Cette audition est en effet avant tout un échange, et je vous remercie en avance de vos retours. Comme vous l'avez fait remarquer, cette mission m'a été confiée par le Premier ministre il y a quinze jours à peine. Elle va durer huit semaines et je suis donc très loin de pouvoir formuler des conclusions.
Je peux néanmoins dresser certains constats. L'intention du Premier ministre était que la mission soit à la fois confiée à l'Assemblée nationale et au Sénat, mais celui-ci a refusé de participer. L'objet de la mission est d'être le plus objectif possible sur l'impact du Covid-19 sur les finances des collectivités territoriales mais aussi, dans un second temps, de formuler un certain nombre de recommandations.
Les finances locales sont un sujet éminemment complexe, et personne ne sait à quelle vitesse nous allons sortir de cette crise à la fois sanitaire et également économique et sociale. Les projections constituent donc un exercice particulièrement périlleux. Si je prends comme unique référence la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), celle-ci représente environ 18 milliards d'euros et la fourchette de pertes de recettes évolue de 8 à 40% ce qui correspond à un différentiel estimé de 5 milliards d'euros.
Les impacts financiers vont avoir lieu très rapidement concernant les principales ressources des collectivités territoriales, et vont se concrétiser beaucoup plus tard pour d'autres, dans un an, voire deux. Beaucoup d'estimations portent sur les recettes fiscales. Or, pour le bloc communal, l'impact pourrait être équivalent pour les recettes non fiscales. Il est néanmoins très complexe de prendre ces recettes en compte selon les organisations choisies par les diverses collectivités : en régie, en délégation, en syndicat,... Cela ne se traduit donc pas de la même manière en fonction des différentes collectivités.
J'ambitionne d'effectuer un constat le plus objectif possible : cette crise a aussi généré des dépenses moindres pour certaines collectivités et pas uniquement une perte de recettes ou une hausse de dépenses.
Je compte également formuler deux types de recommandations. Les premières seront à très court terme dans le cadre d'un troisième Projet de loi de finances rectificative (PLFR) qui pourrait être annoncé en juin et qui devrait inclure un certain nombre de mesures pour les collectivités, absentes des deux précédents PLFR. Les autres, à plus long terme, auraient vocation à s'insérer dans le prochain budget pour 2021.
Dans les communes, qui demeurent les collectivités territoriales les plus touchées, plusieurs cas spécifiques existent, notamment celui des communes touristiques en période de festivals. Dans les autres collectivités particulièrement en difficulté, il convient de mentionner les collectivités d'outre-mer, avec la question de l'octroi de mer, qui représente 30% de leurs ressources, mais aussi les départements, dont la situation inquiète, entre la baisse des Droits de mutation à titre onéreux (DMTO), d'une part, et l'augmentation à venir du nombre de bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA), d'autre part.
Je pense aussi aux autorités organisatrices de mobilité. Le versement transport a chuté de manière considérable durant le confinement et cela n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes pour ces autorités mais aussi pour les régions.
On fait souvent un parallèle entre la situation actuelle et la crise de 2008. Je souhaiterais cependant préciser que cette crise était une crise purement financière, ayant certes eu un impact très important sur le niveau global d'investissement. La crise actuelle est très différente : l'économie s'est arrêtée pendant deux mois et la reprise est lente. Il est toutefois tentant de se pencher à nouveau sur la crise de 2008, dont les impacts sur les collectivités territoriales ont perduré jusqu'à 2010.
Je rappelle que rien n'a été fait pour les collectivités territoriales suite à la crise de 2008. Certains disent aujourd'hui qu'il faudrait rembourser à l'euro près l'impact du Covid sur les collectivités. Mais en 2008, à part le Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA), qui constitue une avance de trésorerie, les mesures étaient presque inexistantes, alors même que les DMTO avaient chuté de 30% par exemple. Le FCTVA avait été en outre très contesté par la Cour des Comptes. Les collectivités avaient alors dû augmenter la pression fiscale sur les citoyens et cela s'est traduit en parallèle, au niveau de l'État, par un gel puis une diminution de la Dotation globale de fonctionnement (DGF). À cette époque, les collectivités possédaient toujours des emprunts toxiques, qui ont par ailleurs fragilisé leur trésorerie par rapport à leur niveau actuel.
La santé financière des collectivités est bien meilleure à l'orée de cette crise qu'elle l'était il y a trois ans ou à l'entrée de la crise de 2008. Cette santé financière s'explique d'abord par une excellente gestion de la part de nos élus, dont on ne peut que se féliciter. Les recettes de fonctionnement sont supérieures aux dépenses de fonctionnement. Le soutien de l'État a de plus aidé les comptes des collectivités. Enfin, la fiscalité locale a été particulièrement dynamique ces derniers temps du fait de l'activité économique. Tous ces éléments font que, fin 2019, l'épargne brute des collectivités territoriales était de 39 milliards d'euros contre 28 milliards en 2007. L'endettement demeure assez raisonnable, à hauteur de 4,5%. L'investissement public a augmenté de 12,3% sur la seule année dernière et la trésorerie au 1er janvier 2020 est de 44 milliards d'euros. Les finances sont donc extrêmement saines et peuvent permettre à plusieurs collectivités d'encaisser une partie du choc.
Dans les recommandations que j'ai déjà pu formuler, en phase avec les associations d'élus que j'ai toutes rencontrées, j'ai déjà insisté sur la nécessité de mettre en place une méthodologie très précise pour que tout le monde se mette d'accord sur un plan d'action.
Deux scénarios extrêmes se dégagent. Le premier serait de ne rien faire comme en 2008. Cela aurait un impact sur les capacités d'autofinancement des collectivités territoriales à la fin de la crise et cela ne semble pas possible, alors que nous aurons besoin des collectivités pour investir. L'État se doit en outre d'apporter son soutien aux collectivités les plus touchées par cette crise. L'autre scénario est celui de la compensation intégrale, qui ne me paraît pas raisonnable au vu du niveau d'endettement de l'État, alors que les collectivités disposent encore d'une capacité de trésorerie et d'épargne importante. Une telle solution entrerait au demeurant en contradiction avec le principe de libre administration des collectivités territoriales et avec les souhaits d'autonomie financière et fiscale de plusieurs collectivités. Par ailleurs, comme l'a souligné le ministre Sébastien Lecornu, on ne peut pas d'un côté mutualiser les pertes et, de l'autre, individualiser les gains.
Une réponse différente devra être apportée selon l'échelon concerné. Trois niveaux de réponses sont nécessaires pour les communes, les départements et les régions. En effet, l'impact de la crise et le profil des recettes de ces collectivités sont très différents. Pour le bloc communal, l'impact risque d'être plus important en 2020. Les départements connaissent un « effet ciseaux » et leur problème principal risque d'être lié à une explosion des dépenses en matière de protection sociale. Le sujet majeur pour les régions résidera dans l'investissement.