D'emblée, je tiens à souligner la bonne entente qui a régné dans notre travail, avec le rapporteur Michel Vaspart. Nos travaux ont débuté en décembre 2019 et se sont achevés la semaine dernière par des échanges avec les représentants des syndicats des dockers et des personnels des ports. Au cours de ces sept mois de travail de terrain et d'écoute, qui ont été perturbés par l'épidémie de Covid-19, nous avons réalisé une trentaine d'auditions et dix déplacements dans les grands ports maritimes (GPM) relevant de l'État en métropole ainsi qu'à Rotterdam et à Anvers. Nous avons reçu de nombreuses contributions écrites, notamment de la Commission européenne que nous avons sollicitée, et procédé à des échanges complémentaires avec d'autres acteurs.
J'évoquerai les principaux constats de notre mission et je laisserai notre rapporteur présenter ses propositions, sur lesquelles nous avons longuement échangé au cours des dernières semaines.
La crise de la Covid-19 et le projet chinois de « nouvelles routes de la soie » renforcent le caractère stratégique des infrastructures portuaires et cette mission, souhaitée de longue date par notre rapporteur, était nécessaire. Une revue globale de la situation s'imposait, notre commission et le Sénat n'ayant pas conduit de travaux sur ce sujet depuis le rapport de Charles Revet « Les ports français : de la réforme à la relance », adopté en juillet 2011.
Premier constat : malgré nos atouts maritimes considérables - un réseau portuaire dense, trois façades maritimes et un accès à tous les océans grâce à l'outre-mer - les performances de nos ports empêchent la France de tirer pleinement parti des échanges mondiaux.
Nous avons constaté que l'empreinte économique des ports est mal connue, faute de données consolidées sur l'ensemble du système portuaire. La valeur ajoutée totale associée au fonctionnement du système portuaire français dépasserait les 15 milliards d'euros, soit vingt fois le chiffres d'affaires des GPM, et représenterait 180 000 emplois directs et plus de 350 000 emplois directs et indirects, concentrés pour l'essentiel au Havre, à Marseille et à Dunkerque. L'importance du secteur logistique est également sous-estimée, malgré une prise de conscience récente au plus haut niveau de l'importance de ce sujet pour la croissance économique.
Sur le volet de la performance, le secteur portuaire connaît de profondes réformes depuis trente ans et la loi dite « Le Drian » de 1992, puis la réforme portuaire de 2008. L'orientation de ces réformes était positive car elles visaient à placer nos ports à armes égales avec leurs concurrents des ranges Nord et Sud en termes de compétitivité. Toutefois, le bilan est contrasté : les GPM ont gagné en compétitivité, amélioré leur situation financière et certains indicateurs sur le trafic de conteneurs sont encourageants mais globalement les trafics passant par les GPM ont reculé depuis 2008 et sont aujourd'hui à un niveau comparable à celui atteint au début des années 2000.
En 2019, le trafic de l'ensemble des GPM et Calais représentait 312 millions de tonnes, contre 470 millions de tonnes pour Rotterdam et 238 millions de tonnes pour Anvers. Le décalage est important : nos ports ne sont pas parvenus à s'imposer comme les principales portes d'entrée du commerce en Europe, alors même que 75 % des échanges commerciaux de l'Union européenne transitent par la mer et 25 % des échanges intra-européens.
Certes, d'autres facteurs expliquent les difficultés des ports français : la désindustrialisation, les restructurations affectant le secteur pétrolier et la conjoncture économique globale. Toutefois, pendant ce temps, les autres ports européens ont amélioré leur position.
Enfin, les récentes grèves et l'épidémie de Covid-19 ont durement éprouvé les GPM, avec de fortes baisses de trafics qui se traduisent par d'importantes pertes économiques, dont l'étendue n'est pas connue à ce jour.
Le rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), intitulé « La transformation du modèle économique des grands ports maritimes », dont nous avons entendu les auteurs, souligne d'autres difficultés pour nos GPM : des coûts de passage portuaire plus élevés que dans les ports européens voisins, une insuffisance de la desserte de nos ports par des modes massifiés et une image de fiabilité encore écornée.
