Mes chers collègues, nous en arrivons au second point de notre ordre du jour : l'examen du rapport d'information qui conclut le cycle de réunions et d'auditions auxquelles nous avons procédé sur les violences intrafamiliales depuis le début du confinement. Ces réunions se sont déroulées entre le 30 mars et le 24 juin 2020.
Je rappelle que ce rapport est porté par l'ensemble du bureau, cette innovation étant destinée à marquer un consensus fort au sein de notre délégation sur ce sujet.
Je rappelle aussi que les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, Arnaud Bazin et Éric Bocquet, ont décidé de mener un travail de contrôle budgétaire sur les crédits dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes. Je ne peux que saluer leur choix et me féliciter que la commission des finances et la délégation aux droits des femmes aient conduit leurs travaux en bonne intelligence et dans un esprit de complémentarité exemplaire. L'examen de leur rapport est prévu demain 8 juillet : je ne doute pas que l'expertise de nos collègues complètera utilement nos réflexions. Elle nous permettra de faire la part des mesures nouvelles, des redéploiements de crédits et des préoccupations médiatiques dans les hausses de moyens régulièrement annoncées.
Sur ce point, je voudrais faire observer que la « grande cause du quinquennat » n'est pas une innovation de la majorité actuelle : les politiques publiques de lutte contre les violences conjugales résultent d'une construction progressive qui n'est le monopole d'aucune famille politique.
Vous avez toutes et tous reçu le projet de rapport en amont de cette réunion. Je me bornerai donc à un rappel succinct du contenu de ce travail, afin de laisser la place au débat.
Ce document établit tout d'abord une série de constats sur les violences faites aux femmes et aux enfants au sein de la famille pendant le confinement.
L'aggravation des violences conjugales liées à la crise sanitaire n'est pas propre à la France : à la fin du mois d'avril, l'ONU évaluait le nombre de cas de violences liés à un trimestre de confinement dans le monde à 15 millions.
Cette situation universelle s'explique par le fait que le confinement a été une arme de plus au service des conjoints et pères violents, en isolant avec eux leurs victimes, femme et enfants, privées de contacts avec l'extérieur.
On a observé en France une réelle réactivité des pouvoirs publics qui ont, dans l'urgence, diversifié les dispositifs de signalement des violences (SMS, pharmacies, centres commerciaux, etc.) et renforcé la prise en charge des auteurs de violences (plateforme d'hébergement destinée à garantir l'application de mesures d'éviction du conjoint violent ; numéro d'écoute pour prévenir le passage à l'acte).
Les remontées de terrain font également état d'une augmentation sensible du nombre d'interventions à domicile par la police et la gendarmerie, ce que nous devons saluer.
Le confinement a aussi été, pour les associations, une période très intense de mobilisation, dans un contexte pourtant très difficile : notre délégation doit rendre hommage à leur implication.
Le 3919 a réalisé un véritable « tour de force » en réussissant à répondre à un nombre d'appels en très forte augmentation (52 000 appels entrants en avril-mai, soit en deux mois l'équivalent de la moitié des statistiques de 2019). Cette performance a été rendue possible grâce à la mobilisation de tout le réseau de la Fédération nationale solidarité femmes auquel est adossée la plateforme d'écoute. Dans ce contexte, notre délégation peut s'étonner de la prochaine mise en concurrence de la FNSF dans le cadre d'un appel d'offres. Nous pouvons nous inquiéter des conséquences de celui-ci sur la qualité de l'écoute offerte aux victimes.
Nos collègues représentant les Français qui résident hors de France, Claudine Lepage et Joëlle Garriaud-Maylam, ont pris l'initiative d'analyser la situation de nos compatriotes expatriées victimes de violences conjugales, sujet auquel est consacré une partie du rapport. Ces réflexions contribuent à l'originalité de notre approche, et nous pouvons les en remercier.
Enfin, je voudrais préciser que le confinement nous aide à prendre conscience de ce que vivent jour après jour les victimes de violences. Pour Maître Steyer, les week-ends sont comparables à des « mini-confinements » ; pour Luc Frémiot, le confinement « est la triste situation de femmes qui vivent dans la camisole de force de l'emprise psychologique [...] qui les maintient sous le joug d'un agresseur ». En d'autres termes, les femmes et les enfants qui vivent dans des foyers violents sont confrontés à un confinement sans fin.
