies infectieuses. Le risque zoonotique peut être accru par l'érosion de la biodiversité spécifique et génétique via différents facteurs, qu'ils soient écologiques, épidémiques, adaptatifs, évolutifs ou liés à l'homme. Il existe un fort consensus en faveur d'un lien entre la déforestation dans ses différentes dimensions et la multiplication des zoonoses en Asie, en Afrique subsaharienne et en Amérique du Sud.

Par ailleurs, le développement des infrastructures humaines agit comme facilitateur de ces zoonoses et contribue à les transformer en épidémies, puis en pandémies. Le développement urbain accroît les risques sanitaires et l'émergence de maladies en favorisant les contacts avec la faune sauvage, notamment dans les zones périphériques.

Des tendances récentes, comme l'écotourisme ou des modes de contacts plus étroits avec la nature, pourraient favoriser les contacts avec des agents infectieux forestiers, notamment via des primates non humains dans certains pays. Cependant, la reconnexion avec la nature présente des bénéfices en matière de bien-être humain ; l'équilibre est délicat à trouver.

Le changement climatique influe de façon significative sur l'activité et la distribution des espèces - particulièrement des arthropodes, insectes vecteurs - donc sur certaines zoonoses. Nous avons identifié des agents pathogènes climato-sensibles, notamment dans les pays du nord. Certains groupes d'animaux sont plus fréquemment que d'autres à l'origine de zoonoses. Le franchissement de la barrière d'espèces semble plus aisé vers l'espèce humaine au sein des primates, qui sont plus proches de l'homme génétiquement, et à partir de certaines espèces qui sont depuis longtemps associées aux activités humaines. Il est possible, mais pas obligatoire, d'avoir un autre intermédiaire.

Le lien entre la consommation et le commerce de viande sauvage et l'émergence de zoonoses a été établi dans plusieurs cas. Les risques d'infections sont amplifiés par la méconnaissance des populations concernant les risques sanitaires et par la demande croissante pour nourrir le marché de faune sauvage. Les phases de contact entre humains et animaux sauvages sont les plus risquées : lors de la manipulation au moment de la chasse, du maintien en captivité, du transport, de la préparation des carcasses, etc. Les élevages industriels permettent la mise en place de mesures de biosécurité ; les risques d'émergence de maladies sont donc moindres. Cependant, lorsqu'une maladie émerge, elle s'y propage rapidement. Le développement mondial de ces élevages, où les animaux présentent peu de diversité spécifique et génétique, génère des foyers favorables à la propagation des zoonoses.

Nous avons également préconisé la mise en place de systèmes de surveillance basés sur une cartographie des risques - avec une superposition entre danger, exposition et vulnérabilité des populations - en particulier dans les zones de forêts tropicales, les zones à haute richesse en espèces de mammifères et les zones aux importants changements en matière d'usage des terres. L'identification d'espèces sentinelles, pouvant faire office de signal d'alerte de développement d'une infection, pourrait être aussi envisagée.

Nous prônons également la limitation des contacts permanents entre les animaux sauvages d'un côté et les humains et animaux domestiques de l'autre. Pour ce faire, il faudra d'une part favoriser l'éducation des populations aux gestes barrières, y compris concernant les activités de chasse de subsistance et les marchés aux animaux sauvages. D'autre part, il s'agira de mettre en place une politique ambitieuse de développement des aires protégées et de limitation de la déforestation pour préserver les habitats de la faune. Le maintien dans ces aires d'une biodiversité élevée en termes de richesse spécifique et de diversité génétique peut contribuer à diminuer le risque infectieux. Un tel développement des surfaces protégées doit se faire dans un contexte de dialogue socio-économique aux échelles territoriales pertinentes. Il faudra veiller en amont à ce que les pressions de consommation, notamment externes, soient réduites. Par ailleurs, les connaissances acquises sur le comportement des espèces à l'origine des zoonoses doivent être mises à profit pour que nous évitions de leur fournir, au travers de certaines pratiques agricoles, des ressources alimentaires et des habitats nouveaux.

Notons que les populations pourront manifester des inquiétudes quant à ces risques sanitaires. C'est le cas en Chine, où les habitants souhaitent éradiquer la présence des chauve-souris dans les zones urbaines. Cependant, une politique d'éradication des espèces réservoirs d'agents pathogènes est irréaliste écologiquement et contre-productive au plan épidémiologique - sans parler des questions éthiques que cela poserait. Il faut plutôt favoriser la vaccination des humains et des animaux domestiques, d'élevage, mais aussi sauvages. Cette solution a été éprouvée, notamment en France avec la vaccination des renards.

Vous pouvez retrouver ces différents éléments sur le site de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, dans le document intitulé « Mobilisation de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité par les pouvoirs publics français sur les liens entre Covid-19 et biodiversité ».

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