Au total, le retard pris par la France représenterait de 30 000 à 70 000 emplois sur la filière des conteneurs - il faut savoir qu'à l'heure actuelle, plus de 40 % des conteneurs à destination de notre pays transitent par des ports étrangers.
Second constat : la faible massification des acheminements portuaires et les insuffisances de notre système logistique ne permettent pas aux GPM d'étendre leur hinterland. À l'heure actuelle, 80 % des pré- et post-acheminements portuaires reposent encore sur le mode routier (hors oléoducs) quand 50 % du fret conteneurisé du port d'Hambourg est acheminé par voie ferroviaire ou fluviale.
La question du faible recours au transport fluvial me tient particulièrement à coeur. Ce sujet, comme celui du fret ferroviaire, dépasse largement le cadre portuaire puisqu'à l'échelle nationale, la part modale du fluvial ne s'élève qu'à 3 %, alors que d'autres États, en particulier l'Allemagne et les Pays-Bas, ont réussi à tirer pleinement parti de ce mode. Le fluvial présente l'avantage d'être à la fois écologique - 1 barge équivaut à 125 poids lourds -, fiable et capacitaire. En France, le fluvial est loin d'être saturé : Voies navigables de France (VNF) estime que le trafic sur la Seine aval et le Rhône pourrait être quadruplé à infrastructures constantes. C'est pourquoi le mode fluvial est un levier important de compétitivité pour l'avenir de nos ports, d'autant plus dans un contexte de massification du transport maritime, sous l'effet de l'augmentation de la taille des navires. Certains de nos ports, à l'image de Dunkerque, ont mis en place des initiatives ambitieuses pour renforcer le transport fluvial, en mutualisant les Terminal Handling Charges (THC), pour lisser le surcoût lié à la manutention fluviale : en 2016, première année d'application de ce dispositif, le trafic fluvial a plus que doublé dans ce GPM.
Cette situation n'est donc pas satisfaisante alors que les potentialités de croissance sont importantes à court terme : selon le rapport IGF-GCEDD, la France pourrait augmenter de 10 % sa part de marché sur le trafic de conteneurs à destination de la France - qui atteindrait dès lors 70 %- avec des gains de plus d'1 milliard d'euros de valeur ajoutée et la création de 25 000 emplois directs et indirects.
Alors pourquoi en sommes-nous là ?
D'abord, notre système portuaire souffre des insuffisances globales de la politique de transport et de logistique et d'une absence de vision stratégique à long terme. La dernière stratégie nationale portuaire remonte à 2013 et elle ne traitait que des GPM de métropole - les GPM ultramarins ont été traités trois ans plus tard, à part, et les ports décentralisés ont été laissés de côté.
Depuis l'annonce d'une nouvelle stratégie portuaire par le Premier ministre en 2017 aux Assises de l'économie de la mer, rien ne s'est produit. Les nombreux rapports publiés ces dernières années - dont quatre rapports parlementaires en 2016 - soulignent tous que les résultats sont décevants, que des occasions ont été manquées mais aussi qu'il y a des potentialités à exploiter. L'ensemble démontre une inertie préoccupante de l'État : il est temps d'inverser la tendance. En comparaison, nos concurrents européens et internationaux, comme l'Allemagne et la Chine, portent une vision à très long terme de leurs ambitions maritimes.
Deuxième élément d'explication : le sous-investissement chronique dans la desserte et les infrastructures portuaires. Les investissements dans le domaine portuaire représentent moins de 3 % des investissements dans les infrastructures de transports. Les dépenses de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) consacrées au secteur portuaire ne représentent que 1,25 % du budget total de l'agence. Concernant l'accès aux GPM, la loi d'orientation des mobilités (LOM) fixe une trajectoire d'investissements ambitieuse en matière de rénovation des réseaux et de report modal vers des modes massifiés, mais encore insuffisante.
Troisième élément : le modèle économique de nos ports est à bout de souffle, ils subissent un « effet ciseau » entre la hausse de leurs charges, notamment non-commerciales et fiscales, et la baisse des trafics d'hydrocarbures, qui s'additionne au retard pris sur le segment des conteneurs.
Je laisse la parole au rapporteur pour qu'il présente ses propositions.