Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 juillet 2020 à 10:5
Situation et perspectives des comptes sociaux — Examen du rapport d'information fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général :

Comme chaque année, la Mecss m'a confié la charge de commettre un rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale de l'exercice écoulé. Cette année, le contexte apparaît, bien entendu, particulier et les chiffres de 2019 ne présentent déjà plus qu'un intérêt historique, tant la crise sanitaire a bouleversé notre pays, notamment son système de santé et de protection sociale. Néanmoins, ce coup d'oeil dans le rétroviseur nous permettra d'apporter des éclairages qui pourraient s'avérer utiles pour l'avenir, notamment s'agissant de la politique de compensation des diminutions de recettes de la sécurité sociale. Ensuite, je vous exposerai la situation des comptes sociaux à la moitié de l'année 2020.

En 2019, le régime général et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) affichent un déficit consolidé de 1,9 milliard d'euros, proche du résultat de 2018, mais qui mérite analyse.

Tout d'abord, il s'agit d'un déficit, alors que la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2019 prévoyait, au moins sur ce périmètre, un retour à l'équilibre des comptes avec un excédent de 0,1 milliard d'euros.

Ensuite, l'exercice 2019 s'est caractérisé par la rupture d'une trajectoire continue d'amélioration des comptes sociaux depuis dix ans. Depuis le déficit record de l'année 2010, qui s'établissait à 28 milliards d'euros, il n'avait cessé de se résorber jusqu'à atteindre 1,2 milliard d'euros en 2018. Le résultat de 2019 apparaît donc comme une dégradation.

Enfin, il est intéressant de se pencher sur les causes de ce résultat. Contrairement aux anticipations de l'automne dernier, l'évolution spontanée des recettes a été très favorable. Elle s'est établie à 3,4 %, ce qui aurait pu porter le niveau des recettes du régime général et du FSV à 408 milliards d'euros, contre 394,6 milliards d'euros en 2018. Mais, comme le résume la Cour des comptes, les mesures nouvelles ont entraîné une diminution de 5,4 milliards d'euros de cette prévision, en raison, essentiellement, des mesures de non-compensation de la LFSS de 2019 et de la loi du 24 décembre 2018 portant mesures d'urgence économiques et sociales, pour un montant de 4,3 milliards d'euros, mais aussi d'un déficit d'environ 1,2 milliard d'euros sur les mesures compensées. De ce fait, les recettes n'ont finalement progressé que de 2 % entre 2018 et 2019.

Si les principes de la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, dite loi Veil, avaient été respectés, le régime général et le FSV auraient enregistré un excédent de 2,4 milliards d'euros l'année dernière, voire de 3,6 milliards d'euros avec un meilleur calibrage des mesures compensées.

Pour ce qui concerne les dépenses, on relèvera que l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), fixé à 200,3 milliards d'euros en LFSS de 2019, a été exactement respecté en exécution. Ce montant représente une hausse de 2,6 % par rapport à l'Ondam exécuté en 2018. Les dépenses de la branche vieillesse, à 137,1 milliards d'euros sur le périmètre du régime général, ont également affiché un certain dynamisme avec une croissance de 2,6 %, malgré le fort effet modérateur de la limitation à 0,3 % de l'indexation des pensions. Le flux de nouveaux retraités s'est réduit, en passant de 648 000 nouveaux pensionnés en 2018 à 618 000 en 2019, en raison d'une légère augmentation de l'âge moyen de départ à la retraite et d'une progression de la pension moyenne sous l'effet des flux de nouveaux pensionnés.

Sur l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss), périmètre qui inclut les régimes autres que le régime général, la tendance est identique, d'autant que la plupart des régimes spéciaux bénéficie d'une subvention d'équilibre. Le déficit s'établit ainsi à 1,7 milliard d'euros. L'écart de 200 millions d'euros avec le régime général provient principalement d'un excédent de 0,4 milliard d'euros de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), grâce à des charges de compensation démographiques moins élevées, et du déficit de 0,7 milliard d'euros de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).

Enfin, les administrations de sécurité sociale (ASSO) ont enregistré, en comptabilité nationale, un excédent de 14 milliards d'euros. La Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) en constitue le principal moteur, son excédent correspondant au capital qu'elle amortit chaque année, soit 15,9 milliards d'euros en 2019.

Les régimes complémentaires de retraite ont, pour leur part, enregistré un excédent de 3,3 milliards d'euros, tandis que l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Unedic), avec un déficit de 2,1 milliards d'euros, n'est toujours pas parvenue à l'équilibre. Compte tenu de la conjoncture, la situation devrait encore s'aggraver.

Vous trouverez dans le rapport écrit une analyse de certaines mesures des LFSS de 2018 et 2019. Je citerai, en particulier, la recomposition des recettes de la sécurité sociale et de certaines autres ASSO, à la suite de la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du crédit d'impôt de taxe sur les salaires (CITS) en diminutions de cotisations et de contributions sociales, de la suppression des cotisations salariales chômage et du transfert à l'État de trois prélèvements sur le capital. Ce mécanisme a conduit à augmenter d'environ 36 milliards d'euros la fraction de TVA perçue par la sécurité sociale. Désormais, elle représente quelque 26 % du produit de la TVA. En somme, même sans instauration d'une TVA sociale, on observe une socialisation croissante de cet impôt.

