La question du lien entre démographie et biodiversité a été abordée à la plénière de l'IPBES, sans être traduite en recommandations. Dans quelques semaines, vous pourrez consulter les réflexions de la Fondation à ce sujet, suite à l'analyse que nous menons en lien avec le ministère de la transition écologique et solidaire. Nous assistons aujourd'hui à une dualité entre crise sanitaire et crise économique. Parmi les participants à notre étude, nous comptons beaucoup de collègues de l'IRD, du CIRAD, etc., très conscients du fait que les populations locales auront des logiques différentes de celles d'un intellectuel scientifique français.
Des études ont montré que l'agriculture traditionnelle sur brûlis dans le bassin du Congo devrait conduire à la disparition de l'ensemble du massif forestier à la fin du siècle. C'est l'une des réponses sur ce sujet délicat de la viande de brousse. Il faut préserver les pratiques locales des habitants, mais nous savons aussi que l'accroissement démographique fait que sur le fleuve Congo par exemple, il n'y a aujourd'hui plus rien de consommable. Le maintien en l'état de ces pratiques d'utilisation de la viande sauvage conduira rapidement à l'épuisement des ressources. Quel compromis trouver entre développement économique, préservation de la biodiversité et risques de crise sanitaire ? Si la déforestation continue, de nouvelles zones agricoles pourront être créées, avec les risques écologiques que cela comporte pour la biodiversité. Si la déforestation cesse, nous nous concentrerons sur la préservation sanitaire et écosystémique, en plaçant le développement économique au second plan. Nos collègues ont travaillé sur des modèles planétaires qui rejoignent les approches d'Edward Wilson : il faudrait faire en sorte que 30 à 40 % des surfaces émergées ne soient pas soumises à un développement des activités humaines. Autrement, les grands services écosystémiques vont être altérés au point de mener à des effondrements dramatiques de population humaine.
Concernant la Guyane et les risques sanitaires liés au développement de l'orpaillage, il m'est difficile de comprendre pourquoi nous n'arrivons pas à résoudre cette question et à enrayer la destruction du massif forestier guyanais.
Au sujet des grands changements systémiques, nous constatons que dans cette crise mondiale, des structures politiques très différentes sont impliquées. Certains observateurs diront qu'en Chine, le régime politique a permis une meilleure gestion de la situation. Néanmoins, nous savons aussi que la Chine a dissimulé beaucoup d'éléments, ce qui rend toute analyse difficile. Par contre, il est évident que l'augmentation démographique entraîne une pression plus grande sur l'environnement. J'ai d'ailleurs été frappé par un papier faisant le lien entre la croissance démographique au Vietnam et l'augmentation de la consommation de viande.
Pour autant, il n'est pas possible d'arrêter complètement les échanges internationaux. Prenons l'exemple de l'Égypte, qui ne peut vivre au plan alimentaire qu'avec des céréales importées. Il faut bien que les pays qui produisent ces céréales puissent continuer à nourrir des pays qui historiquement n'ont jamais été capables d'atteindre cette autosuffisance alimentaire.
Il existe toutefois des solutions pour réduire les pressions sur l'environnement. Le Président Macron s'est positionné pour mettre fin au système d'approvisionnement en protéagineux de la France. Jusqu'alors, des bateaux entiers de tourteaux de soja traversaient l'Atlantique depuis le Brésil pour alimenter certains types d'élevages. Au-delà des questions que nous pouvons nous poser sur ce type d'élevage, nous pouvons choisir de recréer une filière de production de protéagineux au niveau métropolitain pour éviter la destruction d'habitats naturels et réduire le coût écologique lié au transport.
Concernant la pollution plastique, nous en sommes seulement au début d'une compréhension scientifique. J'ai lu un papier d'une grande revue internationale sur les pluies de plastique aux États-Unis : les microplastiques, remis en suspension dans l'air, retombent ensuite massivement sur les habitats et les zones protégées. Il faut développer les travaux scientifiques à ce sujet.
Penchons-nous maintenant sur le lien entre l'évolution démographique et l'occupation croissante des espaces naturels. Ce constat est visible dans les parcs nationaux français, en montagne : les populations passent des sports d'hiver, remis en cause par le réchauffement climatique, à des sports estivaux, qui concentrent une forte présence humaine. Doit-on et peut-on réserver des espaces au reste du monde vivant face à un accroissement démographique considérable ? Prenons un autre exemple : un nombre croissant de bateaux de croisière vient déposer les gens dans la péninsule antarctique. Cela crée une importante pression anthropique à cet endroit donné et multiplie le risque de passage de pathogènes des hommes vers la faune sauvage. Il faut que la question de la sanctuarisation de certains espaces prenne en compte la dimension sociale et économique, mais il faut aussi que les pouvoirs politiques prennent des décisions. Si les comportements restent libres, les populations continueront à chercher des expériences insolites et les risques environnementaux ne cesseront de croître. La France s'est engagée à préserver 30 % d'aires protégées, dont 10 % sous protection forte : il faut accepter d'insister sur ces 10 %, même si cela implique de réduire les activités humaines à certains endroits.
Revenons sur les chauves-souris. Il y a certes un paradoxe quand je prône la protection des chauves-souris alors qu'elles sont porteuses de virus, mais c'est le cas de presque tous les mammifères. L'enjeu est donc d'éviter les contacts qui ne sont pas nécessaires avec ces animaux et d'éviter la destruction de leurs habitats naturels, pour limiter le risque de transmission de virus vers l'homme ou les animaux domestiques. Cependant, il est difficile d'empêcher des pratiques existantes telles que la consommation de chauve-souris en Chine et en Asie du Sud-Est. En tout état de cause, nous devons protéger les espèces animales. D'une part parce que nous avons un devoir, en tant qu'humains, de protéger l'ensemble de la biodiversité qui nous apporte des services sans lesquels les sociétés humaines ne peuvent pas vivre. D'autre part, la crise sanitaire actuelle nous prouve que nous devons faire attention au monde sauvage si nous voulons arrêter la courbe croissante des zoonoses et le risque d'épisodes épidémiques encore plus dramatiques. Force est de constater que le Covid-19 n'a pas été aussi meurtrier qu'Ebola par exemple ; or, d'autres virus de type Ebola risquent d'apparaître si nous ne faisons pas les bons choix. Ces choix ne seront pas faciles et nous devrons nous entraider au niveau planétaire. Lors des discussions récentes avec les pays d'Afrique, le dialogue s'est très bien passé. Plusieurs pays d'Afrique francophone sont conscients des enjeux et de notre responsabilité environnementale, mais nous devrons les aider pour atteindre les objectifs. Les objectifs d'Aichi n'ont pas été atteints ; les objectifs de développement durable sont eux aussi mal partis, notamment ceux liés à l'environnement et à la biodiversité. Au niveau planétaire, nous aurons besoin d'une sorte de « Plan Marshall » pour d'une part, aider les pays du Sud à préserver la biodiversité et limiter les risques sanitaires, et d'autre part, faire en sorte que les pays du Nord remettent en question des pratiques qui participent à l'exploitation des ressources et à la destruction des environnements.