Le porte-avions est bien sûr un symbole de souveraineté. Mais ce n'est pas qu'un symbole : c'est avant tout un outil militaire au service de notre autonomie stratégique. Ses principales fonctions sont : la projection de puissance, la capacité d'entrer en premier, la maîtrise des espaces aéromaritimes, la mise en oeuvre de la dissuasion nucléaire par la force aéronavale nucléaire (la FANU). Le porte-avions, c'est aussi une capacité autonome d'appréciation des situations.
J'insisterai seulement sur la maîtrise des espaces aéromaritimes car c'est un enjeu croissant : 90 % du volume du commerce mondial de marchandises s'effectue par mer, 95 % des échanges intercontinentaux de données transitent par les câbles sous-marins. La France dispose du second plus vaste espace maritime au monde.
Or le milieu marin est sujet à de multiples convoitises. Les rivalités entre puissance vont croissantes, de même que leur présence militaire sur les océans. La marine chinoise se développe très rapidement. La Chine cherche semble-t-il à se doter de porte-avions nucléaires, à catapultes électromagnétiques, semblables à ceux des Américains. La Méditerranée est aussi un lieu de tensions croissantes. L'actualité nous fournit, presque chaque semaine, des exemples de ces tensions. Le droit international est de plus en plus fragilisé.
Du point de vue diplomatique, le porte-avions nous permet, avec la dissuasion nucléaire, de tenir notre rang de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies... Or ce rang est parfois remis en cause, y compris par nos amis européens.
C'est aussi, plus généralement, un fédérateur de coopérations internationales. Un porte-avions européen n'est pas un objectif crédible aujourd'hui, mais un groupe aéronaval européen l'est. De multiples exercices en commun ont déjà lieu et participent au développement d'une culture stratégique commune.
Au-delà de l'Europe, le porte-avions est un outil dans le développement de notre stratégie indopacifique, et un facteur majeur de poids de la France à l'OTAN, notamment grâce à l'excellente coopération que nous avons avec les États-Unis dans ce domaine.
Mais montrer le rôle essentiel du porte-avions ne suffit pas ... encore faut-il démontrer qu'il est irremplaçable. Nous avons regardé si les moyens de l'armée de l'air, si l'utilisation de drones, ou si des modèles hybrides, à la fois porte-avions et porte-hélicoptères, ne pouvaient pas constituer des alternatives.
Or il nous a semblé, à chaque fois, que ces outils ne pouvaient pas jouer un rôle semblable à celui d'un porte-avions nucléaire tel que le Charles de Gaulle.
L'utilisation de bases terrestres implique soit de longues distances à parcourir, donc une plus faible réactivité, soit l'existence de pays amis à proximité du conflit ; elle nous fait dépendre des portes de passage aérien, alors que le porte-avions bénéficie de la liberté de navigation.
Quant au modèle de porte-avions britannique, il intéressant... mais le décollage par tremplin et l'atterrissage vertical limitent la capacité d'emport et l'autonomie en carburant des avions, donc leur rayon d'action.
Nous nous sommes, enfin, intéressés à la vulnérabilité d'un outil aussi symbolique que le porte-avions. Il est clair que les systèmes de défense devront s'améliorer au même rythme que les systèmes de ciblage des missiles à longue portée. Mais un porte-avions est mobile ; il sera toujours moins vulnérable qu'une base terrestre.