Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 1er juillet 2020 à 9h35
Audition de s.e. M. Ismaïl Hakki musa ambassadeur de turquie en france

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président :

Merci Monsieur l'Ambassadeur. Merci d'avoir répondu à notre invitation. Il ressort de cette audition, comme vous l'avez certainement ressenti, une sorte de tristesse, pour reprendre le terme employé par Ladislas Poniatowski, car nous sommes attachés à cette relation entre la France et la Turquie. C'est un très grand pays. Nous savons très bien l'influence que la Turquie exerce dans cette partie du monde. Nous voyons la situation de tous les pays environnants, les crises qui se multiplient. Il y a un peu de déception dans la manière dont la Turquie joue son rôle. Nous essayons de jouer notre rôle de grande puissance, de membre du Conseil de Sécurité, en favorisant le dialogue et en essayant de faire se réunir les interlocuteurs. Nous avons le sentiment que la Turquie utilise « la manière forte », en mer, en expédiant des milices ou en favorisant l'entrée des armes, même si d'autres le pratiquent. Nous ne sommes pas naïfs, Monsieur l'Ambassadeur. Nous n'accusons pas non plus la Turquie de tous les maux dans cette région.

Ceci posé, nous escomptons que la Turquie joue un rôle de pacification, d'intermédiation plutôt que de souffler sur les braises. C'est cette manière parfois brutale qui nous heurte, y compris sur le plan de la politique intérieure, à propos de laquelle nous avons le droit d'avoir notre jugement, au regard de la pratique de la démocratie et des libertés publiques. Ce sont des choses qui nous heurtent. Entre amis, on se le dit.

Je sais aussi être reconnaissant à la Turquie d'avoir joué un rôle en matière d'accueil des réfugiés. Près de trois millions de réfugiés sont accueillis dans des conditions très humaines. Mais à chaque fois, il y a un revers à la médaille, le président Erdogan menaçant l'Europe d'ouvrir les vannes et de provoquer un afflux de réfugiés en Europe s'il trouve que nous ne sommes pas aimables vis-à-vis de la Turquie. Votre rôle d'intermédiation est de nous expliquer la politique du pays. Vous l'avez fait avec habileté. C'est aussi de faire remonter l'inquiétude des parlementaires français, qui reconnaissent à la Turquie le statut d'une grande puissance régionale, qui a le droit de faire jour ses intérêts mais qui doit le faire dans le respect du droit international. Ceci signifie notamment le respect du droit de la mer dans le cas des affaires de Chypre. Vous nous dites que des négociations vont peut-être démarrer entre Chypriotes turcs et Chypriotes grec à propos de la captation des ressources gazières. Tant mieux. Tout ce qui va en ce sens sera bienvenu. Vous pouvez en tout cas transmettre un message visant à faire baisser les tensions, qui sont alimentées par des déclarations intempestives. Je ne serais pas heurté, personnellement, par une rencontre au sommet. Nos deux chefs d'État pourraient décider de se voir. Nous aimerions que nos inquiétudes soient prises en compte. Celles que nous avons à propos de l'OTAN ont été exprimées. Plus que jamais, l'OTAN connaît des difficultés et des débats existent en son sein quant aux dangers qui se trouvent à l'Est et au Sud. Le terrorisme, partout nous agresse. Vous en avez été victimes aussi. Cette manière forte consistant à aller chercher les opposants dans les pays voisins pour les bombarder ne correspond pas à notre approche du règlement pacifique des problèmes. Ce sont des exemples. Quant à l'incident naval, son interprétation sera probablement désormais dans les écoles militaires et les revues stratégiques. On peut en donner une interprétation ou une autre. Quoi qu'il en soit, un bateau humanitaire, escorté de trois navires de guerre, qui met en route ses radars de tir, n'envoie pas de signal amical.

Nous poursuivrons ce dialogue avec l'ensemble des forces en présence mais je souhaite que vous fassiez remonter notre inquiétude devant une détérioration très nette des relations entre nos deux pays depuis quelques mois, ce qui ne va pas dans le sens de la paix, ni pour vous ni pour nous. Nous avons un autre rôle à jouer. La Turquie est confrontée, au plan régional, à un choc entre grandes puissances (Iran, Arabie Saoudite, etc.). Nous attendons de la Turquie plus et mieux en matière de développement de la paix et du point de vue des initiatives prises en Libye. Ce pays nous inquiète. Vous savez le rôle que la France joue au Sahel. Nous savons que c'est en Libye que s'organisent tous les trafics. Nous tenons le même discours vis-à-vis de la Russie. Vous avez fait une comparaison un peu osée entre le dialogue de la France avec la Russie et le fait que la Turquie leur achète des armes. C'est tout à fait différent. Nous n'achetons pas d'armes aux Russes, ce qui ne nous empêche pas de dialoguer avec ce pays. Je vous communiquerai le rapport très documenté que la commission vient de signer avec le Conseil de la Fédération russe. Nous y identifions des points de désaccord.

Merci, Monsieur l'Ambassadeur, d'avoir pris le temps de ce dialogue. Espérons que celui-ci aboutira à des résultats. Nous pourrons aussi faire le bilan de ce qui aura progressé ou non.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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