Quel bilan tirer de la période du confinement et du déconfinement ?
Tout d'abord, les mesures d'urgence mises en oeuvre pendant le confinement devraient faire l'objet d'une évaluation avant d'être pérennisées. Si l'intérêt des SMS ne fait aucun doute, en revanche le dispositif d'alerte dans les pharmacies requiert un effort de formation des professionnels concernés : il faut s'assurer que l'Ordre des pharmaciens dispose des outils pour mener à bien ce projet.
S'agissant des mesures destinées aux auteurs de violences, la plateforme d'hébergement d'urgence est évidemment un dispositif très utile, qui doit perdurer. Notre délégation devra d'ailleurs se faire communiquer des statistiques précises sur le nombre de violents conjugaux ayant fait l'objet d'une mesure d'éviction de leur domicile.
J'en viens ensuite aux enjeux de la période actuelle en termes de lutte contre les violences.
Après le confinement et le déconfinement, notre pays se retrouve face aux mêmes défis qu'au moment du Grenelle, auxquels s'ajoute la nécessité de rattraper le retard accumulé par l'institution judiciaire du fait de la crise sanitaire. Les mesures d'urgence ont, en effet, laissé entier le problème de l'efficacité de la chaîne pénale qui se pose aujourd'hui sensiblement dans les mêmes termes qu'à la fin du Grenelle. Les experts que nous avons entendus nous ont, à cet égard, indiqué diverses pistes d'amélioration :
- poursuivre l'effort de formation des magistrats, policiers et gendarmes ;
- améliorer les statistiques du ministère de la justice, de manière à permettre une évaluation globale du traitement des violences par tous les maillons de la chaîne pénale ;
- rendre systématique l'information de la victime sur les suites de ses démarches ;
- généraliser l'analyse rigoureuse et systématique, par les parquets, des registres de mains courantes, afin d'y détecter des situations de violences susceptibles de justifier l'engagement de poursuites ;
- encourager une réponse pénale ferme aux violences conjugales en cas de faits graves, même s'ils sont commis pour la première fois, et réserver les mesures alternatives aux poursuites aux faits de faible gravité ;
- renforcer le suivi du contrôle judiciaire du violent conjugal et sanctionner toute violation de ses obligations par l'auteur de violences ;
- mettre à l'étude l'extension de l'aide juridictionnelle aux victimes dès le dépôt de plainte ;
- mettre en place des permanences le week-end pour les juges aux affaires familiales, comme c'est le cas pour les procureurs ;
- encourager une politique ambitieuse de prise en charge des violents conjugaux, tout en consacrant à l'accompagnement des victimes et aux associations dédiées les moyens nécessaires ;
- évaluer systématiquement les bonnes pratiques expérimentées par certaines juridictions afin de les généraliser si elles sont concluantes : cet effort de cohérence de la réponse pénale est indispensable car on ne peut admettre que la défense et la protection des victimes restent soumises à la « loterie judiciaire » évoquée par Luc Frémiot.
Enfin, nous sommes nombreux à nous être interrogés sur l'inflation législative qui caractérise la période récente en matière de violences. Ce problème n'est pas nouveau. Le rapport annuel du Conseil d'État le remarquait déjà, en 1991 : « Qui dit inflation dit dévalorisation » ; « La loi jetable n'est pas respectable ».
Nous avons constaté, dans le domaine spécifique des violences intrafamiliales, les limites de cette accumulation de textes disparates. François Molins a attiré notre attention sur les difficultés que pose l'application concrète de textes insuffisamment préparés. L'exemple de l'ordonnance de protection est sur ce point très éclairant.
Cela me conduit à évoquer, comme d'ailleurs un certain nombre d'entre vous, la nécessité d'une évaluation complète de l'application des textes en vigueur pour une « mise à plat » et un bilan complet de leurs insuffisances, en vue de l'adoption d'une « loi-cadre » traitant les violences dans leur globalité.
J'en ai fini avec la présentation de ce rapport. Je donne la parole à Claudine Lepage pour évoquer la partie du rapport concernant nos compatriotes expatriées.