Intervention de Michel Vaspart

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 1er juillet 2020 à 9h00
Gouvernance et performance des ports maritimes — Examen du rapport d'information

Photo de Michel VaspartMichel Vaspart, rapporteur :

C'est un moment assez particulier pour moi, puisque je vous présente ce qui sera plus que probablement mon dernier rapport sénatorial, ayant choisi de ne pas me représenter en septembre.

Avant de vous présenter nos propositions, je souhaite souligner deux points. D'abord, je suis très préoccupé non seulement par le projet chinois des « nouvelles routes de la soie », qui place l'Union européenne face à ses responsabilités en matière de protection de notre souveraineté et de notre autonomie stratégique, mais également par les liens entre notre principal armateur, CMA CGM, et l'armateur chinois Cosco, au sein de l'Ocean Alliance. En outre, depuis 2013, CMA CGM contrôle (à 51 %) avec China Merchants Group (à 49 %) la co-entreprise Terminal Link, qui détient notamment des participations dans les terminaux à conteneurs de Dunkerque, de Marseille et du Havre. Terminal Link s'est récemment vu transférer, avec l'accord de la Commission européenne, la cession d'actifs de CMA CGM dans huit terminaux. Ces exemples montrent une certaine porosité entre les participations portuaires chinoises et françaises, il est plus que nécessaire d'attirer l'attention du Gouvernement sur cet enjeu, j'ai déjà eu l'occasion de le faire en séance publique ou lors d'auditions en commission.

Ensuite, j'insiste sur la nécessité de saisir l'opportunité de la relance économique post-crise de la Covid-19 pour déployer un plan de soutien en direction de nos ports maritimes, que nous avons calibré à 150 millions d'euros par an sur cinq ans dans le rapport, avec en parallèle un doublement des moyens aux infrastructures de transports massifiées de fret, à 5 milliards d'euros sur dix ans. Ces deux programmes doivent permettre d'améliorer la compétitivité des ports français, d'accompagner la transition écologique de notre économie nationale et de favoriser des relocalisations industrielles, pour soutenir les trafics.

Au-delà de ces rappels, les propositions du rapport s'articulent autour de quatre recommandations de court terme et dix propositions.

S'agissant des recommandations, nous considérons que l'ouverture des ports sur leur environnement territorial - collectivités, universités, entreprises - doit encore être améliorée. Nous avons vu qu'à Anvers et Rotterdam, la relation avec le territoire est très bonne, les habitants connaissent leur port, et quand il y a des projets de développement, ils y adhèrent bien davantage que dans nos GPM. Nous appelons également à renforcer la connaissance sur l'empreinte économique des ports, en consolidant les données qui sont encore dispersées. Nous appelons également à la structuration d'un réseau de correspondants des ports au sein de l'Union européenne, pour promouvoir les intérêts français et tirer le meilleur parti des financements européens. L'affaire des « corridors » à l'été 2018, au sujet de laquelle nous avions adopté une proposition de résolution européenne, a marqué de nombreux acteurs du monde portuaire. Enfin, la dernière recommandation concerne la stratégie nationale portuaire et logistique : nous appelons le Gouvernement à la présenter sans plus tarder. Cette stratégie devra porter sur l'ensemble des ports français de métropole et d'outre-mer, en intégrant les ports décentralisés, qui sont trop souvent laissés de côté.

Nous proposons également de créer un « conseil national portuaire et logistique » (CNPL) pour piloter de façon transversale la politique maritime et portuaire. Je déplore que nous ne disposions plus d'un ministère de la mer, comme dans les années 1980. La création d'un conseil national serait un premier pas pour renforcer les liens entre les administrations de l'État, les acteurs économiques et les ports.

Nos dix propositions s'articulent en trois axes et visent d'une manière globale à « réarmer » nos ports dans la compétition internationale.

Le premier axe vise à améliorer le pilotage stratégique des GPM par l'État et la gouvernance interne des établissements publics portuaires.