Je me suis également intéressé au soutien exceptionnel aux entreprises mis en place dans les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy après l'ouragan Irma, du fait des similitudes qu'il présente avec le dispositif envisagé sur tout le territoire en réponse à la crise actuelle. Étaient notamment prévus un moratoire sur les cotisations et les contributions sociales et, le cas échéant, un abandon partiel de dettes. À partir des dispositions assez souples des LFSS de 2018 et 2019, les textes d'application ont réservé l'abandon total des créances aux cotisants dont le chiffre d'affaires de l'année 2017 a diminué d'au moins 20 % par rapport à l'année 2016 et dont celui de l'année 2018 s'est à nouveau réduit d'au moins 10 % par rapport à l'année 2017, ces conditions étant cumulatives. Les critères ainsi fixés semblaient adaptés à la situation. L'approche du Gouvernement semble différente s'agissant du dispositif inscrit au troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR), fondé sur des critères de secteur d'activité et de taille d'entreprise. Il conviendra d'être plus rigoureux dans le suivi de la mise en oeuvre de cet outil. Pour ce qui concerne Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les chiffres consolidés du nombre d'entreprises concernées et des montants de dettes abandonnées n'ont pu m'être transmis à ce jour.

Lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale, le Gouvernement a dévoilé une prévision révisée pour 2020 selon laquelle le déficit consolidé du régime général et du FSV pourrait atteindre 52 milliards d'euros, très au-delà du record établi en 2010.

Ce résultat s'explique, en partie, par une forte croissance des dépenses, tout particulièrement de celles qui relèvent de l'Ondam, qui progresseraient de 8 milliards d'euros par rapport à la LFSS. Cette évolution, due à la crise sanitaire, pourrait porter l'Ondam 2020 à 213,6 milliards d'euros, en augmentation de plus de 6,6 % par rapport à 2019.

Le premier facteur de dégradation des comptes est cependant lié aux recettes, en raison de la contraction de l'activité et de la masse salariale et des dispositifs de report pour le recouvrement des cotisations et des contributions sociales mis en place pour aider les entreprises à surmonter les conséquences de la crise. Les données relatives aux encaissements mensuels des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) transmises par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) permettent de distinguer ces deux effets. Pour ce qui concerne l'évolution des cotisations liquidées, c'est-à-dire l'effet structurel de la crise sur l'assiette des cotisations et des contributions, on relève une diminution de 6,9 % en avril par rapport à avril 2019 et de 20,7 % en mai - les cotisations liquidées en mars affichaient pour leur part une hausse de 2,4 %. Par ailleurs, en prenant en compte les encaissements, qui intègrent aussi l'effet des reports, le recul s'est établi à 37,5 % en avril et à 40,2 % en mai par rapport à 2019. Dès le mois de mars, une baisse de 14,7 % avait été constatée.

Sur ces trois mois, les restes à recouvrer, qui devraient être perçus par la sécurité sociale d'ici à 2023, se sont élevés à 15,5 milliards d'euros. Cependant, environ 3 milliards d'euros devraient être annulés par le troisième PLFR et certaines entreprises devraient, hélas, faire faillite sans pouvoir régler l'intégralité des sommes dues. La perte de recettes pour le régime général et le FSV est estimée à près de 43 milliards d'euros pour l'année 2020.

Je ne reviendrai pas sur les conséquences de la crise sur la dette sociale - la commission mixte paritaire (CMP) sur les deux projets de loi ad hoc se réunit cet après-midi.

Au-delà du champ de la sécurité sociale, il convient de souligner la situation particulière de l'assurance chômage qui subit de plein fouet l'effet de ciseaux de la crise économique qui a suivi la crise sanitaire sur ses recettes et ses dépenses. Je vous rappelle les chiffres édifiants livrés par les responsables de l'Unedic lors de leur audition du 25 juin : un déficit prévisionnel de plus de 25 milliards d'euros, correspondant au financement de l'activité partielle pour 13 milliards d'euros, à 7 milliards d'euros d'augmentation des allocations chômage et à 5 milliards d'euros de baisse de recettes, et une dette du régime de l'ordre de 63 milliards d'euros à la fin de l'année 2020. Alors qu'elle devait enfin retrouver des comptes à l'équilibre, l'Unedic voit ses résultats se dégrader à nouveau. Dans ces conditions, la question du traitement de sa dette finira sans doute par se poser.

Face à ces enjeux particulièrement lourds, il faut répondre à l'urgence et établir les bases d'une reprise. Il paraît souhaitable d'apporter un soutien massif à l'économie et aux ménages, afin de leur permettre de surmonter au mieux cette période critique. Ensuite, nous pourrons et devrons tirer les leçons financières adéquates, en constatant que les pays disposant de comptes équilibrés sont mieux armés pour répondre aux crises et en considérant que c'est en dégageant des excédents lorsque cela est possible que la sécurité sociale pourra faire face aux crises sans s'endetter trop lourdement. Nous devrons donc prévoir des financements pour les dépenses supplémentaires à venir. Enfin, la politique de non-compensation des baisses de recettes devra être remise en cause, même par temps calme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion