Intervention de Marie-Françoise Perol-Dumont

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 24 juin 2020 à 9h35
« l'afrique face au coronavirus » — Examen du rapport d'information

Photo de Marie-Françoise Perol-DumontMarie-Françoise Perol-Dumont, co-rapporteure :

Si les effets sanitaires de la pandémie en Afrique apparaissent pour le moment sous contrôle, il n'en va pas de même des effets économiques, dont la gravité est certaine. Le Fonds monétaire international (FMI) a ainsi évoqué « une menace sans précédent pour le développement », avec un recul attendu du PIB de 1,6 % en 2020, phénomène sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. L'Union africaine prédit la perte de 20 millions d'emplois.

Un autre aspect est l'explosion de la dette. Depuis plusieurs années, le poids de la dette africaine, dont la Chine détient à elle seule 40%, empêche déjà de nombreux États africains d'investir dans certains secteurs dont, justement, les systèmes de santé. La dette africaine devrait atteindre 64 % en 2020 : c'est une proportion très élevé pour des économies pauvres. Face à ces constats, nous pouvons nous féliciter de la décision du G20, le 15 avril dernier, de reporter d'un an les échéances du service de la dette dues par 40 pays africains, soit un montant de 20 milliards de dollars. Pour la France, l'effort porte sur un milliard d'euros. En revanche, il n'y a pas de moratoire sur les dettes privées, même si des discussions sont en cours.

Ce moratoire est-il suffisant ? C'est assez peu probable. Le docteur Nkengasong, directeur du Centre africain de prévention et de contrôle des maladies, nous a indiqué que l'Union africaine aurait besoin de 600 millions de dollars rien que pour appuyer les efforts des pays dans la gestion de la crise sanitaire. Beaucoup de pays risquent en outre de se trouver incapables de payer à la reprise des échéances en 2021. Il conviendrait donc d'annuler au moins une partie de la dette détenue par les investisseurs publics. Cela parait plus difficile à envisager pour les créanciers privés, qui pourraient alors sanctionner les pays. Les banques de développement comme l'AFD estiment qu'il est nécessaire d'examiner individuellement la situation de chaque pays afin de tenir compte des capacités réelles de remboursement, des efforts accomplis et de la nécessité de préserver un accès futur aux marchés privés.

Plus généralement, il apparaît nécessaire de redéfinir un cadre de financement public/privé soutenable pour l'Afrique. Rémy Rioux l'a souligné, « l'Afrique ne se développera pas qu'avec des dons ». Il est nécessaire d'impliquer les acteurs privés dans la résolution de la crise actuelle pour qu'ils y contribuent tout en continuant à trouver sur le continent des conditions favorables pour investir.

Devant la gravité de cette crise sanitaire mais surtout économique, l'AFD et Expertise France ont réagi assez rapidement. L'AFD a lancé le 2 avril le projet « COVID 19, santé en commun », avec 150 millions d'euros de dons et 1 milliard de prêts très concessionnels pour soutenir les pays africains. L'AFD doit d'ailleurs s'inspirer de sa réponse à cette crise pour continuer à rendre ses méthodes d'intervention plus agiles et plus rapides, à coopérer encore davantage avec les ONG et à innover dans ses modes de financement. Le défi est en effet de continuer à financer des projets sans aggraver l'endettement des pays africains. À noter que, dans son rapport du 10 juin dernier sur « le pilotage des opérateurs de l'action extérieure de l'État », la Cour des comptes a estimé l'AFD tend à « développer sa propre vision de son déploiement, à définir sa propre stratégie et à agir avec une autonomie croissante». L'amélioration des méthodes de l'AFD doit donc aller de pair avec un meilleur contrôle et une meilleure évaluation de l'action de l'agence.

Expertise France a également eu une action efficace en mettant en place une plateforme d'assistance sanitaire afin d'appuyer les politiques menées par les ministères de la santé et les autorités sanitaires. L'agence a aussi développé une plate-forme d'assistance économique pour aider les pays à mettre en oeuvre les plans des institutions internationales.

Je voudrais enfin aborder la question de l'accès de l'Afrique aux vaccins et aux traitements. La pandémie actuelle a mis en avant la dépendance de l'Afrique pour ses approvisionnements critiques. Les chefs d'État des pays africains ont su s'exprimer d'une seule voix dès le début de la crise pour réclamer l'inclusion de l'Afrique dans les circuits de produits sanitaires. Il faut les soutenir dans cette démarche. L'Afrique n'a pas les moyens de se retrouver au milieu d'une compétition internationale pour trouver des réactifs ou des vaccins. Il importe aussi de trouver des solutions locales, sinon les problèmes d'approvisionnement se renouvelleront à chaque crise. Rappelons que, sur la douzaine de vaccins utilisés couramment en Afrique, seul celui contre la fièvre jaune est produit sur le continent, par l'Institut Pasteur de Dakar.

De même, la recherche clinique de qualité est une réalité en Afrique. Toutefois, les thématiques de recherche sont le plus souvent choisies par les organisations internationales qui la financent et pas toujours en accord avec les priorités africaines.

Il convient enfin de conditionner davantage notre aide à l'effort budgétaire en matière de santé accompli par les pays eux-mêmes. Rappelons qu'en 2001, de nombreux pays africains avaient signé la Déclaration d'Abuja, les engageant à investir au minimum 15 % de leur budget dans la santé. Or, cet objectif est loin d'être atteint. La pandémie de Covid-19 doit ainsi constituer un coup de semonce pour inciter les Gouvernements africains à atteindre l'objectif d'Abuja ! Je vous remercie.

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