Il faut inscrire la politique de dividendes de l'État dans une logique pluriannuelle, en créant des contrats d'objectifs et de performance, tels qu'ils existent pour de nombreux établissements publics. Notre commission avait défendu la création de cet outil lors de la réforme portuaire de 2008, à l'initiative de Charles Revet, mais le Gouvernement n'a pas respecté l'intention du législateur puisque la disposition prévoyant la conclusion de ces contrats a été déclassée de la partie législative à la partie réglementaire du code des transports lors de la codification du code des transports par voie d'ordonnance en 2010, avant d'être supprimée par le Gouvernement par décret. En complément, je souhaite que les lettres de mission aux directeurs généraux des ports soient généralisées, avec des objectifs précis, et que leur rémunération comporte une part variable plus importante en lien avec la performance du port dont ils ont la charge, à hauteur de 25 %.

La seconde proposition vise à mieux associer les acteurs économiques à la gouvernance des GPM et à renforcer le poids relatif des collectivités territoriales au conseil de surveillance. Ce sujet avait justifié en grande partie la création de cette mission d'information car les acteurs économiques ont été relégués dans un rôle purement consultatif au sein du conseil de développement, alors qu'ils faisaient précédemment partie des conseils d'administration des ports autonomes. Ces acteurs, qui investissent fortement dans le domaine portuaire, sont aujourd'hui à l'écart des décisions importantes, ce qui peut avoir des conséquences regrettables comme l'a montré le projet de terminal multimodal du Havre. La Cour des comptes considère que la présence des acteurs économiques au conseil d'administration des ports créé un risque de conflit d'intérêts mais ce risque est maîtrisé car nous disposons de nombreux instruments pour prévenir et faire cesser ces conflits d'intérêts.

Je suggère que la nomination des directeurs généraux des GPM se fasse sur proposition des conseils de surveillance de chaque GPM, avec la possibilité pour ces derniers de les révoquer, comme c'est le cas dans de nombreuses sociétés commerciales. À l'heure actuelle, la nomination est proposée par le ministre des ports maritimes, avec avis conforme du conseil de surveillance. Inverser cette procédure permettrait de diversifier le profil des directeurs et renforcerait le conseil de surveillance dans ses prérogatives de contrôle de la direction du port. Charles Revet avait déjà fait cette proposition en 2008 lorsqu'il était rapporteur de la loi de réforme portuaire.

Je vous propose également de prévoir la présence du président du conseil de développement et du président de l'Union maritime et commerciale locale au conseil de surveillance avec voix délibératives ; l'élection du président du conseil de surveillance au sein du collège des élus locaux ; une représentation unique de l'État au conseil de surveillance via le préfet de région, ce qui réduirait de 18 à 14 le nombre de membres du conseil de surveillance, pour une meilleure gouvernabilité des établissements - il y a actuellement cinq représentants des ministères; et une adaptation des instances de gouvernance à la taille des places portuaires en distinguant d'une part HAROPA (Le Havre-Rouen-Paris) et Marseille et, d'autre part, Dunkerque, Bordeaux, Nantes et La Rochelle. Les conseils de surveillance d'HAROPA et Marseille passerait ainsi de 18 à 14 membres et ceux des autres ports de 18 à 12 ou 14.

Le deuxième axe de nos propositions vise à renforcer la compétitivité de nos ports en agissant sur trois volets : financier, juridique et social.

Je propose de porter les investissements prévus par la loi d'orientation des mobilités de 2,3 à 5 milliards d'euros sur 10 ans, pour améliorer fortement notre politique pour le fret. L'association pour le fret ferroviaire du futur propose, quant à elle, une augmentation à 13 milliards d'euros, mais elle retient un périmètre plus large que la seule desserte des ports. En complément, il est nécessaire de tripler « l'aide à la pince », à 80 millions d'euros dès 2021, pour soutenir le transport combiné et donc encourager le report modal. Ces aides devront être calibrées pour servir nos ports et non nos concurrents : elles devront être attribuées seulement pour les trajets au départ et vers nos ports.

Une autre proposition vise à fixer un cap clair pour mieux réguler les services portuaires : certains services, comme le remorquage, sont insuffisamment régulés sur le plan de la concurrence, ce qui pèse sur la compétitivité-prix de nos ports. Nous devons envisager de confier à terme à l'Autorité de régulation des transports (ART) une compétence sur ce secteur ; d'ici à ce changement majeur, je propose que le CNPL soit chargé de veiller à l'évolution du coût des services portuaires. Je vous propose également de réduire à 4 ans la durée des agréments des entreprises de remorquage, contre 5 à 15 ans aujourd'hui en fonction des ports, afin de favoriser la concurrence.

