J'ai souhaité ce matin évoquer devant vous le contrôle de la recevabilité financière des amendements et des propositions de loi.
Permettez-moi tout d'abord de rappeler en quelques mots le cadre constitutionnel et organique dans lequel il s'inscrit. L'article 40 de la Constitution dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique ».
Cette rédaction a de lourdes conséquences pour l'initiative parlementaire, puisqu'elle implique un traitement radicalement différent en recettes et en dépenses. Si l'usage du singulier pour le mot « charge » conduit à ce que toute augmentation des dépenses de l'État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ou des administrations de sécurité sociale soit strictement prohibée et ne puisse faire l'objet d'aucune forme de compensation, il est en revanche possible pour les parlementaires de diminuer les recettes de ces personnes publiques, à la condition que cette baisse soit compensée à due concurrence par l'augmentation d'une autre recette. Cela se traduit en pratique par le fameux « gage » tabac.
Le contrôle de la recevabilité financière implique également de veiller à la bonne application de l'ensemble des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Il s'agit principalement d'assurer le respect du domaine des lois de finances et de leur structure bipartite.
Comme vous le savez, les commissions des finances des deux chambres jouent un rôle prépondérant - même s'il n'est pas exclusif - dans le contrôle de la recevabilité financière, et il revient en particulier à leurs présidents respectifs de se prononcer sur ce contrôle de recevabilité.
À cet égard, tout en soulignant que les grandes lignes de la jurisprudence sont communes aux deux commissions des finances, j'avais rappelé devant vous il y a un peu plus d'un an la persistance de quelques divergences de jurisprudence.
Ces dernières sont le corollaire de l'autonomie et de la grande liberté dont dispose chaque chambre dans l'exercice de son contrôle. En effet, le Conseil constitutionnel n'examine la conformité d'une initiative parlementaire à l'article 40 de la Constitution que si ce dernier a été invoqué par le Gouvernement ou un parlementaire devant la première assemblée saisie, en vertu de la règle dite du « préalable parlementaire ». C'est extrêmement rare, si bien que le juge constitutionnel n'est en pratique jamais amené à se prononcer sur ces divergences de jurisprudence.
Si ces divergences sont peu nombreuses et tendent à s'atténuer, je me suis rapproché l'an dernier de mon homologue Éric Woerth afin de rechercher des points de convergence. En effet, l'autonomie de décision ne saurait aller jusqu'à exclure une forme de « dialogue des juges » de la recevabilité financière.
À la suite de ce travail, j'ai essayé de « faire le tri » entre les divergences qui me semblent pouvoir être surmontées et celles pour lesquelles le pas à franchir me paraît trop important.
En la matière, trois principes ont guidé ma réflexion.
Premièrement, préserver les interprétations de l'article 40 plus favorables aux Sénateurs. J'en avais dénombré cinq et celles-ci sont bien évidemment maintenues.
Deuxièmement, accepter de s'écarter d'une approche trop juridique lorsque cela conduit à des solutions paradoxales sur le plan économique au regard de l'esprit de l'article 40, qui vise au départ à favoriser la bonne gestion des finances publiques.
Troisièmement, refuser les interprétations qui me paraissent ouvrir des contournements majeurs de l'article 40, en contradiction manifeste avec la lettre de la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel. C'est la condition pour que le juge constitutionnel accepte de demeurer un juge d'appel, contrairement par exemple à ce qui se fait pour le contrôle des cavaliers législatifs.
Permettez-moi à cet égard de commencer par vous présenter la principale divergence qui me semble insurmontable.