S'agissant du volet social, nous avons eu de nombreux échanges : plusieurs propositions ambitieuses m'ont été soumises mais je retiens une approche mesurée. Nous devons renforcer les exigences de continuité et de disponibilité des activités de service public, comme le remorquage, en cohérence avec les possibilités que nous offre le règlement européen sur les services portuaires de 2017, pour améliorer la compétitivité de nos ports. Au-delà, pour la manutention, le dialogue social doit se poursuivre pour faire converger les acteurs autour d'une vision commune et d'un objectif de reconquête de parts de marché. Nos échanges avec les syndicats ont été riches et fructueux, je fais confiance à nos entreprises et à nos dockers pour adopter les organisations qui s'imposent, alors que les grèves liées à la réforme des retraites et la baisse des trafics liée à l'épidémie de Covid-19 ont durement éprouvé nos ports. En revanche, j'appelle l'État à utiliser les leviers à sa disposition, y compris la voie judiciaire, pour empêcher le blocage de l'accès aux ports, qui ne correspond pas à l'exercice classique du droit de grève, normalement limité au périmètre de travail des salariés et aux outils et équipements associés. Le port de Nantes a obtenu une décision en ce sens. L'État doit prendre ses responsabilités, il en va de notre image auprès des grands chargeurs et armateurs.

Je ne reviens pas sur le plan de relance portuaire que j'évoquais en introduction : une enveloppe de 150 millions d'euros par an sur cinq ans abondés par l'État me semble nécessaire pour soutenir nos ports.

Une autre proposition vise à sécuriser le modèle économique de nos ports, qui connaît un « effet ciseau » entre la hausse des charges et la baisse de la rente pétrolière. Il faut clarifier le périmètre des dépenses non commerciales prises en charge par l'État sur le budget général et je propose de porter à 170 millions en année « n » le montant des compensations versées par l'État, avec une trajectoire glissante pour atteindre 140 millions d'euros en année n+10 dans un objectif d'incitation à la performance. Aujourd'hui, les crédits budgétaires annuels représentent un peu moins de 100 millions d'euros.

S'agissant de l'entrée de nos ports dans la fiscalité foncière, un forfait fiscal adapté devrait être proposé par le Gouvernement dans le cadre du budget pour 2021, sur le modèle des autoroutes ou de certains équipements des ports de plaisance. J'y resterai attentif car c'est un enjeu majeur à la fois pour la situation financière de nos ports et pour les entreprises présentes sur le domaine portuaire, auxquelles les ports pourraient refacturer cette charge nouvelle. Quant à l'impôt sur les sociétés, le bilan d'ouverture des ports a été sécurisé sur plusieurs années et nous devrons veiller à la soutenabilité de cette charge à terme.

Enfin, le dernier axe de nos propositions vise à anticiper les défis à venir. Il est nécessaire que les GPM clarifient leur politique tarifaire en matière de droits de ports et réduisent leur dépendance à leur égard, car ils sont liés aux trafics et donc volatils. Les GPM doivent développer leurs recettes domaniales, sur le modèle de leurs concurrents.

J'appelle également l'État à accompagner puissamment nos ports dans la transition écologique et numérique : l'objectif de réduire de moitié les émissions des navires d'ici 2050 impose une ambition et des moyens. Des solutions existent - l'électricité à quai, le développement des propulsions décarbonées, etc. - l'État doit les encourager.

Enfin, s'agissant des « routes de la soie » chinoises, je propose d'établir une réponse coordonnée, par la négociation, à l'échelle européenne et, en France, de nommer un interlocuteur référent unique sur ce sujet, pour une veille permanente.

Au total, ces propositions doubleraient les moyens dédiés aux ports français, soit 7,3 milliards d'euros sur 10 ans. Nous devons accorder une priorité à nos ports, c'est un équipement stratégique, de souveraineté.

Un mot sur le canal Seine-Nord, dont la construction est actée. Nos interlocuteurs d'Anvers et de Rotterdam nous ont fait comprendre, dans un demi-sourire éloquent, que c'était à nos GPM de s'organiser pour ne pas subir les conséquences de l'ouverture d'un tel axe. Le canal ne sera pas ouvert avant dix ans, c'est le temps qu'il nous reste pour que Rouen et Dunkerque ne soient pas court-circuités par les grands ports du range Nord.

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